L’album s’ouvre « à Damme en Flandres » [1], au mois de mai 1562. Il met en scène un jeune homme qui rejoint le parti des Gueux de Guillaume 1er d’Orange-Nassau, dit « le taciturne », opposé à Philippe II de Habsbourg, empereur d’Autriche et roi d’Espagne. Il ne s’agit pas seulement d’un conflit de têtes couronnées, c’est ici que se joue la Contre-Réforme, un combat à mort entre Rome et les Protestants.
Si cet aspect religieux est quelque peu escamoté dans la bande dessinée de Willy Vandersteen, il a su en revanche rendre le souffle épique de l’œuvre originale.
« À Damme en Flandre, il y a rien, il y a tout, et ce tout, encore, n’est que mensonge » déplorait l’écrivain Michel de Ghelderode [2] qui soulignait le caractère factice de cette mythologie dont il ne retrouvait pas trace sur le lieu : « Il y a toujours ce beau canal qui s’amorce au Fort Lapin. Ne cherchez ni le fort, ni le lapin. Suivons la berge du beau canal rectiligne, aux eaux sans force, en surplomb, qui n’est plus rien et qui ne va nulle part, lui non plus, puisqu’il s’arrête devant un mur de quai, au-delà de la frontière, dans une petite ville zélandaise qui fut un port fameux et qui n’est plus que ruines. »
Pour lui, la Flandre est un songe : « Le rendez-vous déçoit, bien qu’il y ait l’intense présence. Mais pareil terroir n’est pas à qui l’occupe, mais à qui le conquiert. Aussi faut-il l’approcher en distrait, en abstrait pour être exact, et l’âme en fraîcheur. »
L’image de la Flandre
L’album de Vandersteen est plein de ces paysages fascinants scandés de beffrois noirs, de saules-têtards et de sombres bâtisses aux fenêtres rares et aux toits de chaume qui sont l’image de la Flandre.
Ils contredisent les affirmations désabusées de Ghelderode. Il n’est pas jusqu’à la bichromie, velouté de brun et de rouge donnant un halo de mystère à des paysages bistres, qui n’évoque avec une réelle justesse la terre nue de Flandre en février ou en novembre.
Au rythme d’une page par jour, Vandersteen lui restitue toute sa force d’évocation, sa magie. On voit bien d’ailleurs, où il est allé la chercher : comme dans Le Fantôme espagnol, une histoire de Bob & Bobette située à Bruxelles à la même époque, c’est la dynastie des Bruegel, l’Ancien, l’Enfer et le Velours [3], qui lui offre le décor et les personnages.
Il y ajoute l’arsenal du roman populaire : un loup-garou et une sorcière, des combats de cape et d’épée. Du grand art !
Le deuxième épisode est plus leste, et d’ailleurs, il ne se passe pas en Flandre. Vandersteen a laissé son premier assistant, Karel Verschuere, la bride sur le cou. Bruegel est loin, puisque cet épisode se passe en Amérique.
Il reste néanmoins la figure même d’Ulenspiegel, d’extraction typiquement romantique : forte et symbolique. Il est comme le vent de Flandre, en liberté dans la plaine : frondeur, rebelle, impétueux. Ghelderode finit par en convenir qui fait l’éloge des arbres de Flandre, les seuls à lui résister : « Au bout de la plaine maritime, où dialoguent le chêne et le roseau, j’ai rencontré le fol et toujours jeune Ulenspiegel qui m’a conté de poétiques sottises :
« La fleur fait sourire ; l’arbre rend pensif, car l’arbre et l’homme sont des proches. Où sont les hommes qui donnent des fruits ? L’arbre étend ses bras et gesticule ; il hoche au vent de sa tête ébouriffée et il bavarde, les oiselets étant ses mille pensées. Mais il faut se méfier des arbres que l’on plante en l’honneur de la liberté : c’est qu’on finit par y pendre des vrais hommes libres ! »
Et Ghelderode de conclure : « Ayant dit, Ulenspiegel grimpa à l’arbre et s’y balança mieux qu’un singe. » [4]
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Lire aussi : Les années Tintin de Willy Vandersteen Par Morgan di Salvia.
En ce moment deux expositions bruxelloises permettent d’admirer des originaux de Vandersteen et, notamment de Thyl Ulenspiegel :
Willy Vandersteen, l’épopée bruxelloise
Hôtel de Ville
Grand Place
Du 24 juin au 27 septembre 2009.
Exposition Willy Vandersteen
du 18 juin 2009 au 10 janvier 2010
La Maison de la Bande Dessinée
Bd. de l’Impératrice 1
1000 Bruxelles
Du mardi au dimanche de 10h à 18h30
Autres destinations :
La Calcutta de Sarnath Banerjee
La Mexico City de Jessica Abel
[1] Le traducteur francophone de cet album a préféré mettre les "Flandres" au pluriel (Flandre orientale et Flandre occidentale). Dans le texte de De Coster, il est néanmoins au singulier.
[2] Michel de Ghelderode, La Flandre est un songe, Durendal, 1953, p. 49.
[3] les Bruegel dits « d’Enfer et de Velours » sont les deux fils de Pierre Bruegel l’ancien, ainsi surnommés en raison de la qualité de leur couleur rouge qui permettait de les distinguer l’un de l’autre.
[4] Michel de Ghelderode, idem, p.77.
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