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Dino Attanasio : « J’ai illustré les toutes premières aventures de Bob Morane, en roman et en bande dessinée. »

Par Charles-Louis Detournay le 7 septembre 2019                      Lien  
Catawiki célèbre les 60 ans de la première adaptation de Bob Morane en bande dessinée, en dédiant une vente au mythique aventurier : albums rares, illustrations et planches originales,… L’occasion rêvée pour interviewer Dino Attanasio, 94 ans, qui a illustré les cinquante-deux premiers romans et a entamé l’adaptation en BD dès 1959.

Monsieur Attanasio, vous êtes immanquablement associé à Bob Morane, mais l’on oublie parfois que vous avez entamé votre collaboration avec Henri Vernes avant qu’il ne crée son célèbre aventurier. Comment se sont déroulés ces premiers contacts ?

Je suis arrivé à Bruxelles en 1948, poussant alors les portes des différentes rédactions et studios de dessin animé avec mon carton à dessins sous le bras. C’est ainsi que je suis entré en 1952 dans les bureaux des Éditions Marabout, demandant à rencontrer son rédacteur en chef. Ce dernier m’a reçu bien gentiment et coup de chance, il avait justement sous les yeux un exemplaire du quotidien La Libre Belgique où je réalisais une bande dessinée tous les jours : Fanfan et Polo, écrit par Charlier & Goscinny. Une introduction idéale !

J’ai donc commencé aux Éditions Marabout, en réalisant les illustrations pour un jeune romancier encore inconnu à l’époque : il se faisait appeler Henri Vernès, ce qui est devenu par la suite Henri Vernes, car l’accent n’apparaissait pas sur les majuscules des titres des livres. Ce premier ouvrage s’intitulait Les Conquérants de l’Everest.

Dino Attanasio : « J'ai illustré les toutes premières aventures de Bob Morane, en roman et en bande dessinée. »
Un lot de la vente "Bob Morane", un calque noir d’un dessin de Dino Attanasio et sa mise en couleurs originale
La vente Bob Morane sur Catawiki

Fort de cette première collaboration, vous avez donc prolongé votre travail sur le roman suivant d’Henri Vernes, La Vallée infernale, le tout premier Bob Morane. Pourquoi n’avez-vous pas réalisé également les couvertures de cette série ?

Ancien scout, le rédacteur en chef Jean-Jacques Schellens était un grand ami de Pierre Joubert et lui avait demandé de réaliser ces couvertures. Ce qui ne me posait aucun problème, car il le faisait certainement bien mieux que ce que j’aurais pu dessiner moi-même. Et pour ma part, je m’occupais déjà des quatre illustrations intérieures, ce qui n’étaient pas très bien payées, mais c’était du travail, tout ce que je recherchais.

Vous avez donc réalisé les illustrations intérieures dès le tout premier roman de Bob Morane, jetant ainsi les bases graphiques des personnages. Comment les avez-vous imaginés ?

J’ai eu l’occasion de lire le roman La Vallée infernale avant de réaliser mes illustrations réalistes, ce qui était exceptionnel par rapport à la suite de ma collaboration avec Henri Vernes. Mais je ne l’apprendrai que plus tard... Je suis bien entendu reparti sur les descriptions du livre, et dans le même temps, je voulais donner à Bob Morane la trempe d’un grand aventurier, avec une grande mâchoire, puis cela a bien entendu évolué avec le temps. Quant à Bill Ballantine, ce gros costaud nécessitait une carrure plus impressionnante, naturellement.

Ma présentation des illustrations intérieures du premier Bob Morane a généré ma première rencontre avec Henri Vernes, à la rédaction de Marabout. Il était très satisfait de mon travail, il trouvait que j’avais donné un look américain à ses personnages. À cette époque, Vernes ne jurait que par les États-Unis, comme nous tous dans cette période d’après-guerre. Même en bande dessinée, on lisait les Comics américains : Mandrake, Alex Raymond et les autres. Tintin qui a commencé dans les années 1930 n’a pas bénéficié de cette influence américaine, tout au contraire des héros créés après-guerre.

Proposé aux enchères, ce poster et cette télécarte signés par Vernes et Attanasio
L’Oiseau de feu et Alerte au V1.

Comment communiquiez-vous avec Henri Vernes ? Par télégramme ?

Par télégramme ? Non ! Bien entendu, on se voyait, car nous habitions tous les deux à Bruxelles. Dans le privé, nous entretenions une relation assez amicale, nous sommes même partis en vacances ensemble. Dans notre travail au quotidien, nous communiquions surtout par téléphone car je ne travaillais plus sur base de romans finalisés : « - Tu me fais Bob Morane dans une prison, me disait-il, - Ou dans une pirogue, etc. ». Il était toujours en retard, ce qui n’était pas un défaut, c’est une caractéristique des auteurs. Il lui arrivait donc régulièrement de rebondir sur mes illustrations pour continuer à écrire son roman.

