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Disparition du scénariste et dessinateur Jean-Pierre Autheman

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 octobre 2020                      Lien  
Nous apprenons la disparition en Arles de Jean-Pierre Autheman à l’âge de 73 ans. Figure connue pour son anticonformisme, il était un scénariste hors pair, un dessinateur solide, éditorialiste graphique de La Provence. On lui doit quelques albums marquants de la bande dessinée des années 1980-2000.
Disparition du scénariste et dessinateur Jean-Pierre Autheman
Le premier album de Condor, dessin et scénario d’autheman.

Né le 17 décembre 1946 à Arles d’un père architecte, résistant et déporté pendant la Seconde Guerre mondiale et d’une mère professeure de piano, Jean-Pierre Autheman publie son premier album à compte d’auteur en 1972 : Mémoires d’un gardien de phare.

Après des débuts comme dessinateur de presse avec l’appui de l’humoriste Pierre Desproges, Autheman, proche de Georges Wolinski, fait le parcours classique d’un dessinateur de BD des années 1980 : publications dans Pilote, Hara-Kiri, Charlie Mensuel, L’Écho des Savanes, Circus...

En 1979, il crée seul pour Charlie Mensuel le personnage de Condor dont il cède rapidement le dessin à Dominique Rousseau, la série passant chez Dargaud, avec six albums publiés jusqu’en 1998. C’est dans un de ces albums qu’apparaît sur un mur le graffiti "Mano Negra", une main noire qui a frappé un jeune lecteur du nom de Manu Chao...

Une planche de Condor remarquablement dessinée par Dominique Rousseau.
© Dargaud
"Vic Valence", scénario et dessin d’Autheman, Alfred du meilleur album français au festival d’Angoulême 1987.

Passé chez Glénat, il crée en 1984 pour la Collection noire le polar Les Sirènes de Balarin. En 1986, pour le magazine Circus, toujours chez Glénat, il scénarise et dessine la série Vic Valence dont le premier album, Une Nuit chez Tennessee, remporte l’Alfred du meilleur album français au festival d’Angoulême l’année suivante, ce qui n’empêche pas la série de s’arrêter au bout de trois titres.

S’ensuit une succession de titres, parmi lesquels certains avaient tous les attributs de ce que l’on n’appelait pas encore « romans graphiques » [1] : Les Déserteurs (1983), Ma Zone (1984), Le Pet du diable (1994), La Passe du Manchot (1996), Exotissimo (1997) et Le Trésor d’Alazar (2001) chez Dargaud, Le Filet de Saint-Pierre (1992) et Place des hommes (1993) chez Glénat, ou encore Dérangez pas mémé (1995), Les Nanas (1998), L’Ombre de moi-même (1999) chez Albin Michel, enfin L’Arlésien chez Actes Sud (1992). Ils sont caractérisés par des personnages entiers aux dialogues cinglants, dans la ligne du "nouveau polar" français des années 1980. Le dessin est une forme de Ligne claire Hard Boiled pas très éloigné du trait d’un Martin Veyron.

Vic Valence, scénario et dessin d’Autheman.
© Glénat
"Zambada", très "école belge", dessiné par Eric Maltaite.

Comme scénariste, Autheman réalise, en 1987, Le Voyage du bateleur pour Jean-Paul Dethorey (Glénat), une série qui tourne court. Il retrouve ce dessinateur dix ans plus tard, dans la collection Aire Libre (avec la collaboration de Tomas Bergfelder) dans la trilogie du Passage de Vénus (Dupuis, 1999) qui ne connaît que deux volumes à la suite du décès inopiné du dessinateur durant la réalisation du second épisode, lequel sera terminé par François Bourgeon. Autheman écrit aussi la série Zambada (4 vol.) dessinés par Eric Maltaite (2001, Glénat).

« Nous avions été "mariés" par Henri Filippini chez Glénat, nous raconte Eric Maltaite. Je me souviens de sa grosse voix toute douce quand il m’a téléphoné pour la première fois. J’ai adoré travailler sur ses scénarios qui étaient très agréables à dessiner car il était lui-même dessinateur. Il était drôle, un vrai raconteur d’histoires ! On ne s’ennuyait pas avec lui. Quel dommage qu’il n’ait pas été exploité à sa juste mesure, il aurait pu être le Maurice Tillieux de son époque... »

Combinant avec habileté humour et sérieux, aventure et intimisme, il s’intéresse à l’histoire (Le Voyage du bâteleur, Le Passage de Vénus), au rapport entre les valeurs propres à l’individu et les contraintes imposées par la société (Les Déserteurs, Ma zone, La Passe du manchot), à l’actualité dans ses dessins de presse ou récits courts, aux relations entre la France et son ancien empire (Condor). Il aime particulièrement démythifier le récit national (L’homme du général) ou dénoncer l’hypocrisie d’état à l’occasion de récits policiers et d’aventures (Vic Valence, Zambada).

La dimension autobiographique est très présente dans son œuvre, que ce soit à travers les lieux (Arles avec Le Filet de Saint-Pierre, L’Arlésien, Place des hommes) ou à travers ses héros truculents, bons vivants, machistes, désabusés mais percevant toujours avec légèreté l’ironie des situations (Les Sirènes de Balarin, Condor, L’Ombre de moi-même).
Il se montre à chaque fois profondément humaniste.

