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Décès de l’incontrôlable Siné

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 6 mai 2016                      Lien  
Mort à 87 ans, Siné a marqué le monde du dessin humoristique pendant plus de cinquante ans. Le « viré de Charlie Hebdo », anarchiste "enragé", aura laissé l'image d'un irréductible vitupérant aux combats parfois douteux mais toujours sincères.

Siné était né à Belleville le 31 décembre 1928. Son géniteur, Laurent Versy est un ferronnier d’art condamné plusieurs années aux travaux forcés, ce qui détermine l’engagement politique du futur dessinateur. Après des études à l’école d’art Estienne, il publie ses premiers cartoons en 1952 dans France-Dimanche. Il s’oriente vers la publicité et conçoit des dessins pour la RATP, la Loterie Nationale, Perrier... Son trait efficace et immédiatement reconnaissable, dans la lignée d’un Savignac et d’un Saul Steinberg, fait mouche.

Décès de l'incontrôlable Siné
Les fameux chats de Siné
© Siné

En 1958, l’arrivée de De Gaulle au pouvoir constitue la date fondatrice de son engagement politique. En 1959, il rejoint le Collège de Pataphysique, où il est nommé « gonfanonier ». Dans L’Express, ses « chats-rades » cognent dur contre les militaires. Il quitte cette revue selon lui inféodée au pouvoir pour lancer en 1962 Siné Massacre. La formule n’est pas perdue pour tout le monde et Hara Kiri Hebdo s’en inspire.

Photo : D. Pasamonik

Arrive Mai 68 et L’Enragé, le journal de caricature le plus engagé contre le pouvoir gaulliste. Après ce printemps flamboyant, la feuille disparaît à l’automne. Siné collabore ensuite à Hara Kiri Hebdo, puis à Charlie Hebdo. Pour vivre, Siné fait des publicités, par exemple pour « Hollywood Chewing Gum ! ».

Puis subvient un épisode peu connu de sa biographie : sa carrière en Algérie. Le gouvernement algérien avait nationalisé le pétrole et créé une compagnie, la Sonatrach (1963). Un copain algérien de Siné en devient le PDG. Siné en dessine le logo et en conçoit l’image de marque. Il disparaît de la scène française et travaille 14 ans pour cette société. Il dessine sporadiquement pour Lui des dessins érotiques qu’il ne peut pas publier en Algérie. A la mort de Boumedienne, il doit rentrer en France.

Il se retrouve dans l’équipe de Droit de réponse sur TF1 dont sa femme était la rédactrice en chef. Petit à petit, sa rubrique s’installe dans Charlie Hebdo. A partir de 1981, il y « sème sa zone ». Le dessin commençait un peu à le gaver, il s’est davantage mis à écrire. Après l’arrêt de Charlie-Hebdo « canal historique », il rejoint néanmoins la nouvelle équipe en 1992. La prise en main du journal par Philippe Val ne plaît guère à l’enragé, depuis que Val appelle à voter « oui » à la constitution européenne et surtout cautionne l’invasion de l’Irak par les États-Unis et ses alliés. Les provocations à l’endroit de Philippe Val se multiplient, en particulier dans le registre sensible des attaques contre Israël. Val l’attend au tournant et fixe la ligne rouge : pas question d’essuyer un procès.

Contre toutes les religions
© Siné

Dans une chronique, Siné attaque frontalement Val qui, dans la première affaire « Clearstream », dénonce la « théorie du complot », qui fonde l’ouvrage que Denis Robert a écrit pour dénoncer la banque luxembourgeoise. Val a la maladresse de le comparer aux « Protocoles des Sages de Sion ». Siné en rajoute une couche en se moquant de Jean Sarkozy supposé se convertir au judaïsme pour marier la fille héritière de la famille Darty. Philippe Val ne réagit pas dans un premier temps, mais une chronique de Claude Askolovitch sur Europe 1 accuse l’article d’ « antisémitisme ». Pensant tomber sous le coup de la diffamation (Jean Sarkozy ne s’est pas converti au judaïsme), Val exige des excuses publiques à Siné qui les lui refuse.

Val vire alors Siné d’autant plus facilement que celui-ci n’est pas salarié de l’entreprise : il est payé en droits d’auteur, il suffit donc d’interrompre la commande. Cette éviction fait scandale et la blogosphère s’en saisit, des sites recueillant des milliers de signatures en faveur du dessinateur. L’affaire prend la tournure d’une croisade anti-Val qu’ActuaBD a largement commentée qui se conclut par le lancement, avec succès, de Siné Hebdo, devenu ensuite Siné Mensuel.

Souffrant depuis quelques années d’insuffisances respiratoires chroniques et d’un cancer, l’Enragé a fini par casser sa pipe, survivant de quelques mois aux "traîtres" de Charlie Hebdo. Sa concession au cimetière Montmartre, à perpétuité, était déjà prête, située à côté de celle de La Goulue. Un monument en forme de cactus monté en doigt d’honneur, en bronze, de 1m70 de hauteur. Avec cette épitaphe : « Mourir ? Plutôt crever ! ». ».

© Siné

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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