Vous avez également créé graphiquement le personnage de l’Ombre Jaune ?

Oui, rien d’exceptionnel, je suis parti de ses descriptions en imaginant ce Chinois, presque sans cou. Mais il a bien entendu évolué graphiquement par la suite. Je me basais aussi sur une grosse documentation, que nous avions rassemblée avec mon épouse Joanna. Il n’y avait pas Internet à l’époque, qui vous livre une avalanche de photos en poussant sur un bouton. Mon épouse découpait des illustrations dans les revues, ce qui m’aidait souvent dans des attitudes, puis je consultais des librairies spécialisées.

D’autres lots présentent les œuvres des autres dessinateurs de la série...
Ici Coria dans Les Dents du tigre Tome 1 ( © Le Lombard) : La vente Bob Morane sur Catawiki

En 1954, le magazine Femmes d’Aujourd’hui s’est intéressé à Bob Morane ?

Oui, ils désiraient publier des histoires illustrées, et j’ai donc réalisé une première planche de Bob Morane qui n’a malheureusement pas convaincu : la rédactrice en chef Madame Verbeeck était allergique aux phylactères ! En attendant que tout le monde se mette d’accord sur la forme que devrait prendre cette adaptation de Bob Morane, nous avons alors réalisé deux récits réalistes, À l’Assaut de l’Everest et Fawcett, le naufragé de la forêt vierge, en plaçant les textes et descriptifs sous les illustrations, comme le souhaitait Mme Verbeeck.

Pendant des années, tout en apportant mes pages avec ces textes en-dessous, j’ai persévéré auprès de la rédaction en démontrant les qualités de la bande dessinée : plus rapide et fluide à lire, etc. C’est ainsi que Femmes d’Aujourd’hui a décidé en 1959 de demander des récits inédits de Bob Morane en bande dessinée. Henri Vernes est alors venu chez moi pour qu’on puisse ensemble jeter les bases de ce qui deviendrait la première bande dessinée de Bob Morane : L’Oiseau de feu. J’ai réalisé des croquis et des attitudes pendant qu’il m’expliquait l’histoire.

Vous disposiez alors d’une bonne expérience en bande dessinée, est-ce que vous découpiez vous-mêmes les récits inédits de Vernes ?

Malheureusement pas, Henri Vernes avait une idée précise de ce qu’il voulait, même si ce n’était pas toujours idéal dans l’enchaînement des cases. Et comme il n’avait pas l’habitude des phylactères, ses descriptifs et les dialogues étaient parfois compliqués à illustrer. Il s’occupait du découpage, et je me devais de le respecter, même si je bénéficiais d’un peu de liberté.

La vente propose des illustrations originales de beaucoup d’auteurs différents
Ici, une superbe représentation signée René Follet.

Vous n’avez pas dessiné de femmes ?

Le métier et les mentalités n’avaient pas encore évolué : il n’y avait pas de femmes dans les bandes dessinées dans ce début des années 1960, y compris dans le Journal Tintin où j’officiais également. L’influence catholique nous poussait à juste dessiner de toutes jeunes filles, ou des mémères. Nous ne pouvions pas dessiner des femmes avec trop de courbes, considérées comme trop suggestives, et donc très mal vu à l’époque.

Comme vous aviez beaucoup de travail, vous vous êtes fait épauler parfois pour dessiner les albums de Bob Morane ?

Oui, mon ami Mittéï a dessiné des décors urbains dans L’Oiseau de feu. J’allais jusqu’à Liège pour lui apporter les planches, et on rigolait en buvant des coups. On ne prenait pas tout cela vraiment au sérieux. Il s’est même un moment présenté avec mes planches pour trouver du travail ! Il a d’ailleurs repris Modeste et Pompon juste après moi.

Puis William Vance est venu sonner à ma porte pour me montrer ses dessins. Il a travaillé sur Le Collier de Çiva et sa femme y a fait les couleurs, reprenant alors le rôle de ma propre épouse Joanna, qui s’en acquittait auparavant.

Vance n’a-t-il également pas travaillé sur La Terreur verte ?

