Une génération de jeunes artistes contemporains, de Catherine Meurisse à Riad Sattouf en passant par Jul, lui doivent un tribut incommensurable : son trait vif, son regard pénétrant, son élégance, son détachement, cet understatement que l’on ne croyait réservé qu’aux Anglo-saxons, tous ces éléments constitutifs de son talent ont marqué une génération. Il faut dire qu’elle a été longtemps aussi la plus ravissante, la plus talentueuse, la plus anti-star mais aussi la plus médiatisée des dessinatrices françaises.
Elle avait fait ses débuts, on s’en rappelle peu, dans Tintin en 1965 avec quelques pages de gags puis dans Spirou en 1967 avec Les Gnangnan. On y trouvait déjà son dessin-signature si caractéristique. Elle avait aussi bien l’admiration de René Goscinny qui l’avait engagée dans Pilote en 1965, que de Franquin qui enviait son dessin spontané et clair et avait fait appel à elle pour Le Trombone illustré en 1978.
L’autre grand admirateur de Bretécher se nommait Roland Barthes qui consacra la grande dessinatrice "la plus grande sociologue de l’année 1975". Sa création majeure, Les Frustrés, rythmait chaque semaine le fameux magazine politique Le Nouvel Observateur de son humour caustique, miroir d’une génération post-soixante-huitarde quelque peu culpabilisée par son embourgeoisement. « Elle était l’ADN du journal » devait nous confier son proche ami, directeur de l"hebdomadaire, Jean Daniel qui l’y avait engagée à la suite de Copi et de Reiser qui, de leur trait jeté, synthétique, foudroyant, ont décomplexé le dessin d’humour français et ont su, comme elle, décrypter les évolutions de leur temps : la faillite des idéologies dominantes, la libération sexuelle, le féminisme, la parentalité, l’écologie naissante... Sa qualité de femme, la première à atteindre un tel statut dans le domaine de la bande dessinée, ajoutait encore de l’originalité et de la pertinence à sa démarche.
L’un de ses apports majeurs est la création en 1972, avec Marcel Gotlib et Nikita Mandryka, de L’Écho des Savanes qui marquait la naissance de la bande dessinée pour adultes en France. Dans la foulée, elle auto-publie ses créations. Son passage au Nouvel Obs la consacre comme une vigie des mœurs de son époque, décrivant les nouveaux contours, avec Les Frustrés, de la relation hommes-femmes ou, avec Agrippine, la relation parents-enfants. Des situations féroces et tendres caractéristiques d’une génération de jeunes gens « bourgeois-bohèmes », les fameux « bobos » dont elle fit le plus saisissant des portraits. En France, Claire Bretécher aura été LA grande dessinatrice du XXe siècle.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Participez à la discussion