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Du film à la BD : "Toute une vie", l’adaptation au banc d’essai

Par Yves Alion le 8 novembre 2005                      Lien  
Quand Bernard Swysen a contacté Claude Lelouch pour lui demander de lui écrire un scénario de bande dessinée, le cinéaste a aussitôt rebondi sur la proposition. Mais à la double condition d'adapter un film déjà fait (ce sera {Toute une vie}) et de travailler main dans la main. Swysen était aux anges. Deux ans plus tard, le résultat est là, superbe.

La BD n’est pas un simple succédané du film, mais bien une autre façon de raconter une histoire. Mais celle-là est-elle réellement fidèle à celle-ci ?

Ce n’est sans doute pas le lieu pour relater les hauts et les bas des relations (incestueuses) qu’entretiennent cinéma et bande dessinée depuis leur naissance (quasi simultanée d’ailleurs), ni même pour dresser une liste (même partielle) des albums dont s’est emparé le 7ème Art. Remarquons simplement que les mouvements en sens inverse, nous entendons, avec la participation même du cinéaste, n’ont guère été nombreux. On se souvient néanmoins de la sortie il y a deux ans de À l’attaque (EP Éditions), l’adaptation par Sylvain Dorange de l’un des films les plus truculents de Robert Guédiguian. Quelques mois plus tard paraissait le tome 1 de Toute une vie, que Bernard Swysen avait tiré du film éponyme de Lelouch, en collaboration avec celui-ci. Le second (et dernier tome) étant paru (voir notre chronique), il était tentant de se livrer au petit jeu des comparaisons, images à l’appui.

Du film à la BD : "Toute une vie", l'adaptation au banc d'essai

Bernard Swysen dans une scène des Parisiens. On le reconnaît aisément (au milieu à droite) puisqu’il est en train de... dessiner.

La BD et le film ayant le même scénariste, un certain Claude Lelouch, il n’était pas invraisemblable que l’on puisse constater une certaine fidélité de l’adaptation, et c’est ce qui s’est passé. Certaines scènes, certains dialogues sont identiques. Mais ce qui fonctionnait à l’écran roule tout aussi bien sur le papier. Parfois mieux quand il s’agit des aphorismes un brin sentencieux proférés par Simon à sa fille...


L’ordonnancement des scènes suit le même ordre chronologique (l’histoire est assez touffue pour ne pas en rajouter avec des va-et-vient temporels, ce dont le signataire de La Belle Histoire est pourtant assez friand). Et c’est le XXème siècle qui défile, depuis l’invention du cinématographe jusqu’aux années 1970 (date du film). Et même plus loin puisque Claude Lelouch avait jugé bon d’ajouter une séquence prospective, un cauchemar new age situé dans un temps où la pollution empêcherait de faire des enfants... Une séquence qui avait posé un problème au distributeur américain, celui-ci avait donc amputé le film pour lui (re)donner tout son dynamisme. Aujourd’hui Lelouch ne lui donne pas entièrement tort (cf. le livre d’entretiens Claude Lelouch mode d’emploi). Ce qui fait que la séquence controversée est entièrement remaniée et déplacée au début du premier album et que la BD se clôt ainsi par la rencontre de Sarah et Simon, les deux personnages de l’histoire... Parce qu’il faut dire que le scénario, très lelouchien, fait vivre les deux personnages principaux en parallèle.

C’est donc l’histoire de leur rencontre qui est racontée, en remontant le temps, en observant les facéties et les coups de grisou du destin. Destins parallèles si ce n’est que Sarah est une « pauvre petite fille riche » gâtée par son père alors que Simon est un voyou reconverti dans le cinéma. Il n’est pas interdit de reconnaître le cinéaste dans ces deux définitions...

Comparant chaque séquence et chaque planche, l’observateur pourra par ailleurs faire quelques remarques.
-  Les cadrages ne sont pas nécessairement les mêmes, la BD ayant le loisir de changer de cadre à chaque case quand le cinéma ne le peut pas à chaque scène.
-  Les plans larges, panoramiques, ne sont pas tous présents dans le BD ; le travail aurait été inutilement pharaonique : Sarah ne s’intéresse pas beaucoup aux paysages et aux êtres que son père lui fait découvrir, il n’est donc pas nécessaire que le lecteur en voit plus qu’elle.


-  La volonté de Lelouch de donner aux mêmes comédiens les rôles du père et de son fils ou de la mère et de sa fille (procédé qui sera par la suite repris et amplifié dans Les Uns et les autres) ne s’est pas traduite une fois les personnages couchés sur papier par une mise en scène identique, le lecteur ne s’y serait pas retrouvé. De façon générale les personnages de papier ne ressemblent pas à leur modèle. À l’exception de Jacques Villeret, aisément reconnaissable sous les traits du spectateur déçu [1].


-  Les noms propres sont bannis de la BD quand ils ne l’étaient pas du film. C’est ainsi que le chanteur de L’Orange s’appelle François Gilbert et que l’apéro anisé est du Picard.

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-  En revanche, les passages de la couleur au noir et blanc (et réciproquement), les inserts de bandes d’actualité sont restitués fidèlement.

De façon générale, il est en tous cas remarquable d’avoir su en l’espace de deux albums (seulement) rendre toute la richesse, la luxuriance même de ce film ambitieux sans tomber dans l’un des deux travers qui guettaient le projet : se perdre dans les anecdotes ou au contraire se priver de ces petits riens qui finissent par être essentiels.


(par Yves Alion)

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Yves Alion est un spécialiste du cinéma et, en particulier, de celui de Claude Lelouch. Il est l’auteur, avec Jean Ollé-Laprune de l’impressionnant ouvrage Lelouch, Mode d’Emploi qui vient de paraître aux éditions Calmann-Lévy. Il est actuellement rédacteur-en-chef de L’Avant-Scène et a également été rédac-chef de la revue Storyboard. NDLR

Crédits photos : Films 13 - Dessins de Swyssen - Éditions Soleil.
En médaillon : Bernard Swysen et Claude Lelouch. Photo : D. Pasamonik.

[1Jacques Villeret est décédé en janvier dernier. Claude Lelouch et Bernard Swysen ont tenu à lui rendre hommage en le représentant graphiquement dans le rôle qu’il incarnait dans le film.

 
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