Tout juste libérée de prison, Arlette se retrouve seule en plein hiver dans le Paris des années 1940 sous occupation allemande. Dans sa petite robe d’été, la jeune femme se sent mal à l’aise. En dépit du couvre-feu, elle erre de bals clandestins en cabarets cachés et fait des rencontres inattendues.
Arlette croise ainsi un petit racoleur, des policiers soupçonneux, des commerçants peu scrupuleux, des silhouettes sombres et surtout la mystérieuse Anna ! Cette jeune femme brune est magicienne, fermée et peu disponible pour une histoire d’amitié.
À l’inverse d’Arlette, légère et insouciante, Anna se montre inquiète, très méfiante... Peut-être est-elle traquée ? Est-elle réfugiée, collabo, résistante... ? Pourtant, de cette rencontre fortuite va résulter une virée improvisée pleine de surprises dans ce Paris des années noires. Les deux femmes sont à la recherche d’un refuge, d’amis susceptibles de les héberger voire de les protéger. Mais dans la capitale occupée où règnent le soupçon et la dénonciation, les deux fugitives ont bien du mal à trouver "leur chemin".
Le dénouement de cette troublante et étrange escapade viendra sans doute avec le lever du jour. Pour cela, il faudra encore patienter ; au moins jusqu’à la parution prévue du second tome de cette histoire dans laquelle les auteurs ont choisi de prendre le temps de nous installer.
Ce diptyque a pour cadre les rues sombres et menaçantes d’un Paris sous l’occupation qui a manifestement inspiré les auteurs et plus particulièrement Alexandre Coutelis dans le traitement graphique.
Rencontre improbable entre deux personnages "à la marge", un peu paumés, allusion au marché noir, ambiance de pénombre... On serait tenté de rapprocher la déambulation des deux héroïnes avec celle de Gabin et de Bourvil dans La Traversée de Paris. Au delà de ces similitudes essentiellement liées au contexte historique, le scénario se distingue assez vite du film de Claude Autant-Lara par le rythme et le caractère des deux femmes.
Trois auteurs se sont associés pour produire ce récit à paraître en deux volumes : Jérôme Tonnerre et Patrice Leconte issus du cinéma et Alexandre Coutelis, dessinateur polyvalent, héritier du style de Jijé [1]., notamment par sa capacité à créer des ambiances propices au mystère et au suspens.
Leconte et Coutelis se connaissent depuis longtemps, car ils se sont croisés dans les couloirs et les Pages d’actualité du magazine Pilote des années 1970. Avant de devenir le cinéaste des Bronzés, Patrice Leconte a dessiné de nombreuses planches tandis que Coutelis rejoignait le journal en 1971 avant de travailler avec entre autres avec Jean-Michel Charlier lors de la reprise de Tanguy et Laverdure.
Cinquante ans plus tard, les deux créateurs sont désormais à nouveau réunis au sein du label Grand Angle des éditions Bamboo. L’association du cinéaste et de ce dessinateur confirmé s’avère particulièrement efficace et très convaincante. Au découpage rythmé et très cinématographique des scénaristes, répond le trait souple et les ambiances si particulières du second.
L’atmosphère de ce Paris nocturne quasi désert est magnifiquement rendue grâce à la maîtrise des aplats noirs et à la forte présence graphique du dessinateur. L’ensemble fonctionne et entraine le lecteur à la suite de ces deux héroïnes dans un climat digne des films noirs.
Nul ne doute qu’avec de telles têtes d’affiche, cet album à la fois original par le propos et son classicisme sûr et assumé du dessin ne devrait pas passer inaperçu. À suivre de très près !
(par Patrice Gentilhomme)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
[1] Pour mieux connaître celui qui considère « le dessin comme un sport de combat », on se reportera au numéro 14 de l’excellente revue Tonnerre de Bulles qui lui fut consacré en 2017.
Participez à la discussion