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Dimitri Kennes : "Mad Fabrik est une entreprise qui gère à 360° toute la production de Midam."

Par Christian MISSIA DIO le 17 juillet 2012                      Lien  
En ce début d’été et de vacances estivales, période ou les sorties BD se font rares, MAD Fabrik a pensé aux lecteurs en publiant coup sur coup deux nouveaux albums. Il ne nous en fallait pas plus pour aller à la rencontre de Dimitri Kennes, le « D » dans MAD Fabrik, pour un entretien sans langue de bois.

Comment est née Mad Fabrik ?

Mad Fabrik est née autour de plusieurs bons repas et plusieurs bons moments entre Michel (Midam), Araceli Cancino et moi-même. Nous avions imaginé un projet un peu fou qui serait de gérer les œuvres de Midam de manière globale, toutes activités confondues, car la chance de Midam, c’ est qu’il a pu profiter d’exploitations dérivées en plus de ses BD et chacun d’entre nous avait des idées sur la manière dont on pouvait mener ces projets de manière optimale.

Nous menions la réflexion loin car à cette époque, Midam n’était pas content de ses relations avec Dupuis et il envisageait de plus en plus d’aller voir ailleurs. Avec son épouse Araceli, il avait déjà eu l’idée de gérer lui-même tous les droits dérivés. De là, l’idée de créer une maison d’édition. Ma carrière chez Dupuis [Dimitri Kennes en a d’abord été le directeur financier puis le Directeur Général. NDLR] pu faire que je suis devenu un spécialiste de l’économie de la BD et que j’avais gardé de bonnes relations avec des distributeurs et des imprimeurs. Araceli s’occupe de la coordination de la production de contenu, de la partie artistique du marketing et de la communication du label. Midam gère la production du contenu, avec l’aide d’Adam.

Dimitri Kennes : "Mad Fabrik est une entreprise qui gère à 360° toute la production de Midam."
Le trio des fondateurs de Mad Fabrik. MAD comme Midam, Araceli et Dimitri.
Photo DR

Quels ont été les débuts de Mad Fabrik ?

Nous avions repris les droits de Kid Paddle au premier juillet 2010. Game Over fait partie de la marque Kid Paddle mais c’est une série différente de la série-mère. Ce n’est pas vraiment un spin-off car elle a sa propre vie et sa propre identité. C’est arrivé sans qu’on le décide au niveau marketing, nous l’avons constaté de manière empirique.

Fin 2009, notre société est créée mais nous ne pouvions pas encore utiliser Kid Paddle et Game Over. Il a donc fallu un bon laps de temps avant que cela ne se lance. Entretemps, nous avions décidé de faire un banc d’essai en éditant un carnet, une sorte de petit recueil, dans lequel Midam avait introduit un nouveau personnage qu’il avait créé plus tôt dans le cadre d’une commande. Un club pour enfants nous avait demandé de créer une petite mascotte sur le thème de l’écologie. Midam avait donc créé un petit tigre vert, avec la collaboration d’Araceli qui est très sensible aux questions de l’environnement, mais ils ont été plus loin que la demande initiale en créant un vrai personnage car ce sujet les avait beaucoup inspiré et amusé.

C’est comme cela que Grrreeny est né. Du coup, le journal belge La Dernière Heure, ainsi que la revue écologique Wapiti nous ont demandé le droit d’utiliser ce personnage pour illustrer des articles consacrés à la nature. Cela nous a donné de la matière pour un premier projet autour de Grrreeny. Araceli a écrit un petit livre expliquant les bases de l’écologie, dans une vision éducative sans pour autant que cela soit rébarbatif. Le livre est sorti en avril-mai 2010.

Grrreeny tome 1 - Par Midam
Ed. Mad Fabrik

Quel en a été l’accueil fait à ce livre ?

Nous en avons vendu entre 4000 et 5000 exemplaires pour une mise en place de 10 000… Il y a eu un peu d’emballement autour du projet parce que c’était du Midam mais au final, il y a eu des retours. Je pense que les libraires s’attendaient à une BD alors que nous proposions tout autre chose. Et comme nous vendions ce livre principalement dans un réseau bande dessinée... Cela étant, pour un livre éducatif, ce n’est pas si mal que cela, nous sommes dans la moyenne des ventes pour ce type de production. Au final, nous avons réussi à tout écouler, grâce à divers partenariats. Nous avons pu nous y retrouver financièrement mais surtout, cela nous a rodés !

