Né le 17 décembre 1946 à Arles d’un père architecte, résistant et déporté pendant la Seconde Guerre mondiale et d’une mère professeure de piano, Jean-Pierre Autheman publie son premier album à compte d’auteur en 1972 : Mémoires d’un gardien de phare.
Après des débuts comme dessinateur de presse avec l’appui de l’humoriste Pierre Desproges, Autheman, proche de Georges Wolinski, fait le parcours classique d’un dessinateur de BD des années 1980 : publications dans Pilote, Hara-Kiri, Charlie Mensuel, L’Écho des Savanes, Circus...
En 1979, il crée seul pour Charlie Mensuel le personnage de Condor dont il cède rapidement le dessin à Dominique Rousseau, la série passant chez Dargaud, avec six albums publiés jusqu’en 1998. C’est dans un de ces albums qu’apparaît sur un mur le graffiti "Mano Negra", une main noire qui a frappé un jeune lecteur du nom de Manu Chao...
Passé chez Glénat, il crée en 1984 pour la Collection noire le polar Les Sirènes de Balarin. En 1986, pour le magazine Circus, toujours chez Glénat, il scénarise et dessine la série Vic Valence dont le premier album, Une Nuit chez Tennessee, remporte l’Alfred du meilleur album français au festival d’Angoulême l’année suivante, ce qui n’empêche pas la série de s’arrêter au bout de trois titres.
S’ensuit une succession de titres, parmi lesquels certains avaient tous les attributs de ce que l’on n’appelait pas encore « romans graphiques » [1] : Les Déserteurs (1983), Ma Zone (1984), Le Pet du diable (1994), La Passe du Manchot (1996), Exotissimo (1997) et Le Trésor d’Alazar (2001) chez Dargaud, Le Filet de Saint-Pierre (1992) et Place des hommes (1993) chez Glénat, ou encore Dérangez pas mémé (1995), Les Nanas (1998), L’Ombre de moi-même (1999) chez Albin Michel, enfin L’Arlésien chez Actes Sud (1992). Ils sont caractérisés par des personnages entiers aux dialogues cinglants, dans la ligne du "nouveau polar" français des années 1980. Le dessin est une forme de Ligne claire Hard Boiled pas très éloigné du trait d’un Martin Veyron.
Comme scénariste, Autheman réalise, en 1987, Le Voyage du bateleur pour Jean-Paul Dethorey (Glénat), une série qui tourne court. Il retrouve ce dessinateur dix ans plus tard, dans la collection Aire Libre (avec la collaboration de Tomas Bergfelder) dans la trilogie du Passage de Vénus (Dupuis, 1999) qui ne connaît que deux volumes à la suite du décès inopiné du dessinateur durant la réalisation du second épisode, lequel sera terminé par François Bourgeon. Autheman écrit aussi la série Zambada (4 vol.) dessinés par Eric Maltaite (2001, Glénat).
« Nous avions été "mariés" par Henri Filippini chez Glénat, nous raconte Eric Maltaite. Je me souviens de sa grosse voix toute douce quand il m’a téléphoné pour la première fois. J’ai adoré travailler sur ses scénarios qui étaient très agréables à dessiner car il était lui-même dessinateur. Il était drôle, un vrai raconteur d’histoires ! On ne s’ennuyait pas avec lui. Quel dommage qu’il n’ait pas été exploité à sa juste mesure, il aurait pu être le Maurice Tillieux de son époque... »
Combinant avec habileté humour et sérieux, aventure et intimisme, il s’intéresse à l’histoire (Le Voyage du bâteleur, Le Passage de Vénus), au rapport entre les valeurs propres à l’individu et les contraintes imposées par la société (Les Déserteurs, Ma zone, La Passe du manchot), à l’actualité dans ses dessins de presse ou récits courts, aux relations entre la France et son ancien empire (Condor). Il aime particulièrement démythifier le récit national (L’homme du général) ou dénoncer l’hypocrisie d’état à l’occasion de récits policiers et d’aventures (Vic Valence, Zambada).
La dimension autobiographique est très présente dans son œuvre, que ce soit à travers les lieux (Arles avec Le Filet de Saint-Pierre, L’Arlésien, Place des hommes) ou à travers ses héros truculents, bons vivants, machistes, désabusés mais percevant toujours avec légèreté l’ironie des situations (Les Sirènes de Balarin, Condor, L’Ombre de moi-même).
Il se montre à chaque fois profondément humaniste.
Les dernières années de sa vie, Autheman s’était un peu éloigné de la bande dessinée, faisant œuvre de romancier (L’Homme du général, Actes Sud, 1990), chroniqueur graphique pour La Provence et professeur de dessin ou de scénario, notamment pour l’école d’animation Mopa.
Bon trousseur d’histoires, sans doute l’un des plus doués de sa génération [2], il aura suivi un chemin singulier, caractéristique de la bande dessinée française de son temps.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] L’éditeur Jacques Glénat considère qu’Autheman "invente le format Roman Graphique" dans sa dimension formelle, cf. le catalogue de l’exposition vente aux enchères Glénat, Histoire(s) d’un demi-siècle de bandes dessinées, Fauve Paris, 2016, p. 30.
[2] "un grand scénariste" selon Guy Vidal, Revue Lecture Jeune, n°94, juillet 2000, p. 5
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