Les dernières années de sa vie, Autheman s’était un peu éloigné de la bande dessinée, faisant œuvre de romancier (L’Homme du général, Actes Sud, 1990), chroniqueur graphique pour La Provence et professeur de dessin ou de scénario, notamment pour l’école d’animation Mopa.

Bon trousseur d’histoires, sans doute l’un des plus doués de sa génération [2], il aura suivi un chemin singulier, caractéristique de la bande dessinée française de son temps.

"Zambada", scénario d’Autheman, dessin d’Eric Maltaite.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

[1L’éditeur Jacques Glénat considère qu’Autheman "invente le format Roman Graphique" dans sa dimension formelle, cf. le catalogue de l’exposition vente aux enchères Glénat, Histoire(s) d’un demi-siècle de bandes dessinées, Fauve Paris, 2016, p. 30.

[2"un grand scénariste" selon Guy Vidal, Revue Lecture Jeune, n°94, juillet 2000, p. 5

 
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12 Messages :
  • J’avais beaucoup aimé Zambada. Dommage que ça se soit arrêté au tome...

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  • Nous apprenons la disparition à Arles de... On dit "En Arles" et pas "A Arles"...

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  • Disparition du scénariste et dessinateur Jean-Pierre Autheman
    28 octobre 2020 11:24, par G. Izquierdo

    J’aimais beaucoup Condor et le dessin de Dominique Rousseau. C’était publié au début dans Charlie mensuel et ensuite dans Pilote.
    Quel dommage que l’on ne trouve plus ces albums.
    Je me souviens qu’à la surprise générale “Une nuit chez Tennessee” avait gagné l’Alfred du meilleur album (le premier tome de Sambre était paru la même année). Dans Circus (nº108), Autheman disait qu’il l’avait appris en regardant la télé à Arles.
    Peut-être que la série n’a connu que peu d’albums à cause du dessin. Il reconnaissait lui même dans l’interview : “Je suis conscient que cette récompense couronne plus mes histoires que mes dessins !" (...) Je n’ai jamais de facilité à dessiner, tout ce que je fais est un accouchement assez douloureux”. Ou encore : “Il y a des gens qui n’aiment pas mon dessin mais qui marchent à la lecture de mes histoires”.

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    • Répondu par Michel Dartay le 28 octobre 2020 à  17:31 :

      Je suis très triste d’apprendre cette nouvelle, Autheman était un excellent scénariste....

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      • Répondu par Guy le 29 octobre 2020 à  11:22 :

        On oublie souvent que c’était aussi un très bon musicien : trompette et surtout piano, don qu’il tenait de sa mère, remarquable pianiste, lauréate du Conservatoire de Marseille. Admirateur de Thelonious Monk, de Miles Davis, il faisait régulièrement un boeuf avec ses amis à la Mule Blanche. Il aimait aussi Bach et admirait Appolinaire.
        Repose en paix, Jean-Pierre...Nous t’aimions.

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        • Répondu par Loisel le 30 octobre 2020 à  16:33 :

          Malheureusement Jean- Pierre, je ne t’ai pas souvent côtoyé et je le regrette, mais le peu de fois où nos routes se sont croisées cela a toujours été un vrai bonheur pour moi.

          73 ans, c’est trop tôt pour cette escapade Tu n’avais pas l’âge .
          D’où tu es ,tu dois bien te marrer à nous voir tous masqués dans ce monde où nos gouvernements et surtout ceux qui les manipulent nous tricotent, doucement mais sûrement, une vie bien serrée pour filer droit et rester dans les clous de ce bientôt, ordre mondial.
          Toi, le bon vivant, l’épicurien, le poète, l’homme libre, tout ce bordel ambiant, sous couvert de covid, ça bien dû te faire chier !

          Jean-Pierre, je tiens à saluer ta mémoire, ta famille, tes amis, tous ceux qui t’aimaient et tous ceux qui te connaissaient sur Arles.
          Ami, tu vas manquer à la vie .
          Que les Dieux bons t’accompagnent
          Régis

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          • Répondu par Sophie Barets le 2 novembre 2020 à  07:41 :

            En souvenir d’un séjour mémorable pendant la feria...
            Triste nouvelle.
            Stan va être heureux de te retrouver...Il t’aimait beaucoup.

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  • Disparition du scénariste et dessinateur Jean-Pierre Autheman
    5 novembre 2020 13:32, par jean claude camano

    Je me souviens de nos moments passés ensembles Place du Forum en Arles, de nos virées au bar du Nords Pinus, et de tes improvisations au piano... de soirées arrosées ou tu maniais le verbe avec l’énergie du mistral et l’élégance du torero.... De ces instants solaires, sont nés Place des Hommes et le Filet de Saint Pierre, ces deux "romans graphiques" que j’ai eu la chance et la fierté d’éditer chez Glénat... Tu étais pour moi l’incarnation la plus authentique de ce territoire arlésien, qui va des rives du Rhône aux plages de Beauduc...
    Tu étais un dialoguiste hors pair, une dessinateur à l’écart des modes qui visait juste et simple.
    Je ne peux que recommander à ceux qui n’ont pas la chance de connaitre ton œuvre de lire Place des Hommes et L’Arlésien, cet album passé trop inaperçu paru chez Actes Sud...

    Jean Pierre Autheman, Zeus arlésien tu vas me manquer...

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