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Didier Pasamonik : "Non, Superman n’est pas juif ! "

Par Arnaud Claes (L’Agence BD) le 27 octobre 2007                      Lien  
L’exposition "De Superman au Chat du rabbin" inaugurée la semaine dernière bat son plein en ce moment. La question est présente dans plusieurs articles : Superman est-il juif ?

Dans Le Monde daté du 25 octobre, il y a un superbe article concernant l’exposition De Superman au Chat du rabbin dont tu es le conseiller scientifique intitulé :"Superman, un héros juif". Ce titre te fait réagir ?

Il me fait bondir, oui ! D’abord parce que ce n’est pas vrai, ensuite parce que cette affirmation est à l’opposé de ce que nous avons voulu faire dans cette exposition : présenter une approche du rôle de l’histoire juive dans l’évolution de la bande dessinée et du roman graphique. Comme le dit la directrice du musée Laurence Sigal dans la préface du catalogue, cette exposition n’attribue pas à la bande dessinée une spécificité juive. Elle écrit : « Elle pose les choses avec la précision historique et le sens de la nuance nécessaires : les juifs ne sont pas les inventeurs de la bande dessinée et ni le Spirit, ni Superman ne sont des héros juifs  ». C’est écrit noir sur blanc en page 6 de notre catalogue !

Il n’est pas vrai que Superman soit juif. Cette affirmation traîne depuis quarante ans dans la littérature spécialisée sur la bande dessinée. L’article nous est favorable, dit de l’expo qu’elle est "remarquable et érudite", mais ce titre ne nous rend pas service. Pas un de nos dossiers de presse, pas une seule mention dans l’exposition n’entérine cette affirmation. C’est une connerie. Voyant venir le coup, j’avais précisément écrit pour L’Arche, le mois dernier un article intitulé "Superman, un héros non-aryen". Ceci est bien plus exact. N’oubliez pas que ses aventures s’adressaient au plus grand nombre. Les auteurs ont donc gommé très tôt toute aspérité minoritaire. Ils ont d’ailleurs été dépossédés de leur personnage dès 1946.

Didier Pasamonik : "Non, Superman n'est pas juif ! "
Joe Kubert et Didier Pasamonik dans l’exposition "De Superman au Chat du rabbin"
Photo : L’Agence BD

Plus fondamentalement, Superman est un extraterrestre, né sur la planète Krypton. Il est recueilli par une famille de protestants que certains auteurs qualifient de méthodistes. Quand Superman se marie, ce n’est pas à la synagogue ! Le même article cite Goebbels qui aurait dit dans une réunion que "Superman était juif". Après plusieurs années de recherche, je n’ai pas trouvé de preuve historique que ces mots que je soupçonne avoir été inventés par Jacques Marny en 1968, aient été prononcés par le chef de la propagande nazie, par ailleurs féru de BD si l’on en croit le témoignage de Milton Caniff. En revanche, suite à une bande dessinée de Superman datant de février 1940, un journal SS répliqua en avril de la même année en signalant l’origine juive des créateurs du premier super-héros de l’histoire des comic-books, prenant soin de dire que Siegel était "intellectuellement et physiquement circoncis". Les nazis ont donc été les premiers à désigner les origines juives des auteurs de Superman.

En quoi cette exposition a-t-elle bénéficié du travail que tu mènes depuis plusieurs années avec Annie Baron-Carvais, récemment décédée, pour éditer un ouvrage consacré aux juifs dans la bande dessinée, La diaspora des bulles , dont la parution est désormais annoncée pour fin 2008 ?

En 1972, sur un scénario du Juif pratiquant Eliott Maggin et Curt Swan au crayon, il est montré au chevet de son père adoptif priant comme un bon Protestant (Must There Be a Superman, Janvier 1972).
(C) DC Comics

D’abord, ce n’est pas un livre que nous avons mené seuls. Il y a près de trente auteurs qui y contribuent et plusieurs d’entre eux (Eddy Portnoy, Martin Winckler...) ont participé aux débats qui ont eu lieu dimanche dernier. Bien entendu, les concepteurs de l’exposition se sont notamment appuyés sur ce travail pour élaborer leur réflexion. C’est pourquoi j’en suis le conseiller scientifique. Précisons par ailleurs que La diaspora des Bulles aborde un champ bien plus large que celui de l’exposition qui s’est volontairement limitée à certains sujets.

