Jusque récemment, Raymond Leblanc aimait se rendre aux éditions du Lombard, où en tant que Président d’honneur, il conservait des bureaux récemment remis à neuf ! Ils jouxtaient celui d’Yves Sente. Ces derniers mois, son état de santé ne lui permettait plus de sièger dans le « building Tintin » qu’il avait contribué à bâtir, mais son fidèle bras droit, Paulette Smets, la responsable de Belvision [1], veillait à le tenir au courant des activités de la société.
Ce nonagénaire, toujours élégant et charmeur, avait le 26 septembre 2006 activement participé, non sans fierté, à la célébration des soixante ans de sa maison d’édition, créant dans la foulée une Fondation portant son nom. Et de fait, quel parcours !
Cet ancien douanier devenu résistant, aurait-il imaginé, le 26 septembre 1946, lorsqu’il tenait dans les mains le premier numéro du journal de Tintin, lancé avec la complicité des dessinateurs Hergé, Jacobs, Laudy et Cuvelier et avec celle -clandestine, il est vrai, en raison de sa condamnation pour "incivisme" du peintre et journaliste Van Melkebeke, aurait-il jamais cru que sa maison d’édition sise au 24 de la rue du Lombard aurait un rayonnement international qui se prolonge encore 60 ans plus tard ? Vraisemblablement pas.
L’entreprise était risquée car la presse jeunesse foisonnait ! Mais le mot magique de "Tintin" porté par un Hergé en pleine maturité a su faire la différence : « Quand j’ai vu la maquette qu’Hergé avait fait réaliser et la qualité des auteurs choisis, expliquait Raymond Leblanc, je me suis dit qu’il fallait frapper un grand coup ! Et nous avons fixé le tirage à 60.000 exemplaires. Certains m’avaient dit que cela leur paraissait beaucoup parce qu’Héroïc-Album tirait aux alentours des 15.000 exemplaires ; mais enfin, la décision était prise.
On a bien entendu fait une publicité minimum, on a annoncé la sortie de Tintin chez les libraires par des affichettes et, surprise générale ! (le premier numéro a été édité le 26 septembre), après trois jours, les libraires commençaient à en redemander ! On s’est dit : Succès ! Le deuxième numéro fut sorti sur la même base et le troisième fut majoré. C’est ainsi que l’on a réglé la mise en vente.
On est arrivé assez vite au niveau de 80.000 exemplaires. »
Rapidement, un climat d’émulation a animé la rédaction et les auteurs du journal de Tintin, qui souhaitaient faire mieux que leur principal concurrent : Le journal de Spirou. Des générations d’auteurs qui marquent encore aujourd’hui le monde de la BD ont fait leurs armes dans ces deux journaux. Le Lombard, Dupuis et Casterman ont porté sur les fonds baptismaux la bande dessinée belge.
La version française du magazine suivit rapidement (en 1948) avec la complicité d’un éditeur parisien, Georges Dargaud. Au début des années 50, Leblanc décide de se lancer dans la production d’albums. Coup de maître ! Tout le reste de l’industrie suivra son exemple.
Le véritable génie de Raymond Leblanc est d’avoir compris très tôt l’importance du marketing, du "merchandising" et de la publicité comme compléments nécessaires de cette activité d’éditeur. Emboîtant le pas au timbre Artis il lança le « timbres Tintin » et une ligne de produits à l’effigie de Tintin. Dans le même mouvement, en 1954, il créa l’agence de publicité Pubiart dont il confia la direction à Guy Dessiscy qui s’employa à utiliser la bande dessinée dans la publicité.
Enfin, en précurseur toujours, Raymond Leblanc se lança également en 1954 dans la création de Belvision, un studio d’animation qui, produisit la plupart des séries best-sellers de bande dessinée à l’écran, qu’ils viennent du Lombard ou de ses concurrents Dupuis et de Dargaud : d’ Astérix à Lucky Luke en passant par Johan & Pirlouit (& les Schtroumpfs) ou encore Tintin.
Les années suivantes furent marquées par la construction du « Building Tintin », inauguré en septembre 1958, mais aussi le rachat de l’hebdomadaire Line, qui devint rapidement « Mademoiselle Age Tendre ».
En 1986, ce brillant visionnaire vendit sa maison d’édition au groupe Ampère qui devint bien plus tard Média-Participations. Raymond Leblanc se consacra alors à son manège hippique à Hœilaart, dont il confia la gestion au Major Rémi, le frère d’Hergé. Dans sa biographie écrite par Jacques Pessis, il raconte qu’il monta jusqu’à la mort de son cheval. L’âge venant, il jugea qu’il n’était pas raisonnable d’en élever un autre.
Raymond Leblanc fut le premier éditeur à recevoir un Alph-Art d’honneur en 2003. Lors des 60 ans du Lombard, en 2006. Il annonça lui-même la création d’une fondation ayant pour objectif de récompenser des jeunes auteurs. Elle a également pour vocation de conserver ses archives. La plupart des grands auteurs de la bande dessinée franco-belge lui doivent leur carrière.
La rédaction d’ActuaBD présente ses sincères condoléances à sa famille et à ses proches, de même qu’à ses auteurs et à ses lecteurs qui, eux aussi d’une certaine manière, se retrouvent orphelins.
(par Nicolas Anspach)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Raymond Leblanc, sur actuabd.com, c’est aussi :
une interview : Raymond Leblanc : « Je lisais Tintin dans le Vingtième Siècle ! » (Août 2006).
Le Lombard : Soixante ans d’éternelle jeunesse (Septembre 2006]
Une Fondation -et un Musée- Raymond Leblanc à Bruxelles ! (Septembre 2006)
Photo en icone : (c) N. Anspach
[1] La filiale audiovisuelle du Lombard.
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