Pour en revenir au livre sur l’écologie, on s’était dit que ce serait bien de le ponctuer avec une planche de BD. On a demandé aux scénaristes de Game Over de nous pondre quelques scénarios. Au fur et à mesure que l’on travaillait sur Grrreeny, on s’est attachés à lui. Wapiti nous a commandé quelques pages de BD complètes. On en a fait, deux, puis quatre, six… Au final, on s’est dit qu’il valait mieux lui consacrer un album entier. Nous avons constitué une petite équipe. Nous avons recruté un nouveau dessinateur, Netch, qui a pris le relais de Midam. Celui-ci travaille sous la supervision d’Adam, qui est un peu le garant du style « Midam ».

Grrreeny, le tigre vert écologiqte
(c) Midam / Mad Fabrik

Est-ce que Mad Fabrik est une entreprise centrée exclusivement sur les productions de Midam ?

Tout à fait, Mad Fabrik est une entreprise qui gère à 360° toute la production de Midam ! À l’origine, on se consacrait uniquement à Kid Paddle et à Game Over mais Grrreeny est passé par là et nous avons décidé d’élargir notre catalogue.

Grrreeny est vraiment le fruit d’une envie car, du point de vue business, il n’était pas prévu lorsque nous avions créé la structure. Nous aurions été chez un gros éditeur comme Dupuis par exemple, on aurait dit à Midam : « Il est mignon ton petit tigre vert mais fait nous plutôt du Kid Paddle, c’est plus rentable ». Ce n’est pas une critique, c’est juste de la logique commerciale. Lorsque j’étais chez Dupuis, j’aurais probablement tenu ce discours car Grrreeny est un nouveau personnage avec un nouvel univers. Il représente donc un risque alors qu’à côté, on a un produit superstar comme Kid Paddle. Mais ici, chez Mad Fabrik, nous voulions plus de liberté afin de tenter de nouvelles choses. C’est l’une des raisons d’être de cette entreprise. Si Grrreeny cartonne, nous serons très heureux mais si ça ne marche pas, nous serons tristes parce que nous aimons beaucoup le personnage, mais nous l’accepterons et la boite continuera son bonhomme de chemin.

On peut donc dire que Mad Fabrik est-elle suffisamment bénéficiaire pour se permettre de lancer un nouveau personnage.

Dire que Mad Fabrik est bénéficiaire, c’est un grand mot. Nous nous tenons aux plans que nous nous étions fixés. On en vit et on paye nos employés et nos partenaires. Mad Fabrik est une société saine mais cela reste quand même difficile car bien que nous ayons repris les marques Kid Paddle et Game Over, nous ne vendons pas le fonds du catalogue, c’est-à-dire les albums précédents, qui restent la propriété de Dupuis. Pour l’instant, MAD Fabrik ne propose que des nouveautés. Cela représente un coût important en termes de promotion au point que la rentabilité sur une nouveauté est quasi nulle. Même si on fait un gros volume !

L’autre difficulté, c’est que l’on sur-investit sur les nouveautés parce que l’on se dit que l’on va gagner de l’argent sur le fonds. Sauf que le fonds du catalogue, il est chez Dupuis. Donc, pendant quelques années, Mad Fabrik va enrichir l’éditeur de Spirou car la nouveauté tire toujours le fonds du catalogue, comme on sait. D’autant plus qu’eux ne font rien ! Mais, nous allons vers un mieux. Actuellement, nous investissons beaucoup car nous voulons que la boite se développe à long terme.

Une page de Grrreeny
(c) Midam, Mad Fabrik

Comment définiriez-vous Mad Fabrik ? Est-ce une société transmédias ?

Ce n’est pas une maison d’édition au sens premier du terme. Par exemple, on a un producteur pour créer un nouveau dessin animé sur Kid Paddle. On veut devenir une société qui gère des univers au niveau audiovisuel, au niveau licences, à 360°.

Un peu comme Ankama, en somme…

Oui, c’est un autre angle mais c’est cela. Mad Fabrik est un gestionnaire d’une marque issu de la bande dessinée mais qui existe sur plein de supports. Mais dans la pratique aujourd’hui, nous avons un nouveau dessin animé en préparation qui pourrait nous apporter beaucoup de licences. Nous avons aussi quelques licences mais celles-ci ne sont pas assez nombreuses pour que l’on puisse réellement considérer que nous sommes cette entreprise de gestion à 360°. Actuellement, nous sommes surtout des éditeurs qui avons des activités annexes. Mad Fabrik est un éditeur particulier car nous n’éditons qu’un ou deux bestsellers. Personne n’a cela et nous pouvons même nous permettre de tenter des choses comme avec Grrreeny !