L’historiographie des représentations antisémites dans la bande dessinée est présente dans la Diaspora, pas dans l’expo. Dans notre livre, la Shoah occupe une place bien plus grande qu’ici. Enfin, des auteurs comme Goscinny ou Jodorowsky ne figurent pas dans l’exposition car, précisément, leur travail était trop éloigné de son propos que je rappelle à nouveau : "le rôle de l’histoire juive dans l’évolution de la bande dessinée et du graphic novel".

Propos recueillis le 26 octobre 2007

(par Arnaud Claes (L’Agence BD))

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5 Messages :
  • Didier Pasamonik : "Non, Superman n’est pas juif ! "
    7 novembre 2007 16:05, par JC Lebourdais

    Comme le démontre le récent bouquin de Danny Fingeroth DISGUISED AS CLARK KENT : Jews, Comics, and the Creation of the Superhero analysé par Peter Sanderson ici et ici, il ne fait aucun doute que Superman est une allégorie de l’immigrant juif aux Etats-unis dans les années dépression au début du 20ème siècle. Et ce n’est pas le premier ouvrage à faire le rapprochement.
    JCL

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  • Didier Pasamonik : "Non, Superman n’est pas juif ! "
    19 novembre 2007 17:19, par NicolasR

    Bonjour Didier,
    Je suis un de vos fidèles lecteurs, et j’apprécie toujours votre travail et votre érudition.
    Mais là, je trouve que vous y allez un peu fort !

    S’il faut obligatoirement lire le catalogue de l’expo pour comprendre en détail, c’est bien qu’il y a quelque chose qui cloche, et que l’expo ne se suffit pas à elle-même.
    J’ai été la voir, et même si j’ai bien compris que Superman n’est certes pas un Juif pratiquant, j’en ai quand même retenu qu’il y a bien dedans des éléments de la culture que pouvaient avoir de jeunes émigrants juifs.

    Et puis quoi ! Superman est une œuvre d’art. Et ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les œuvres échappent toujours à leur créateur, qu’elles vivent et évoluent aussi par le regard du spectateur, et qu’on peut souvent y voir des choses différentes, ou que l’auteur n’a pas toujours eu conscience d’y mettre. Et même si on se réfère strictement à l’œuvre elle-même, ben... c’est comme dans la Bible : on trouve des arguments pour chacun ! Vous avez publié une image de Superman priant comme un bon WASP, mais on pourrait trouver d’autres allusions allant dans le sens du judaïsme.

    Encore une fois, je trouve dommage de vouloir effacer une impression qui se ressent pourtant bien quand sort d’une visite attentive de l’expo.

    Enfin, l’argument du chef nazi pour casser ceux qui voient de la judaïté dans Superman est un peu bas, et indigne de vous, je trouve ! Il arrive que je défèque, très certainement dans la même position que ce Monsieur, et pourtant je ne suis pas nazi pour autant. Et puis, ça a un air de vouloir dire que toute recherche de judaïté dans une œuvre créée par un Juif serait un rien antisémite - jusqu’à nouvel ordre, des éléments de judaïsme dans une œuvre ne sont quand même pas une honte ! Au contraire, même, au vu de la qualité de la production dont on a pu avoir un aperçu lors de l’expo.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 19 novembre 2007 à  21:44 :

      S’il faut obligatoirement lire le catalogue de l’expo pour comprendre en détail, c’est bien qu’il y a quelque chose qui cloche, et que l’expo ne se suffit pas à elle-même. J’ai été la voir, et même si j’ai bien compris que Superman n’est certes pas un Juif pratiquant, j’en ai quand même retenu qu’il y a bien dedans des éléments de la culture que pouvaient avoir de jeunes émigrants juifs.

      L’expo, comme vous le savez puisque vous l’avez vue, n’est pas centrée sur Superman, loin de là. Que les origines juives des auteurs de Superman transparaissent dans leur création, c’est une évidence (c’est aussi le cas pour d’autres créateurs de superhéros, comme l’expo le montre bien). Mais de là à dire que Superman est juif, il y a un pas qu’à mon sens, il ne faut pas franchir. Il suffit de lire ses aventures pour en être convaincu. Par exemple, son mariage ne se fait pas à la synagogue. J’ai fait à ce sujet un long article pour L’Arche en septembre dernier, Superman, un héros non-aryen , qui détaille la question. Superman échappe rapidement à ses créateurs et les successeurs de Siegel et Shuster s’emploieront à en faire, sur le plan spirituel, le reflet des consommateurs américains qui ne sont pas tous juifs, comme vous le savez. La formule "Superman est juif" est donc abusive.

