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Djinn Djinn - T2 : Le voile et le péché - par Ralf König - Glénat

Par Charles-Louis Detournay le 7 décembre 2007                      Lien  
Seconde partie du diptyque de Ralf König, inspiré des {Mille et une nuits}, ce récit parle librement et avec humour des relations humaines, qu’elles soient d’ordre amoureuses ou religieuses, mais c’est avant tout le respect et le libre-arbitre qui prédominent. Une fable délirante, dotée d’une grande profondeur. Un régal !

À la cour de Charlemagne, roi éclairé dans un royaume inculte, arrive la caravane d’Isaac le Juif, revenu de Bagdad avec les cadeaux du Calife : moultes richesses scientifiques, savon… et une vieille théière moche. D’Aix-la-Chapelle, cette théière néanmoins magique atterrit dans une collocation de la Köln proche, ayant perdu de son pouvoir après plus de 13 siècles passés. Ainsi ce n’est bientôt plus le bel éphèbe doux, esclave de l’amour, qui en sort, mais sa version précédente, un sombre mâle au regard dur, guerrier de l’amour, qui va effrayer la colocatrice de Manfred, Dörte. Par chance, elle rencontre un timide éboueur théologien à la mère catholique intégriste, ce qui amortira le choc. Manfred, par contre, va devoir déménager avec sa théière, et rien ne va pouvoir freiner sa descente aux enfers avec les divers aspects de son djinn changeant. Ni sa psychanalyste, ni son nouveau flirt Tobias, ni son vieux pote Werner ne pourront le dissuader de changer de voie. Par un autre ami, surdoué de la réincarnation, une vieille connaissance ressurgit, et peut-être saura-t-elle sauver Manfred de la lapidation…

Djinn Djinn - T2 : Le voile et le péché - par Ralf König - Glénat

Après une introduction cinématographique teinté d’ironie, Ralf König aborde d’emblée le sujet : au Moyen-âge, la civilisation européenne était en majorité inculte et sale, tandis que plus à l’est, on s’émerveillait d’avancées concrètes dans les sciences et le confort. Mais qu’en est-il 13 siècles plus tard ? Après un court résumé bienvenu pour les lecteurs avides d’en découdre sans relire le tome précédent, on reprend les boires et déboires de notre couple de colocataires face au Djinn, peu loquace. Grâce à ce petit détail, et à la (trop) longue introduction du premier tome, l’auteur nous fait percevoir les dangers de l’asservissement, qu’il soit sexuel ou non, par le consentement ‘volontaire’. La relation biaisée, car sans échange, ne peut déboucher que sur une perte de libre-arbitre, et donc une amputation de la personnalité. C’est ainsi que la bourqa, vêtement intégriste détournée par Manfred en délire sado-maso, reprend sa fonction originelle : couper la personne du monde extérieur, à son grand malheur.

Loin de critiquer les modèle religieux, König traite différemment le cas de Dörte, la colocatrice, qui était en perte d’identité complète après sa énième rupture : l’éboueur catholique, limite intégriste, qu’elle rencontre va l’amener à se remettre en question et à trouver l’amour, mais dans ce cas-ci, chacun aura fait un pas vers l’autre, abandonnant une partie de ses idées, parfois préconçues, pour se mettre à nu, en danger face à l’être aimé, et prêt à donc mieux le découvrir, pour construire. On reprend cette image dans la conclusion sociologique de l’album : malgré les différences, les civilisations du Moyen-âge (terme à ne prendre au sens ‘propre’ que pour l’Europe, et encore …) s’étaient mutuellement tendus la main. Pourquoi ne pourrions-nous pas entreprendre le même geste dans un souci louable de compréhension mutuelle ?

On se pousse pour s’abandonner sur le divan ... du psy !

Au fur et à mesure de sa carrière, Ralf König s’est battu contre les préjugés et les marques de rejets qu’ils provoquent, en particulier à l’encontre des homosexuels. Ce beau diptyque suit cette voie en évoquant les différences et dissensions religieuses entre deux civilisations qui n’ont pas toujours eu la même évolution. Ainsi évoque-t-il ce retour du Djinn Moufti dans sa région natale dont les pratiques ségrégationnistes envers les femmes et certaines formes de cultures n’ont pas changé en plus de mille ans ! Certes, l’exemple est gros, mais son dernier clin d’œil permet de remettre chaque personne à sa place, même quand il n’a pas le recul nécessaire.

Djinn Djinn est un récit bourré d’humour, de second degré, et qui lance de pistes de réflexions anti-xénophobes pour ceux qui voudront aller plus loin. Ralf König avait déjà reçu le prix du meilleur scénario pour Comme des lapins à Angoulême en 2005. Sa maîtrise de la mise en situation et du vaudeville lui permettent de faire partie de la sélection de cette année. Reste à déterminer si le jury a voulu consacrer sa vision humoristique et innovante d’un problème universel, ou s’il fallait juste placer un album de Glénat pour contenter l’éditeur ?

(par Charles-Louis Detournay)

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