Oui, c’est possible… Vous savez, la répartition des tâches dans un studio n’est pas toujours aussi précise que ce que les historiens voudraient y voir : je lui passais une planche pour qu’il dessine quelque chose, puis je repassais dessus, etc. Cela produisait donc un mélange de dessin et de style. Par la suite, d’autres sont passés par mon studio, dont Marc Wasterlain que j’avais découvert en tant que membre du jury dans une école. La quantité de travail variait régulièrement, en fonction des séries en cours. Plus tard, lorsque je n’ai plus eu assez de travail, j’ai envoyé Wasterlain vers le Studio Peyo, avec le succès que l’on connaît.

Vous avez également collaboré avec Pierre Seron (Les Petits Hommes). Avait-il travaillé sur Bob Morane ?

Non, plutôt sur Spaghetti et Modeste et Pompon. Dans mon studio, il y avait aussi Lucien Meys, un bon dessinateur qui faisait mes crayonnés, mais pas dans le registre du réalisme comme Bob Morane. Un registre que j’avais déjà pu expérimenter en Italie dans El Corriere dei Piccoli et des fumetti de gare : je n’avais pas besoin de cette assistance en ce domaine.

Une des premières planches réalisées par Forton, alors qu’il reprend la série dans "Femmes d’Aujourd’hui".
En vente dans cette vente aux enchères : La piste de l’ivoire, page 28, 1962.

Votre collaboration avec Henri Vernes s’est pourtant interrompue.

J’ai donc réalisé ces cinq albums qui se vendaient très bien. Mais Henri Vernes ne partageait ce sentiment et critiquait fort mon dessin. Il était ami avec Gérald Forton et, à un moment, il a décidé de lui passer la main pour Bob Morane. J’ai vu les planches de Forton en apportant les miennes à la rédaction, j’étais convoqué par la rédactrice en chef, qui m’a expliqué que Vernes ne voulait plus de mon travail, ce qui interrompait du même coup notre collaboration pour l’illustration des romans . J’étais fâché et nous nous sommes quittés en mauvais termes. Par la suite, lorsque Forton est parti, Vance s’est présenté, et il a eu la chance, lui, de pouvoir disposer de grandes libertés nécessaires pour sa mise en page, ce que je n’avais jamais eu.

Plus tard, en 1992, vous avez réalisé un court-récit de Bob Morane : Alerte au V1 ?

Oui, avec Marc Wasterlain, pour répondre à la demande de la revue L’Âge d’or. Marc avait réalisé ce scénario, et j’ai mis quelques-uns de ses personnages en vedette, en hommage. Il m’avait d’ailleurs également écrit d’autres histoires pour Modeste et Pompon.

La vente propose également des objets rares : ici une plaque émaillée tirée d’"Alerte au V1" et limitée à 15 exemplaires.
La vente Bob Morane sur Catawiki

Reprendre ainsi les personnages de Bob Morane n’a généré des problèmes avec Henri Vernes en 1992, même s’il ne s’agissait que d’un court-récit ?

Non, car ce fanzine était une coédition avec l’éditeur Claude Lefrancq qui détenait les droits en bande dessinée de la série. Suite à cela, cet éditeur m’a demandé de continuer une histoire que j’avais commencée bien plus tôt, et dont j’avais mis les planches dans un tiroir : La Galère engloutie. Henri Vernes se souvenait que j’avais commencé ce récit, car je lui avais montré ces planches au moment au Forton était parti pour les États-Unis. Vernes n’avait pas accepté à l’époque que je reprenne la série à ce moment-là, mais a donc demandé des années plus tard à cet éditeur de me proposer de continuer ce récit. La Galère engloutie est donc finalement parue en 1994, et devrait être rééditée prochainement dans l’intégrale réalisée par les Éditions du Lombard.

Vous qui avez créé graphiquement les bases de Bob Morane, quel regard avez-vous porté sur les dernières adaptations en bande dessinée ?

On s’est trop éloigné du Bob Morane original, et de son esprit d’aventure. J’espère donc que les prochains albums pour renouer avec les sources de la série.

Où en sont vos contacts avec Henri Vernes ?

Lui et moi sommes trop vieux pour encore sortir. Pour ma part, j’ai tout de même été au festival BD de Jette il y a quelques jours, mais c’est exceptionnel. Depuis les années 1990, Henri Vernes et moi, nous nous sommes revus de temps en temps, surtout à des rassemblements des amis de Bob Morane : on s’est serré la main, on a fait des photos, même si l’on s’est aussi affrontés lors de quelques procès. On a partagé beaucoup de choses, de l’amitié et quelques disputes. C’est pour cela que je dis qu’Henri Vernes reste mon meilleur ennemi !

Dino Attanasio
Photo : DR.

(par Charles-Louis Detournay)

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Voir les lots proposés lors de cette vente spécialement dédiée à Bob Morane et qui se termine ce 15 septembre.

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