Ce n’est pas la première fois que Desberg et Griffo collaborent. En 2008 déjà, le dessinateur flamand avait participé au cycle pluri-scénaristes et multi-dessinateurs en 7 tomes Empire USA. Griffo y avait assuré les dessins des tomes 1 et 4 et celui des 7 couvertures. Sous la menace d’un projet d’attentat d’envergure, la survie des États-Unis dépend du seul employé de la CIA qui a envie de se faire sauter le caisson !
Ce type de projet répond à l’environnement télévisuel des séries de type 24 heures Chrono qui arpègent à l’infini les théories du complot réifiant les angoisses tapies dans l’air du temps. Jean Van Hamme, avec XIII, a été un des premiers à comprendre cette donnée et à l’appliquer à la bande dessinée, avec le succès que l’on sait. Rien d’étonnant à ce que Desberg emboîte le pas.
Mais les États-Unis ont pour Desberg une résonance plus personnelle que chez Van Hamme. Le père du scénariste était citoyen américain, responsable de la distribution en Belgique des films de la MGM puis de la 20th Century Fox, c’est-à-dire l’un des plus puissants vecteurs de diffusion de la mythologie américaine dans ce pays qui avait accueilli le SHAPE et l’OTAN.
Il faut lire Sherman avec cette grille de lecture. On y voit un tycoon de la finance à l’apogée de sa puissance. Il incarne parfaitement le rêve américain (ironiquement : le Sherman Act est la première loi anti-trust des USA) : parti de rien, il est devenu l’un des financiers les plus en vue du pays. Si puissant que son propre fils est candidat aux élections présidentielles. Mais celui-ci se fait abattre et la vie de Sherman s’en trouve bouleversée. L’enquête l’oblige à revenir sur les traces de son passé trouble, jonché de cadavres.
Sherman sent bien évidemment, un peu trop parfois, le recours au fil blanc du hard boiled le plus classique. Mais c’est le propre à la littérature de genre à laquelle Desberg ne prétend pas échapper. La recette est certes éprouvée, pour ne pas dire éculée, mais elle reste savoureuse car nous avons affaire ici à un tandem de professionnels madrés qui nous montrent à quel point la puissance américaine avait partie liée avec la mafia d’origine européenne et dans quelle mesure son succès, dissimulé sous une épaisse mythologie confinant à de la propagande, recèle bon nombre de ténébreux et inavouables secrets.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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