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Des zombies au musée - Charlie Adlard (The Walking Dead)

Par Lise LAMARCHE le 28 juin 2019                      Lien  
Les morts-vivants n'ont peur de rien, c'est pourquoi les créations de Charlie Adlard envahissent le Musée d'Art Contemporain de Lyon, pour l'exposition "Walking Dead et au-delà...", une rétrospective impressionnante des travaux de l'artiste britannique.

La salle impressionne par sa taille et par le nombre de planches rassemblées. La bande-son, tirée d’une performance réalisée autour de The Walking Dead à Los Angeles, installe une ambiance un peu angoissante, renforcée par le fond rouge sur lequel sont disposées les planches originales et des impressions des travaux de Charlie Adlard jusqu’au 7 juillet 2019.

Un large panel des différents travaux du dessinateur est présenté, mettant l’accent sur la diversité des techniques utilisées et sur la variété des genres auxquels il s’est essayé. Un thème commun revient : la mort inéluctable et sa dimension horrifique, bien que le traitement qui en est fait soit bien différent selon les œuvres. La majorité des planches sont tirées de la série The Walking Dead, avec la version crayonnée par Charlie Adlard en vis-à-vis de la version encrée par Stefano Gaudiano, qui a rendu ses dernières pages pour la série dans le fameux numéro 192.

Des zombies au musée - Charlie Adlard (The Walking Dead)
Séance de dédicace au musée

Nous avons assisté au vernissage de l’exposition avec l’auteur, qui a d’abord présenté ses planches puis répondu à nos questions et à celles du public.

Charlie Adlard salue tout d’abord le travail de Stefano Gaudiano, tout en confiant qu’il est heureux de revenir à l’encrage de ses propres planches. Ce dernier est entré dans l’équipe pour permettre au dessinateur de dessiner deux numéros par mois, soit deux fois vingt-deux pages et deux couvertures. Le seul moyen de tenir le rythme était d’avoir recours à un encreur. Charlie Adlard a également dessiné en 2019 l’album Vampire State Building, scénarisé par Patrick Renault et paru en mars 2019 chez Soleil. Maintenant que le premier tome est achevé, l’auteur britannique va pouvoir recommencer à encrer ses propres pages.

Rock Bottom © Charlie Adlard (photo. : L. Lamarche)

Charlie Adlard présente ensuite ses travaux antérieurs à The Walking Dead. Se détachant des autres planches par la blancheur des pages, Rock Bottom (Scénario : Joe Casey) a été publié pour la première fois en 2006. Il raconte l’histoire d’un homme qui se pétrifie peu à peu, inéluctablement, et doit accepter sa propre mortalité. Dans cet album, le dessinateur a restreint drastiquement les encrages dont il est friand, pour livrer des planches plus aérées, avec un travail délicat sur les textures. Il concède qu’il s’agissait d’une prise de risques pour lui, car il ne pouvait pas se retrancher derrière l’encrage pour cacher des défauts.

White Death © Charlie Adlard (photo. : L. Lamarche)

White Death est l’œuvre qui lui tient le plus à cœur, celle qu’il recommande aux lecteurs de The Walking Dead qui souhaitent découvrir d’autres de ses œuvres. Il a demandé à son ami Robbie Morrison de lui écrire une histoire en lui suggérant quelques images qu’il avait en tête. Robbie Morrison a ensuite élaboré le concept de White Death d’après une histoire vraie : pendant la Première Guerre mondiale, les Austro-hongrois et les Italiens se servaient de leurs armes dans la montagne pour déclencher des avalanches contre l’ennemi. [1]

Dans White Death, pas de plume ni d’encre de Chine, l’artiste utilise du charbon et de la craie, pour un rendu plus flou et des images frappantes. Privilégiant les larges cases silencieuses, cet album exprime magistralement la solitude, le froid et l’horreur de la guerre.

Dans un tout autre registre, le dessinateur commente les pages de son dernier album Vampire State Building (avec Patrick Renault). Contrairement à TWD qui est dessiné entièrement sur papier, Charlie Adlard l’a réalisé numériquement, bien que selon ses dires, il travaille plus lentement ainsi. L’artiste cherche toujours à faire évoluer sa pratique, à tester de nouvelles techniques et à choisir celles qui seront les plus adaptées à l’histoire qu’il dessine.

