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Denayer : « Ma collaboration avec Van Hamme m’a valu la plus grande trouille de ma vie ».

Par Nicolas Anspach Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 mars 2006                      Lien  
Quand Van Hamme a lancé {Wayne Shelton}, alors qu'il devait assumer de front des séries comme {Largo Winch, XIII, Thorgal, Blake & Mortimer} dont les ventes ont atteint des niveaux tels que la pression était énorme, on se demandait si ce n'était pas la série "de trop". Pas du tout: sa maestria habituelle est au rendez-vous, avec comme gageure d'animer un héros quinquagénaire. Costaud, le Van Hamme!
Denayer : « Ma collaboration avec Van Hamme m'a valu la plus grande trouille de ma vie ».
Christian Denayer
Photo : D. Pasamonik

Depuis il a lancé Lady S, histoire de montrer qu’il n’avait pas perdu la main, tandis qu’il la passait, la main, sur les séries qui ont fait sa réputation et que l’on pensait qu’il n’abandonnerait jamais : Thorgal, XIII... et Wayne Shelton qu’il a confiée pour le troisième volume à Thierry Cailleteau qui en assure seul la suite. Le scénario de sa vie, Van Hamme entend l’écrire lui-même !

Pour parler de cette succession atypique, nous avons interrogé celui qui fait le lien entre les deux scénaristes, le dessinateur de la série, Christian Denayer.

Comment en vient-on à dessiner Wayne Shelton ?

Tout simplement parce qu’on me l’a proposé et qu’une telle proposition ne se refuse pas ! Et puis, je suis un lecteur assidu et admiratif des différentes séries de Jean Van Hamme, c’était une bénédiction de pouvoir dessiner l’un de ses scénarios, surtout que j’apprécie particulièrement sa façon de travailler et les thèmes de ses histoires...

Wayne Shelton T.1 : La Mission
Ed. Dargaud

Cela ne vous a pas effrayé de devoir animer un héros qui a un peu plus de cinquante ans ?

Ce n’est pas parce que l’on a atteint cet âge-là, que l’on doit être automatiquement mis à la retraite. Vous verrez, quand vous les aurez, que l’on a encore envie de réaliser plein de projets. La société actuelle jette un peu vite les gens, quelle que soit leur catégorie d’âge. La plupart des quinquagénaires sont en pleine maturité et en pleine possession de leurs moyens. C’est le cas pour Wayne Shelton !

Les deux premiers albums de la série sont l’adaptation d’une histoire destinée à un téléfilm [1]. Avez-vous lu le synopsis rédigé en 1982 par Jean Van Hamme ?

Oui. Ce scénario était d’ailleurs épais comme une brique. Je l’ai lu en une soirée. J’étais si captivé que je n’ai pas pu interrompre ma lecture. Je voyais déjà certaines images. Les séquences étaient déjà bien marquées. J’ai perçu très vite que le récit était extrêmement dense et pouvait être décliné en plusieurs albums. Trois ou quatre, sans doute. Le rythme de l’histoire cadrait avec un téléfilm, mais elle aurait été trop diluée dans le contexte d’une bande dessinée qui a besoin de l’ellipse pour progresser. Jean Van Hamme a donc du sabrer et aménager certaines scènes.

Savez-vous pourquoi ce téléfilm n’a jamais vu le jour ?

Wayne Shelton T. 2 : La Trahison
Ed. Dargaud

Le tournage avait commencé mais le principal producteur a fait faillite en cours de réalisation. Jean Van Hamme a repris ses billes et m’a présenté ce synopsis en 1999.

Avec Van Hamme, rien ne se perd !

Peut-être. Mais ceci dit, il a mis du temps à le concrétiser en bande dessinée...

Saviez-vous dès le début de votre collaboration qu’il abandonnerait la série ?

Oui. Il ne souhaitait plus réaliser de nouvelles séries. Nous avions conclu un accord : si le démarrage de la série laissait présager de bonnes ventes, je continuais avec un autre scénariste. Si cela ne marchait pas, on aurait eu le plaisir de faire un double album ensemble.

Comment percevez-vous les différences d’écriture entre les scénaristes avec lesquels vous avez collaboré : Duchâteau, Franz, Van Hamme et Cailleteau ?

La personnalité de chacun d’eux ressort dans leur style d’écriture, dans leur manière de travailler et dans les thématiques des séries.

Wayne Shelton T.3 : Le contrat
Ed. Dargaud

André-Paul Duchâteau a une imagination très visuelle. Mais la psychologie de ses personnages est généralement moins fouillée. Les Casseurs étaient une « série B » purement visuelle, et Al & Brock n’avaient, si j’ose dire, pas beaucoup d’épaisseur.
Le style de Franz sur (Gord) était proche de celui de Duchâteau, mais ses situations beaucoup plus dramatiques.
Jean Van Hamme incorpore de l’action, du visuel, mais aussi une épaisseur psychologique à ses histoires. Ses personnages sont attachants et ont des choses à exprimer, qu’ils soient bons ou mauvais.

Qu’en est-il de leur méthode de travail, notamment avec Cailleteau ?

