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Des guides touristiques aux couleurs de la BD

Par Charles-Louis Detournay le 15 avril 2010                      Lien  
Casterman s’associe à Lonely Planet pour lancer une nouvelle collection de guides, mêlant les visions personnelles d’auteurs et de journalistes. Premiers volumes : Bruxelles, Rome, New-York et Venise avec Schuiten, Martin, Chaillet, Hyman et Pratt.

Des guides touristiques aux couleurs de la BDMême si cette approche pouvait sembler curieuse, les Guides de Voyages de Corto ont connu un grand succès. Reprenant notamment des dessins d’Hugo Pratt pris sur le vif dans les lieux qui lui tenaient à cœur, deux de ses collaborateurs, Guido Fuga & Lele Vianello, lui avaient rendu hommage en évoquant le maître au sein de sa ville de prédilection : Venise. Le premier de ces guides permettait donc de découvrir la Sérénissime avec un regard nouveau, empreint de poésie et de petits détails secrets comme Pratt aimait en distiller dans ces albums.

Un second guide parut dans la foulée, reprenant des balades en Bretagne et intitulé Armoriques. Il n’en fallait pas plus pour que le concept s’étende. Pour faire le lien entre les dessinateurs désireux de faire passer la vision de ‘leur’ ville et des journalistes experts dans cette rédaction spécifique, les deux éditeurs spécialistes se sont donc associés : Casterman et Lonely Planet.

Une rencontre entre un auteur et un journaliste

Nous avons rencontré François Schuiten qui nous explique pourquoi il s’est intéressé à ce projet : « Je ne suis pas vraiment friand des travaux de commande, car j’ai besoin d’une longue gestation avant de ressentir et de concevoir un projet. Mais cette proposition m’a fort intéressé car Lonely Planet est un professionnel des guides. La collaboration avec la journaliste spécialisée Christine Coste me permettait d’utiliser ces mécanismes pour rendre ce livre à la fois pratique, intéressant, incisif, pertinent et évocateur. Je désirais réellement décrypter la Ville, et bien entendu, Bruxelles s’est directement imposée, mais pour l’aborder dans un rapport moins fictionnel qu’auparavant. »

Chaque guide profite de superbes pages de chapitre.

Sans vouloir supplanter les ouvrages existants, les ambitions de la collection sont clairement affichées, dans la lignée de la réussite des Guides de Corto : chaque ouvrage doit offrir un regard neuf en proposant des promenades par des chemins de traverse. C’est aussi l’occasion de profiter de l’empathie d’un auteur pour ‘sa’ ville par le biais d’illustrations originales, de plans détaillés afin de réaliser des parcours emblématiques et de profiter de l’atmosphère de quartiers spécifiques. Bien entendu, cela doit demeurer un petit format, aussi pratique à lire lors de son city-trip qu’à la maison.

Les marges des pages sont également l’occasion de découvrir une multitude de petits dessins, destinés à illustrer de courts articles.

« Ce n’est pas seulement un travail d’illustration », précise Schuiten,« mais une réelle collaboration qui s’est rapidement et agréablement mise en place : chacun a appris de l’autre à propos de la ville, dans un réel dialogue. Bien entendu, on va retrouver mes passions : le Palais de Justice, la jonction ferroviaire Nord-Midi, l’enfouissement de la Senne, Horta, etc. Lorsqu’on permet au lecteur d’entrer dans l’Histoire de Bruxelles, avec ses grands bouleversements, ses fractures et ses blessures, il peut alors comprendre cet amalgame de genres, et donc l’apprécier à sa juste valeur. »

Voir la ville autrement

L’atout de ces guides est la subjectivité qui en ressort : la poésie de Pratt, l’évocation antique de Martin, les personnages de Miles Hyman, et l’imaginaire de Schuiten : « L’âme de Bruxelles est cachée : ce qui la rend attachante se niche derrière les apparences et il faut du temps pour le détecter. Mais je voulais savoir ce que le dessin apporterait par rapport à la photo. Il me fallut donc introduire une dimension complémentaire, un point de vue, pour pénétrer l’invisible. Une autre image se crée alors, entre le réel, l’Histoire et les émotions. »

Entre description et interprétation, chaque lecteur trouvera son guide privilégié, mais il faut bien reconnaître que les Itinéraires de Bruxelles sont captivants. On y retrouve une série de dessins issus des Cités Obscures et d’autres ouvrages de Schuiten, liens naturels avec ses précédentes aventures qui sont toutes partiellement issues de l’imaginaire bruxellois. Mais plus de 85% des dessins du guide sont inédits et réalisés spécialement à cet effet. L’occasion d’accompagner le regard d’un grand auteur qui tente de saisir des lieux mystérieux, difficiles à comprendre, mais fascinants.

