Représentant parmi les plus influents de la bande dessinée Underground américaine depuis les années 1960 et 1970, Steve Clay Wilson était né à Lincoln, dans le Nebraska, le 25 juillet 1941. Il adorait dessiner, surtout des pirates et des motards. Plus que tout, il adorait dessiner ce qui lui passait par la tête, tout, sans limite ni contrainte.
C’est en ça qu’il est devenu un exemple revendiqué pour Crumb et Spain Rodriguez qui, à la vue de son travail, se sont sentis pousser des ailes, créatives, pleines d’irrévérence et sans aucune concession.
L’incontournable Crumb, Grand Prix du FIBD d’Angoulême 1999, a dit à son propos : « C’était quelque chose comme je n’avais jamais vu auparavant, nulle part, le niveau de chaos, de violence, de démembrement, de femmes nues, de parties du corps lâches, de sexes énormes et obscènes. Cette vision cauchemardesque de l’enfer sur terre n’avait jamais été ainsi graphiquement illustrée auparavant dans l’histoire de l’art... Soudain, mon propre travail me parut insipide... »
Après avoir découvert le merveilleux monde du langage BD dans les E.C. Comics, ces fascicules en noir et blanc remplis d’histoires d’horreur, de SF, ou de fantastique qui seront, parenthèse à ce sujet, finalement interdits par quelques moralisateurs et théoriciens bancals, tel le psychiatre Fredric Wertham et son livre Seduction of the Innocent, sur la base supposée des effets négatifs de l’imagerie sur l’inconscient collectif, le jeune Steve Wilson, donc, décide que c’est dans cette direction qu’il va s’épanouir : il sera auteur de comics !
Hormis Blackbeard de Reed Crandall, ce qui a surtout plu au gamin dans les E.C. Comics, qui se délectait de ces petits livres au délicieux goût de transgression, c’était les artistes qui s’exprimaient dans des styles très différents. Loin de ce qu’il voyait par ailleurs dans les autres BD.
Après des études d’art -pour lui inutiles, puisqu’on ne lui apprenait pas assez à « tout dessiner » (argument nécessaire à ses yeux pour parfaitement s’exprimer) mais, plutôt à alimenter le marché de l’art avec des créations à la mode du moment comme l’expressionnisme abstrait, façon Jackson Pollock ou Willem de Kooning- après aussi, des études mieux appréciées dans le domaine de l’anthropologie, tout ça à l’université du Nebraska, plus quelques soucis avec ses obligations militaires qu’il finit par contourner, il se lance dans la vie active.
Soudain S. Clay Wilson se rend à San Francisco en 1968, où il semble se passer des choses intéressantes, pour lui qui avait auparavant rejoint une communauté d’artistes et de poètes Beat Generation à Lawrence, Kansas. À San Francisco il rencontre Crumb, qui le publie, dès le numéro 2, dans son célèbre magazine anthologique underground Zap Comix. Wilson y lance son plus fameux personnage Checkered Demon, un démon au pantalon à carreaux et aux aventures bizarres, outrancières, sexuellement explicites, grossières, violentes, mais au langage recherché, assez écrit. Un ensemble chaotique désormais marque de fabrique de Wilson.
Un style qu’il va cultiver, comme sa mise en scène et son dessin caractérisés par des cases pleines de petits détails. Au fur et à mesure, ses histoires deviendront de plus en plus sombres, macabres, pleines de pirates-zombies et de vampires étranges. Et toujours autant de sexe, qu’il s’amusait énormément à représenter. Rappelons que le mouvement Underground de la BD américaine, est né en partie en réaction à l’interdiction par la censure des E.C. Comics. Il y avait un manque à combler, avec un pas de plus vers l’outrance que Wilson a volontiers franchi.
Toutefois, cet irrévérencieux chronique a pris beaucoup de plaisir à dessiner pour les enfants. Avec, dans les années 1990, des adaptations de contes d’Andersen et des Frères Grimm. Il a déclaré un jour pour illustrer ce pas dans une direction assez inattendue : « J’ai toujours voulu être illustrateur de livres pour enfants il y a longtemps, mais j’ai pris du LSD et j’ai pris un virage à gauche graphiquement. »
Retrouvé inanimé entre deux voitures avec de graves blessures à la tête en 2008, sans qu’on sache s’il s’agissait d’une agression ou les conséquences d’une ébriété largement consommée, Wilson a souffert de graves lésions cérébrales qui l’on gravement handicapé par la suite, surtout au niveau de la communication, même s’il comprenait parfaitement ce qu’on lui disait. On le devine, dessiner était devenu aussi très compliqué.
S. Clay Wilson était un phare dans la bande dessinée, Underground ou non. Sa liberté d’esprit, son engagement à repousser les limites de la bienséance sont plus que jamais précieux. Alors qu’il devient de plus en plus compliqué de se gausser, de rire, de dire une connerie -que celui qui n’a jamais pêché nous jette la première pierre- rire encore, quand les inquisiteurs et ayatollahs de ce monde dit nouveau -mais pas tant que ça- sont partout à l’affût. Barbu.e.s en puissance, prêts à faire tomber les têtes, de manière symbolique, ou pas.
Pour finir, quand le Comics Journal a demandé à S. Clay Wilson ce qu’il pensait des artistes et de l’art contemporain, il a répondu, toujours aussi goguenard : « J’admire leur esprit - mais qu’ils en sortent putain. Tout ce qui fait chier beaucoup de gens et rapporte des tonnes d’argent ne peut pas être mauvais. » Quel beau sens du résumé, non ?
(par Pascal AGGABI)
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