Janvier 1914. À Guise, dans l’Aisne, la police retrouve le corps d’un ouvrier fondeur assassiné. Puis, quinze jours plus tard, celui d’une veuve, dont tout indique qu’elle a été la victime du même assassin.
L’enquête d’un journaliste de L’Humanité spécialisé dans les faits divers va être l’occasion de découvrir le contexte fascinant de ces morts violentes : le « Familistère », communauté ouvrière fondée par un patron social et visionnaire – une expérience de socialisme réel qui aurait anticipé de plusieurs décennies l’émergence du collectivisme soviétique…
L’excellente idée de ce récit est avant tout de se placer dans un cadre remarquable, ce Familistère remarquable en termes de philosophie sociale, d’architecture et d’organisation de travail. Plus vraiment de patron, un peu plus de que ouvriers : des collaborateurs. Voilà ce que sont tous les personnages qui vivent dans ce cadre imposant.
Y imaginer une trame policière, presque un huis-clos, utilise dès lors toutes les particularités sociales et architecturales du site. Chaque page permet d’en apprendre plus sur ses habitudes, égrenant les indices destinés au lecteur. Point de lassitude dans cette enquête : De briques et de sang est un récit formidablement bien construit.
De plus, le cadre de l’intrigue se place aux prémices de la Grande Guerre permet dès lors de confronter les positions politiques des habitants de Guise par rapport aux factions en présence, y compris sous la forme de préavis de grève, un comble pour une société où les ouvriers sont devenus des "patrons". Les auteurs se livrent à une réelle plongée historique dans les dilemmes éthiques et sociaux auxquels sont confrontés les hommes et les femmes de cette époque. Ils ont beau vivre dans un lieu remarquable, cela ne les empêche pas ressentir de la xénophobie, de la jalousie, et de la colère... jusqu’au meurtre !
David François profite du récit de Régis Hautière pour installer une ambiance plutôt sombre. Passée la première surprise, on s’habitue rapidement à ses décors très travaillés, sur lesquels viennent se poser des personnages plus rapidement esquissés. Ils n’en demeurent que plus vivants, profitant de cette épaisseur pour nous toucher. Chaque trogne est particulière, et on se surprend à se demander si l’assassin porte son crime sur le visage.
De briques et de sang mérite pleinement sa sélection au palmarès du Festival d’Angoulême : le récit est haut en couleur et tient en haleine autant qu’il intéresse jusqu’aux dernières pages. Sa réussite tient au fait que les auteurs ne se sont pas cantonnés à un thème unique, mais ont mélangé ses différents aspects pour un résultat plutôt réussi.
(par Charles-Louis Detournay)
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