Ces quatre scénaristes m’ont toujours présenté préalablement un synopsis complet avant d’entamer l’histoire. Concernant le découpage, André-Paul Duchâteau m’envoyait six ou huit planches à la fois. Thierry Cailleteau travaillait, lui, par séquences. Mais pour le prochain album, nous avons convenu qu’il m’enverra l’intégralité du découpage en deux parties. Jean Van Hamme, lui, m’envoyait l’ensemble des planches en une seule fois.

Comment s’est déroulée la transition entre Jean Van Hamme et Thierry Cailleteau ?

Jean Van Hamme
Ph : D. Pasamonik

Sans aucune douleur ! Jean Van Hamme a choisi son successeur avec Yves Schlirf [2]. Ils avaient sélectionné plusieurs scénaristes, puis ils se sont arrêtés sur Thierry Cailleteau. Je n’ai pas donné mon avis. Leur choix a été judicieux, je pense. Notre collaboration est juste un peu plus difficile compte tenu de la distance. Il habite à Rouen et moi dans le Brabant wallon. Nous communiquons beaucoup par courrier électronique et par téléphone...

L’univers de Shelton est totalement différent de ce que Cailleteau a pu faire jusque-là. Il s’est rarement détaché de la science-fiction...

Pourquoi cataloguer un scénariste dans un seul genre ? Thierry est un raconteur d’histoires moderne et inventif. Il adore les belles mécaniques et les armes. Il les utilise merveilleusement dans ses récits. Je suis certain qu’il serait capable d’écrire une histoire de Largo Winch en se documentant un peu. Il a beaucoup de potentiel !

Wayne Shelton T.4 : Le Survivant.

Thierry Cailleteau nous a d’emblée surpris en fondant son intrigue à partir d’un retour sur les deux premiers albums écrits par Jean Van Hamme, alors que l’on pensait que l’histoire close avec ce diptyque...

C’est une très belle trouvaille ! Jean Van Hamme, lui-même, l’a reconnu. Thierry a réussi là une très belle transition en recombinant des éléments du premier cycle dans ce troisième album. Il a commencé dès le début à creuser le passé de Shelton, à épaissir sa profondeur psychologique. Jean Van Hamme s’en était bien gardé. Les deux premiers albums étaient plus centrés sur l’action et sur la fine équipe qui accompagnait le héros.

En reprenant la série, Thierry Cailleteau nous a dit qu’il avait besoin de découvrir ce personnage et de tout faire pour qu’il lui soit sympathique. Son approche était assez bien vue : il a essayé de le comprendre et de le façonner. Dans le quatrième tome, on lui a découvert un fils qu’il ne connaissait pas. Thierry s’est servi de ce fils pour que notre héros soit confronté à des sentiments qu’il croyait ne pas avoir. A la mort de son fils, on lui découvre un sentiment de vengeance.

Qu’est ce que vous pouvez nous révéler à propos du prochain album ?

Wayne Shelton T. 5 : La Vengeance

Il se déroulera en Afrique. Wayne Shelton sera engagé par Honesty pour retrouver l’un de ces anciens amants. Ce ne sera pas une situation évidente pour Shelton, compte tenu de ses liens avec Honesty...

Votre parcours professionnel a été long avant de connaître un succès aussi important que celui-ci. Que ressentez-vous aujourd’hui face à l’accueil de Shelton ?

Rien n’est jamais gagné ! Ma longue carrière le prouve. J’ai eu des hauts et des bas dans ce métier. Des séries rencontrent le succès, d’autres pas. Les Casseurs avaient de bonnes ventes et les lecteurs nous ont suivi pendant de longues années. Mais c’est vrai que je n’ai jamais connu de situation comparable à celle que je connais avec Wayne Shelton. Il ne faut donc jamais désespérer.

Vous semblez motivé par le thème géopolitique de cette série. Votre graphisme s’est amélioré.

Je devais relever un sacré défi avec Wayne Shelton. D’abord, mériter la confiance de Jean Van Hamme. J’ai donc dessiné l’album le plus abouti possible. Jean n’a connu aucun échec ces dernières années. Si notre série avait été un fiasco, cela n’aurait été ni la faute de Jean, ni celle de l’éditeur, j’en aurais donc été le seul responsable !
Je m’y suis investi avec beaucoup d’énergie. Cela a été un challenge formidable, mais aussi la plus grande trouille de ma vie.
Aujourd’hui, je continue à m’investir au même niveau, car comme je le disais, rien n’est jamais acquis. Il faut rester vigilant. Je ne veux pas vivre une apogée puis redescendre. Si je dois claquer, autant le faire au sommet ! (rires)

Wayne Shelton
par Christain Denayer & Jean Van Hamme, puis Thierry Cailleteau au scénario (Editions Dargaud).

(par Nicolas Anspach)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Lire les chroniques du T2 - La Trahison, du T3 - Le Contrat, du T4 - Le Survivant, du T5 - La Vengeance

Photo de Denayer (c) Nicolas Anspach.

[1Quatre épisodes étaient prévus.

[2directeur de collection de Dargaud Bénélux

 
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