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Des Intégrales sous le sapin : Dargaud (1/2) - le passé revisité

Par Charles-Louis Detournay le 25 décembre 2021                      Lien  
La hotte du père Dargaud déborde cette année, au point qu'il va falloir y consacrer deux articles. Occupons-nous d’abord aux héros iconiques qui bénéficient d’un attention particulière de la part de l'éditeur parisien : Snoopy & Les Peanuts, Les Bidochon, Iznogoud, mais aussi d’une série magnifiquement remise au goût du jour : Condor ! Sans nécessairement atteindre la position de leader patrimonial détenu par Dupuis, Dargaud continue de gagner du terrain, notamment grâce à ses séries actuelles qui sont aussi qualitatives que souvent plébiscitées par les lecteurs et qui puisent dans le fonds de plusieurs revues historiques publiées par la maison, dont "Pilote", "Charlie Mensuel", etc.

C’est d’ailleurs l’une des stars du "Journal qui s’amuse à réfléchir" que nous avons mis en avant cette semaine, avec Le Meilleur Bestauf de la Rubrique-à-brac par Gotlib. Il a été rejoint en 2019 par l’un de ses compagnons de route de Fluide Glacial  : Binet et ses Bidochon, une véritable prise de guerre ! Ils continuent depuis lors de nous instruire en nous amusant avec à chaque fin d’année, un nouvel album d’Un Jour au musée avec les Bidochon.

Des Intégrales sous le sapin : Dargaud (1/2) - le passé revisité

La formule ne change pas pour cette huitième occurrence : un format carré protégé par une jaquette nous entraîne à la (re)découverte d’œuvres célèbres,doublement commentées par Pierre Lacôte et Patrick Ramade, experts issus du Musées des Beaux-Arts de Lyon, et de l’autre par Raymonde et Roger Bidochon mis en image par l’esprit aussi facétieux qu’artistique de leur auteur. Bref, on s’amuse et on s’instruit, en passant des œuvres de figures emblématiques ou d’inconnus, tout en profitant des réflexions décalées mais pleine de bon sens de cet emblématique couple d’héros de bande dessinée.

L’autre grande référence des intégrales Dargaud, depuis maintenant plus de quinze ans, reste cette collection intégrale des gags de Snoopy & les Peanuts. Pendant 50 ans, Charles Schulz a su dépeindre ses contemporains avec son regard génial grâce à cette formidable galerie de personnages.
Pour lui rendre honneur, Dargaud s’est donc lancé en 2005 dans un incroyable défi : rassembler l’intégralité de ce chef d’œuvre : strips, pages du dimanche, dans des albums au format à l’italienne, mettant en valeur le trait simple et génial de l’auteur.

Chaque recueil de trois cents pages reprend deux années du travail de Schulz, et c’est donc en toute logique qu’après vingt-cinq tomes, nous concluions à la cinquantième année de ce travail au long cours, avec les strips datés de 1999 à 2000.

Un dernier recueil qui bénéficie d’ailleurs de deux invités de marque (différents à chaque fois) : une introduction signée par le Président Barack Obama, accompagné d’un verbatim d’un autre président : Bill Clinton. Excusez du peu !

Sachez qu’il s’agit de l’avant-dernier tome de cette intégrale, car l’artiste nous a quittés en février 2000. Il est donc temps de rattraper votre éventuel retard, avant de découvrir dans six mois ce que Dargaud aura compilé pour le tomber de rideau.

« Je veux une intégrale à la place de l’intégrale »

Iznogoud reste l’un des personnages les plus connus créés par René Goscinny et Jean Tabary. En dehors de ses diverses adaptations et de ses nouvelles aventures parues en 2021, son archétype est souvent utilisé, notamment en caricature politique pour parodier certains élus.

Contre toute attente, l’horrible grand vizir n’avait pourtant jamais connu d’intégrale digne de ce nom. Il y a bien entendu les quatre volumes des éditions Rombaldi parus respectivement en 1975 et 1986. Bien qu’ardemment collectionnés, ils ne reprennent qu’une partie des albums parus et non la totalité des planches publiées, surtout pas toutes celles de Record, le premier magazine qui hébergea la série dès 1962 avant qu’elle ne paraisse dans Pilote, pour y rejoindre les autres héros de René Goscinny.