      Et puis quoi ! Superman est une œuvre d’art. Et ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les œuvres échappent toujours à leur créateur, qu’elles vivent et évoluent aussi par le regard du spectateur, et qu’on peut souvent y voir des choses différentes, ou que l’auteur n’a pas toujours eu conscience d’y mettre. Et même si on se réfère strictement à l’œuvre elle-même, ben... c’est comme dans la Bible : on trouve des arguments pour chacun !

      Ah mais, Superman est une oeuvre ouverte à toutes les interprétations. C’est pourquoi, comme le dit Umberto Eco, c’est un mythe. On peut donc y voir ce qu’on veut. Le point de vue bouddhiste ou athée militant ne devrait pas non plus manquer d’intérêt.

      Vous avez publié une image de Superman priant comme un bon WASP, mais on pourrait trouver d’autres allusions allant dans le sens du judaïsme.

      Pas tant que cela, et je peux vous dire que j’ai cherché. En revanche, les occurrences d’un Superman chrétien sont bien plus nombreuses.

      Encore une fois, je trouve dommage de vouloir effacer une impression qui se ressent pourtant bien quand sort d’une visite attentive de l’expo.

      Je n’efface pas : je corrige en remettant un peu de complexité par rapport à une formule un peu trop simple. Je pense que nos lecteurs apprécieront ce point d’érudition.

      Enfin, l’argument du chef nazi pour casser ceux qui voient de la judaïté dans Superman est un peu bas, et indigne de vous, je trouve !

      Ce n’est pas un argument, c’est un fait. Je ne vois pas en quoi le rappel du fait que les nazis ont été les premiers à "détecter" la judéité des auteurs de Superman est indigne. C’est votre interprétation. Je vous en laisse la responsabilité.

      Et puis, ça a un air de vouloir dire que toute recherche de judaïté dans une œuvre créée par un Juif serait un rien antisémite - jusqu’à nouvel ordre, des éléments de judaïsme dans une œuvre ne sont quand même pas une honte ! Au contraire, même, au vu de la qualité de la production dont on a pu avoir un aperçu lors de l’expo.

      Vous dérapez, là. Je cherche juste à rétablir une vérité, pas à accuser quiconque d’antisémitisme. Les arguments sur les traces de la culture juive dans la bande dessinée ne manquent pas, c’est l’objet de l’exposition. De là à aligner des contrevérités, il y a un pas qu’un musée comme le MAHJ ne peut pas franchir. Pardon d’exiger de la rigueur et de la nuance, mais la clarté et la justesse du propos est à ce prix.

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  • Cher Didier,

    J’ai pensé que vous seriez curieux de savoir que, dans son numéro de cette semaine, l’hebdomadaire "Kyrkpressen" (organe officiel de l’église luthérienne finlandaise, de langue suédoise) consacre qq lignes à l’expo "De Superman au Chat du rabbin"

    J’ai pris la liberté de vous le traduire ci-dessous.

    Bien à vous,

    S.R

    "Superman est probablement juif

    Le musée Juif de Paris présente une exposition sur les convictions religieuses de Superman. D’après cette exposition il est presque certain à 100% que ce super-héros soit juif. Les preuves en sont entre autres que son nom (Kal-EL) signifit Dieu en hébreu, et que tout comme Moïse il fut abandonné dans un berceau.

    Mais ces faits ne sont pas suffisants pour établir avec certitude que Superman soit juif, déclare l’historien Didier Pasamonik. Comme preuve du contraire on peut avancer que Superman fut élevé dans une famille méthodiste. D’après Pasamonik on peut, au mieux, décrire Superman comme un super-héros d’origine non-aryenne."

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 novembre 2007 à  19:20 :

      C’est assez incroyable de voir à quel point cette chose simple : "les auteurs de Superman sont juifs" devient "Superman est juif". Et comment l’humour au second degré de Siegel à propos du "coup de poing non-aryen" est pris au premier degré. L’expression ironique "un héros non-aryen" utilisée par notre journaliste norvégien est implicitement sous-tendue, il faut s’en rendre compte, par une théorie raciale. Il faudrait la mettre entre guillemets.
      Même Jeffrey T. Iverson, le journaliste du Times qui a plutôt finement compris le propos de l’exposition (voir son article en ligne), utilise cette terminologie ambigüe sans précaution.

      Certains sujets sont décidément bien difficiles à manier.

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