Combien de temps faut-il à une maison d’édition classique pour devenir rentable ?

On ne peut pas savoir combien de temps ça peut prendre. C’est un peu comme si tu achetais plein de billets de loterie. À un moment, il faut qu’il y en ait un qui t’apporte le jackpot. Grâce à cela, tu pourras financer d’autres projets qui auront peut être moins de succès mais qui seront tout aussi intéressants. C’est comme cela que fonctionne toutes les maisons d’édition. Par exemple pour les éditions Soleil, ça a été Arleston. Pour Bamboo, ça a été la BD sur les Profs. Glénat a eu Zep et le manga Dragon Ball, etc. Le succès peut arriver dans 5 ans, 10 ou 15 ans. Parfois, il n’arrive pas. Ce n’est pas forcément parce que les éditeurs sont mauvais. C’est surtout parce que les bons numéros de loterie ne sont pas sortis !

Kid Paddle cherche & trouve par Midam
Ed. Mad Fabrik

Pour nous, c’est différent pour les raisons expliquées plus haut, mais ce n’était pas pour autant évident car Midam avait levé le pied. À l’époque, il n’avait plus sorti un album de Kid Paddle depuis quatre ans. Comme cela se passait mal avec Dupuis et Média Participations, peu de choses avaient été faites autour de son héros fétiche. Il n’y avait plus d’envie de faire des dessins animés car cela représentait des investissements à très long terme et il était clair que Dupuis n’allaient pas investir un centime d’euro pour un personnage qui allait bientôt se barrer. Ce qui fait que Kid Paddle et Game Over avaient perdu des plumes en termes de notoriété lorsque nous avons récupéré les droits.

À l’heure actuelle, vous est-il possible de racheter les fonds de ces deux séries ?

C’est une demande que nous avons faite et que nous répétons régulièrement car c’est beaucoup mieux de rassembler tout les albums sous un même label. Nous râlons beaucoup parce que Dupuis réimprime très mal les BD. Ils nous font des couvertures de 1,7 millimètre alors que nous faisons du 2,4. Leur papier, c’est du 90 grammes alors que chez nous, c’est 115 grammes. Ils impriment tout en roto alors que nous, nous faisons tout en plano Enfin bref, on trouve que la qualité du produit qu’ils proposent au public est dégueulasse alors que nous, nous faisons mieux pour le même prix de vente ! Évidemment, ils ne veulent pas nous vendre ces fonds et nous en connaissons la raison. Ils se disent que notre entreprise peut marcher et que dans ce cas, cela pourrait donner des idées à d’autres. Mais si cela ne marche pas, Midam devra bien retomber sur ses pattes en signant chez un éditeur, qui sera très content de récupérer un auteur qui fait de belles ventes. En conservant le fonds, ils se positionnent pour un éventuel retour du « fils prodigue » au bercail. En attendant, nous nous sommes faits une raison et nous continuons d’avancer.

En dehors des fondateurs historiques de la société, il y a-t-il d’autres actionnaires dans Mad Fabrik ?

Non. Nous avons un capital de 102.000 euros car nous voulions un chiffre divisible par trois. Puis, nous avons emprunté un peu de sous à la banque. Récemment, nous avons fait entrer Nivelinvest dans le jeu. Il faut savoir qu’en Belgique, l’État a un invest national, un invest régional et, pour les plus petits montants, il y a huit invests locaux. Celui du Brabant Wallon s’appelle Nivelinvest et ils nous ont fait un prêt subordonné, c’est-à-dire qu’ils seront payés après tout le monde en cas de pépin, ce qui renforce la situation financière et les fonds propres de l’entreprise.

Cela rassure aussi beaucoup les partenaires avec lesquels nous travaillons. C’est vrai qu’il aurait été plus simple de demander à quelqu’un d’entrer dans le capital à hauteur de 10% ou 25%. Cela aurait permis d’avoir plus d’argent mais nous aurions perdu notre liberté d’action. Certes, on n’est jamais libre, mais je dirai que là, au moins, ce sont nos contraintes et nos emmerdes. Enfin, nous voulions conserver un ancrage belge car nous sommes fiers de notre culture !

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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