Bien sûr, il y eut les deux imposants recueils parus en 2015 et 2016 chez IMAV Editions, mais ils ne reprenaient que les histoires réalisées par Jean Tabary seul, après la mort de Goscinny, soit celles réalisées de 1979 à 1989, puis de 1990 à 2004. Les fins connaisseurs se souviendront également d’une grosse compilation parue chez le même éditeur en 2012, et sous-titrée « 25 histoires de Goscinny et Tabary de 1962 à 1978 ». Mais là encore, sa sélection non-chronologique se focalisait sur des séquences emblématiques. En même temps, il aurait été utopique de rassembler plus de 600 planches dans un volume de 270 pages.

Quoiqu’il en soit, en annonçant la parution d’un recueil pour cette fin d’année sous-titrée « 33 histoires de Goscinny et Tabary (1962-69) », Dargaud a réveillé les espoirs de voir une intégrale digne de ce nom combler les attentes des passionnés. Est-ce enfin le sésame tant attendu ? Oui…et non ! Oui, car l’éditeur complète des albums avec des séquences bienvenues. Non, car on attendait une véritable édition patrimoniale, et qu’il y a encore du chemin avant d’y parvenir.

Pour clarifier son contenu, revenons aux années 1960. Après avoir créé les ferments de la série au coeur d’une histoire du Petit Nicolas, Goscinny reprend l’idée avec Tabary pour le lancement du nouveau magazine Record. Intitulée Les aventures du Calife Haroun El Poussah, elle prendra plus tard le nom de son caractéristique méchant, le Vizir Iznogoud. Et ce sont justement ces premières histoires qui manquent à cette intégrale, notamment les deux composées de douze pages chacune avant que les auteurs n’adoptent le format de récits complets de huit planches. Des années 1962-69, manquent également à l’appel les courts récits intitulés Incognito, La Flûte à Toutous, La Chasse au Tigre, Le Marchand d’oubli et La Potion du Check (avec leurs éventuels « Retours ») qui se trouvaient par contre bien dans la première intégrale d’IMAV. D’autres récits des premières années ont été également laissés de côté : Le Labyrinthe, Le Terrible Doreur, Le Dodo fatal, Le Spectre du Calife, etc.

Pourquoi ? Parce que l’éditeur a pris comme référence le contenu des quatre premiers albums parus chez Dargaud à partir de 1966 [1], sans vraiment se soucier de l’ordre chronologique de réalisation. Un parti-pris heureusement compensé par une réelle plus-value, à savoir la présence des « Retours », qui étaient quant à eux absents de ces premiers albums, et qui n’ont été publiés finalement que quarante ans plus tard, en 2008.

Mais que sont ces « Retours » ? De toutes petits récits de deux planches réalisés à partir de 1965. Composés de titres à rallonge, ces conclusions après la lettre apportaient des explications sur les retours à la normale entre les chutes survenues à la fin de précédentes histoires de huit pages, de manière à se raccrocher à l’histoire suivante où l’on retrouvait le vizir à nouveau en poste. Comment Iznogoud est-il sorti de prison ou d’esclavage ? Comment est-il redevenu visible ou s’est-il retransformé en humain ? Voilà les réponses apportées par ce recueil, qui a donc le mérite de placer cette courte explication juste après les histoires proprement dites. Les lecteurs qui disposeraient donc déjà de ces quatre premiers tomes, trouveront alors là 24 pages inédites.

Annonce pour l’arrivée dans le magazine Pilote

Quant au dossier introductif, il ne contextualise pas du tout la création de la série, ni celles des histoires, ce qui ne légitime donc pas l’aspect patrimonial que l’on en attendrait. Il est composé d’une longue et complète interview de Plantu. Le dessinateur de presse revient sur sa carrière, ainsi que sur son admiration pour Izonogoud et ses auteurs, sans oublier son utilisation du personnage dans ses propres caricatures. Si on s’éloigne donc un petit peu de la série en elle-même, surtout dans cette époque de 1962-69, ce focus sur Plantu a le mérite d’exister, et donne au lecteur toute la mesure de la renommée d’Iznogoud dans l’Hexagone. On attend cependant un second recueil dans un proche avenir qui rassemble toutes ces histoires cultes…

Le Retour gagnant de Condor

Si l’on devait attribuer un coup de cœur à l’un de ces ouvrages de Dargaud, ce serait très certainement pour le premier recueil de Condor. Une série que les jeunes lecteurs connaissent sans doute un peu moins bien, mais qui mérite plus que le détour, car son dessinateur Dominique Rousseau dont nous avons parlé hier pour le dernier recueil de Vasco a retravaillé entièrement ces deux premiers tomes, ce qui les modernise tout en les rendant ultra-percutants.