Essai de couverture pour Vampire State Building © Charlie Adlard (photo. : L. Lamarche)

Il conclut sur quelques pages de The Passenger, un autre projet avec Robert Kirkman, débuté en 2011, mais encore inachevé. Quarante-trois pages ont été dessinées. Il s’agit d’un récit de "hard science-fiction" que Charlie Adlard souhaitait dessiner à la manière franco-belge, avec de grandes cases et un format plus large. Robert Kirkman a dû s’essayer à ce style qu’il maîtrise moins :

La structure en 16 cases est bien identifiable - The Passenger © Charlie Adlard (photo. : L. Lamarche)

« Dans Passengers, Robert s’est fixé une base de gaufrier de seize cases, qu’il a ensuite fait évoluer. Certaines cases ont fusionné, j’ai rajouté des cases à bort perdu pour dynamiser la page, mais on peut toujours voir le gaufrier de base. C’est amusant de voir Robert essayer de s’adapter avec plus ou moins de succès.
Mais Robert a interrompu l’écriture, alors qu’il ne lui restait qu’une dizaine de pages pour terminer !
Nous en avons longuement discuté il y a quelques semaines et j’espère que nous arriverons à le terminer cette année. Je l’ai même menacé de publier ce travail sous forme d’artbook s’il ne finissait pas le projet.
Le seul problème si nous voulons le finir, c’est que cela commence à dater, mon style a évolué en huit ans. Je vais devoir dessiner de manière "rétro" pour que les styles correspondent. Quand je regarde certains détails, je me dis que maintenant je ne le ferais plus comme cela. Mais c’était amusant à dessiner, je n’ai pas beaucoup fait de science-fiction jusque-là et j’aimerais vraiment le terminer.
 »

Charlie Adlard devant les planches de "Rock Bottom" (photo. : L. Lamarche)

Après cette présentation de l’exposition, Charlie Adlard répond avec beaucoup d’amabilité aux questions du public et aux nôtres.

Comment arrivez-vous à dessiner The Walking Dead en même temps que d’autres séries ?

Je me lève tôt et je travaille pendant que mes enfants sont à l’école. Ils ont pas mal de trajet, donc ils reviennent vers 18 h et c’est là que je m’arrête. Il m’arrive de travailler le matin pendant le week-end, mais seulement quelques heures.
Pour The Walking Dead, quand je ne faisais que les crayonnés, il me fallait deux semaines pour faire vingt pages. J’arrivais à faire trois pages par jour. Vous pouvez constater que "Vampire State Building" me prenait beaucoup plus de temps, il y a davantage de détails. Et je suis moins efficace quand je travaille numériquement. C’est terrible car on peut zoomer énormément et passer des heures à peaufiner un détail qui sera à peine visible sur la page, je dois parfois me restreindre moi-même !

Après quinze ans à travailler sur The Walking Dead, est-ce plus difficile ou plus facile de dessiner cette série ?

Un peu des deux. C’est sans doute plus difficile car j’ai déjà dessiné tellement de zombies, c’est dur d’innover

Est-ce que vous changez de style quand vous travaillez sur d’autres projets ?

Oui, je fais des expériences. The Walking Dead est dessiné de manière très traditionnelle, avec mes techniques qui me sont propres. Avec The Passenger, j’ai voulu travailler avec des pinceaux. Avec The Walking Dead, ce sont plutôt des stylos, c’est plus rapide et plus facile. Vampire State Building est fait numériquement, c’est forcément très différent, c’était une expérimentation. White Death est fait avec du charbon et de la craie. Codeflesh est dessiné sur un papier plus rugueux et avec des pinceaux. La texture et les effets sont sympas.

À chaque fois, il y a un choix délibéré de style, en lien avec l’histoire. Je trouve cela plus intéressant d’adapter les techniques.

Mon prochain travail sera fait numériquement, mais avec des outils plus texturés. J’aimerais que cela rende un peu comme les comics des années soixante. Mais on verra à quoi ressemblera le résultat final.

Le script de Robert Kirkman est-il très détaillé ? Quelle est votre marge de manœuvre ?

Je suis très libre, surtout pour The Walking Dead. Après quinze ans de collaboration, nous avons développé une complicité. Il écrit encore un script de manière traditionnelle, mais la description est succincte.

Vous est-il déjà arrivé de demander à Robert de modifier le script ?

Non, vraiment très rarement. Nous nous abstenons en général de critiquer le travail de l’autre, déjà car nous parlons rarement, nous avons trop de choses à faire. Et puis il y a beaucoup de respect mutuel, il sait écrire, moi pas, donc je respecte ses décisions. Mais il ne sait pas dessiner et il me respecte en tant qu’artiste.

Une des rares fois où je lui ai envoyé un mail, c’était pour la scène où Michonne torture le Gouverneur, je lui ai demandé de me convaincre de dessiner cet épisode de cette manière, et il l’a fait, donc je l’ai dessiné. Une fois aussi, au tout début, je ne lui ai pas demandé de changer le script, mais j’ai fait un commentaire qui l’a conduit à réécrire la moitié de l’histoire dans un des numéros.