« Le Palais de Justice est une construction inimaginable dont on n’a pas encore percé tous les secrets ! Un étage complet et rendu inaccessible serait présent dans les sous-sols ; il y a une énorme salle centrale qui pourrait accueillir des spectacles de plus de quatre mille personnes ; sans parler des 70 % d’espace inutilisable. Et on vient de se rendre compte qu’on ne peut pas le sécuriser ! C’est un monstre fascinant ! »

Le Palais de Justice est au cœur d’un des itinéraires, comme les Marolles, la Senne enfouie, le Sablon, la Jonction Nord-Midi, les lieux de Schaerbeek célébrant l’art nouveau, et d’autres consacrant Horta, sans oublier bien entendu le quartier Léopold, sur les ruines duquel se dresse le nouveau Parlement Européen : « Ce bâtiment a pris une telle place dans Bruxelles qu’il est devenu incontournable. Il faut donc qu’on se l’approprie, même si cela m’est encore difficile. Dans les Portes du Possible, nous en avions d’ailleurs fait un casino ! »

Une bande dessinée à part entière

L’implication des auteurs donne une seconde dimension à ces guides : outre la découverte d’une ville à visiter, c’est une histoire que ces dessinateurs nous invitent à lire. Chaque dessin devant apporter un plus par rapport à la photographique, il y a alors une grande implication personnelle dans l’évocation des lieux et des personnages qui s’y rapporte. Cela a d’ailleurs été une nouvelle occasion pour eux de se plonger dans un sujet qui les passionne, et qu’il voulait partager avec le public. François Schuiten : « Un quidam me reconnaissant nous a conseillé d’aller visiter une passementerie toute proche, technique ancrée dans Bruxelles, fabriquant des franges, galons, pompons, etc. Cela a été le coup de cœur pour ces personnes, leur expérience, ainsi que pour leur travail et les machines d’époque toujours utilisées. Selon moi, le rôle d’un guide est aussi de détecter ce type de particularités, de voir derrière les façades. Par exemple, il m’a été extrêmement enrichissant de dessiner ce ‘pompon’, car il m’a permis de pénétrer leur métier, comprenant la matière et la technique de réalisation. Respectant le temps pris pour réaliser cet objet, je le dessine avec passion et humilité. C’est à chaque fois une réelle découverte. »

Miles Hyman qui nous livra un des premiers Rivage/Casterman/Noir, illustre cette vision personnelle en plaçant un grand nombre de personnages dans ses dessins de New-York : comprendre la ville, c’est aussi comprendre ses habitants et ces grands personnages qui l’ont immortalisée, tels Martin Scorcese ou Woody Allen. Avec son trait qui rappelle si bien les années d’après-guerre, il parvient à sortir New York de son vrombissement permanent pour cibler des lieux et magasins peu connus, qui font pourtant l’âme de la grosse pomme.

Rome, Venise, mais aussi Florence et Marrakech

Sans que cela diminue leur qualité, les city guides de Rome et Venise seront déjà connus des lecteurs adeptes de voyage en bande dessinée. Effectivement, les Itinéraires de Corto Maltese ne sont qu’une nouvelle maquette du guide dont nous en parlions en introduction. Toutefois, les lecteurs qui n’auront pas encore eu l’occasion de se l’approprier ne manqueront pas cette nouvelle chance. La nouvelle édition comporte une majorité de dessins en couleurs, les cartes sont plus claires, mais les illustrations un peu moins nombreuses.

De même, une bonne part des illustrations de Rome, Itinéraires avec Alix sont dues à Gilles Chaillet, dirigé par Jacques Martin pour les fameux Voyages d’Orion, devenu ensuite Les Voyages d’Alix. Le soin apporté à faire resurgir ces images du passé ont fait le succès de la collection de Casterman, qui compte maintenant une trentaine de titres, répartis sur plusieurs héros de Jacques Martin. Les textes sont ici bien entendu inédits, afin de coller à la volonté de la collection. Les nouveaux dessins sont dus à Enrico Sallustio, illustrateur du Voyage de Jhen consacré à Venise. Ce mélange de styles dénote plus que l’harmonieux guide de Corto Maltese, mais on se laissera convaincre par le petit format du guide qui permettra de l’emporter dans son sac à dos, afin de profiter au mieux des évocations historiques de la Ville Eternelle.

Fort de la qualité de ces quatre premiers guide, on peut se féliciter de voir cette collection s’enrichir de prochains titres déjà attendus : Marrakech par le fameux dessinateur des Carnets d’Orient, Jacques Ferrandez qui avait également signé le guide de Corto Maltese sur la Bretagne, tandis qu’on attend avec intérêt la vision de Florence que nous livrera Nicolas de Crécy.

De votre fauteuil, ces ouvrages sont un magnifique moyen de conjuguer l’art de l’auteur avec les hauts lieux de son attachement pour une ville. Mais la meilleure façon d’en profiter est sûrement d’emporter avec vous son ouvrage en allant visiter ces destinations de rêve : en fin de journée, repus de musées et d’églises en tous genres, vous profiterez avec plaisir d’une promenade calme en laissant votre regard se poser sur ces détails si intrigants, quidé pas à pas par des érudits amoureux de ces métropoles de légende.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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