Son magnifique petit dossier de cinq pages réussit l’équilibre parfait : il contextualise le propos de la série et des deux premiers tomes, notamment sur le tout premier tome initial dessiné par Jean-Pierre Autheman, tout en revenant via des verbatims sur l’atmosphère de leur création. Patrick Gaumer qui signe cette introduction avec son érudition habituelle, explique surtout comment Dominique Rousseau a repensé la série pour cette intégrale prévue en deux tomes : « [E]n revenant au noir et blanc, j’ai pu ajouter des décors, des cases de Condor qui n’existaient pas et qui sont venues alléger la narration. J’ai retouché quasiment tous les personnages sur ces deux premiers tomes. J’ai repris aussi tous les textes, en les recomposant parfois mot à mort pour les présenter sur plusieurs cases. Cette nouvelle version offre une mise en valeur, à tout point de vue, de l’histoire et du dessin. »



La première planche de la version initiale comparée aux deux premières pages de cette nouvelle version en noir et blanc vous donne un exemple du travail opéré par Dominique Rousseau. Le passage en trois bandes, l’agrandissement des cases et le fait de scinder les plus larges en deux cases distinctes confèrent plus de rythme à l’ensemble, tout en lui donnant les atours d’un roman graphique. Cette version épurée en noir et blanc nàous offre une longue et passionnante aventure de deux tomes de près de cent pages chacun.

Résultat : on vibre, on voyage, on rit et on tremble en suivant les aventures de Condor dans ces lieux exotiques, non sans parfois une petite touche érotique. Si vous ne connaissez pas encore cette série et si vous souhaitez renouer avec le souffle de l’aventure, n’hésitez pas un instant, car non seulement son prix est raisonnable (19,99 €), mais la seconde partie de cette intégrale ne devrait pas tarder à suivre très prochainement.

Et pour notre part, nous vous donnons rendez-vous demain, pour la suite de ce tour d’horizon des intégrales Dargaud de cette fin d’année !

Joyeux Noël à tous de la part de la rédaction !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782205085785

Dargaud à partir de 13 ans
 
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4 Messages :
  • Sans vouloir dénigrer, mais rendre justice, le mérite de Dargaud pour les "Peanuts" est de reprendre le formidable travail éditorial et la maquette de l’édition originale américaine, et de la traduire et mettre sur le marché français (ce qui n’est pas rien, d’autant que je soupçonne nombre d’amateurs dans mon genre de bouder ce travail au profit de l’édition originale, et pour le coup en passant sans scrupule par amazon). Ce n’est vraiment pas rien car celà permet j’espère de donner à connaître à un autre et nouveau public cette oeuvre dont l’intérêt excède largement le merchandizing qui a rendu ses personnages "iconiques".

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    • Répondu par RD le 25 décembre 2021 à  18:43 :

      J’allais le dire... C’est à Fantagraphics Books que l’on doit ce formidable travail d’édition. Bravo à Dargaud d’avoir tenu son engagement en assurant la traduction française jusqu’au bout. J’avais cru lire quelque part que c’est l’auteur Seth qui était responsable de la sublime maquette de ces livres mais je ne vois son nom nulle part. (Ça ressemble fort à la maquette de ses propres livres en tous cas.)

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      • Répondu par SebSo le 25 décembre 2021 à  21:35 :

        Dans l’édition originale, il est clairement indiqué : "Designer : Seth". Donc oui, c’est bien à lui qu’on doit cette très belle maquette...

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      • Répondu par Ddupuis le 26 décembre 2021 à  02:55 :

        Seth est effectivement crédité comme "designer" dans l’édition originale (que je n’ai pas acheté sur amazon :)

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