The Walking Dead - crayonné par © Charlie Adlard (photo. : L. Lamarche)
The Walking Dead - encrage par Stefano Gaudiano (photo. : L. Lamarche)

En tant que lecteur, quels sont vos lectures préférées ?

L’artiste que j’admire par-dessus tout est Alex Toth, il est phénoménal, il est tout ce que j’aimerais être. Il arrive magnifiquement à tout réduire à de simples lignes, il maîtrise l’atmosphère, la narration. Il sait exactement ce qu’il faut mettre dans une case. Il était connu pour dessiner plein de détails puis pour tout encrer par-dessus car ils n’étaient pas nécessaires.

Je suis aussi très fan de "bande dessinée". J’adore Baru, je possède quelques pages originales de L’Autoroute du soleil. Il y a aussi bien sûr Hugo Pratt, même s’il n’est pas français.

J’adore aussi les artistes américains des années soixante et du début des années soixante-dix. C’était une période intéressante car il avaient un style photo-réaliste vraiment incroyable, en même temps que la sensibilité des années soixante qui était très particulière, avec des objets au design magnifiques, fluides. C’était une période magique, tout se conjuguait : le design, les illustrations,...

Et j’aime beaucoup aussi Chris Hamley. Dans son travail on voit tout de suite la parenté avec Alex Toth, d’ailleurs.

Le numéro 192 de The Walking Dead est déjà devenu mythique car il montre la mort de Rick, le personnage principal de la série. Quelle a été votre réaction quand vous avez appris sa mort ?

Eh bien, je savais dès le début que cela allait arriver, mais pas quand ni comment. Dans TWD, nous avons décidé que personne n’était intouchable, c’est un univers qui est assez solide pour ne pas reposer sur un seul personnage. C’était une forme d’inévitabilité.

Rick Grimes © Charlie Adlard (photo. : L. Lamarche)

Allez-vous regretter de ne plus dessiner Rick ?

Honnêtement, Rick est un des seuls personnages dont je ne me suis jamais lassé. Peut-être parce que son apparence a changé au fil des années. Il est rasé de près au début, puis il a une barbe de quelques jours et des cheveux un peu plus longs, une barbe ensuite. Il y a les quatre étapes de son évolution.

Que préférez-vous dessiner ?

Je préfère de loin faire les personnages. Ce n’est pas que je n’aime pas les zombies, mais ils sont faciles à dessiner, en quelque sorte, et par conséquent un peu inintéressants. Dans l’art, ce qui est intéressant c’est le défi.

Qu’est-ce qui représente un défi pour vous ?

Sans doute représenter les émotions. C’est une série où les émotions sont extrêmement fortes, j’essaie de les rendre sans tomber dans le cliché, en étant réaliste.

Y aura-t-il de nouveaux lieux, de nouveaux paysages dans la suite de The Walking Dead ?

Je vais vous répondre ainsi : il y aura des points de vue intéressants dans le prochain numéro. Après le numéro 192 c’est le début d’un nouvel arc narratif. 192 est la fin de la collection en 12 tomes, de la collection en 24 tomes. Et il y aura des choses intéressantes ensuite.

The Walking Dead © Charlie Adlard (photo. : L. Lamarche)

Que pensez-vous de cette exposition qui vous est consacrée au MAC ?

La taille en elle-même est fantastique, je suis profondément honoré.
Quand on dessine quelque chose comme The Walking Dead, on ne pense pas vraiment à ce que cela implique sur le coup. Mais quand des gens regardent ce que vous avez fait de cette manière-là et en font cela, c’est incroyable.

Voir en ligne : Exposition Charlie Adlard, Walking Dead et au-delà...

(par Lise LAMARCHE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Exposition Charlie Adlard, Walking Dead et au-delà...
7 juin - 7 juillet 2019

Musée d’Art Contemporain de Lyon
Cité Internationale
81 quai Charles de Gaulle
69006 Lyon
France

Au sujet de The Walking Dead, lire, sur ActuaBD :
- Negan
- les chroniques des tomes 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28 et 29.
- la chronique des volumes 1 et 2 de l’édition prestige
- l’interview de Charlie Adlard réalisée en juin 2014
- la chronique consacrée à l’artbook de Charlie Adlard
- L’article sur le numéro 192

[1Dans les mois à venir, Robbie Morrison et Charlie Adlard devraient de nouveau collaborer pour un album historique chez Delcourt.

 
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