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Deux BD de Sfar pour le prix de… deux !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 7 juin 2023                      Lien  
L’actualité de Sfar n’arrête jamais. Comme un volcan qui répand sa lave en coulée continue avec de temps en temps une éruption tonitruante. Tout à tour auteur de bande dessinée, cinéaste, romancier, diariste, il n’oblige personne, dit-il, à tout voir ou à tout lire. Parfois, il fatigue. Je veux dire, à la façon dont un critique qualifiait « Salammbô » de Flaubert : « Il assomme les lecteurs autant que les soldats. » On l’a vu pour Flaubert : ça n’empêche pas le chef d’œuvre. Là, au printemps, deux pavés sont tombés dans la mare aux bandes dessinées : « Riviera », un polar niçois, et « Les Enfants ne se laissaient pas faire », son dernier « carnets » où il évoque l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Poutine. Deux lectures qui ne gâcheront pas votre été, que du contraire.

Ce sont deux exercices très différents. Le premier relève du polar. Oh, pas à la façon d’un Dashiell Hammett avec des personnages sombres, bien campés, dans une intrigue savamment construite, mais plutôt un récit simple aux apparences foutraques à la façon d’un Romain Gary, toujours un peu farce et haut en couleurs, même si ici, c’est dessiné en noir et blanc, avec quelques saillies bien senties sur la marche du monde.

Deux BD de Sfar pour le prix de… deux !

Visez l’incipit : « Ne croyez pas les antisémites. Il existe plein de Juifs honnêtes… Moi, malheureusement, je n’en fais pas partie… » Nous sommes à Paris, dans un petit restaurant cacher de quartier, et le Covid est là avec Emmanuel Macron plein l’écran qui dit, en français et en langage des signes : « Quoi qu’il en coûte… »

Il a beau dire, le petit président, c’est pas ça qui va sauver la boutique : comment se faire rembourser du chiffre d’affaire quand la majorité de la recette est au black ? Les événements s’enchaînent pour Formidable, le héros principal qui, on vous l’a dit, n’est pas franchement une oie blanche et qui même, a la gâchette facile. Il ne faut pas le chercher le Niçois ! Un simple convoyage de cash de Paris à la Promenade des Anglais devient une aventure sans retour. C’est un album malin, touchant, drôle aussi, l’un des meilleurs de l’auteur du Chat du Rabbin.


Le Carnet est un peu plus déstructuré. C’est comme un journal mais dont on sent que de nombreuses pages intimes ont été expurgées. Celles publiées sont possiblement remises dans un autre ordre. C’est pourquoi sans doute, Jean-Christophe Menu que l’on voit caricaturé dans ces pages, juge la démarche « insincère ». C’est finement vu, à partir du moment où l’on apprête une matière brute pour sa publication. Mais on le sait depuis longtemps, chez Sfar, on est davantage chez Hugo (Hélas…, comme disait l’autre) que chez Stendhal.

Pourtant ce Carnet-ci touche plus qu’à l’ordinaire. Pas pour la séquence Covid (Sfar a été gravement touché par le virus et n’a pas été loin d’y passer) que nous avions déjà entraperçue dans La Synagogue, mais parce que le premier sujet de ce carnet est éminemment contemporain : il raconte au jour le jour comment l’auteur dont une partie de la famille est juive d’origine ukrainienne et dont la première femme est lituanienne, reçoit les informations terribles qui nous sont distillées quotidiennement par les médias et qui nous viennent de « la petite Russie. »

Sfar en profite pour démêler la fabrication russe qui consiste à traiter les Ukrainiens de « nazis » et qui -Sfar le rappelle- n’est pas complètement infondé quand on considère le rôle joué par certains Ukrainiens (mais aussi des Lituaniens) dans la Shoah dite « par balles ». Mais il n’élude pas leur résistance aussi. Sfar explique tout cela, au fil de ses lectures, prenant soin de ne pas prendre une posture d’historien.

Le titre, « Les Enfants ne se laissent pas faire » renvoie au fait que les nazis et leurs séides abattaient les mères sans « gaspiller » la moindre balle pour les enfants, laissant les nourrissons agoniser aux côtés de leurs cadavres... Cette insondable inhumanité, cette ignoble noirceur, il la raconte à travers son ressenti de Juif français, descendant de ce peuple massacré, avec l’acuité d’un humanisme indigné.

Cela faisait longtemps que Sfar tournait autour de la question de la Shoah. Il l’aborde pour la première fois frontalement, avec une habile justesse, dans un souci de transmission. On recommande.

Deux ouvrages à lire donc, pour de bonnes heures de lecture en bonne compagnie, qui méritent le prix payé pour cette double acquisition.

Voir en ligne : SFAR AU MÉMORIAL DE LA SHOAH

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

SFAR AU MÉMORIAL DE LA SHOAH. Pour les Parisiens d’élection ou de passage, Sfar est présent ce samedi 10 juin au Mémorial de la Shoah à 17h. Une rencontre animée par l’excellent Victor Macé de Lépinay où il parlera de son Carnet, « Les Enfants ». C’est gratuit mais inscrivez vous vite, il n’y a que 160 places. (Lien ci-dessous)

Acheter « Riviera » – Par Joann Sfar – Ed. Sonatine
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