De près ou de loin, toutes les grandes signatures mythiques du journal sont présentes : René Goscinny au scénario de Lucky Luke, Jidéhem, Will, Roba et Greg auprès de Franquin, Yvan Delporte, Gos et Will auprès de Peyo.
C’est le noyau dur du clan humoristique de Spirou. En face, Jean-Michel Charlier et la World Press assurent la production réaliste. Une dream team à laquelle il ne manque plus que Tillieux annoncé pour le mois de juin !
Morris va bientôt se libérer des contingences scénaristiques en les confiant à Goscinny. Pour l’heure, il alterne. [1] Le Docteur Doxey est un charlatan qui, à l’instar du Docteur Knock attribuant la citation à Claude Bernard, considère que « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. »
Morris compte sur Jack Palance pour incarner Phil Defer « le faucheux » et réunit grâce à lui deux saloons qui constituent « le plus long bar de l’Ouest ». Fine allusion aux éditions du Lombard, l’éditeur du journal Tintin concurrent ? Peut-être.
Dans ces années-là, Goscinny entamera chez cet éditeur une collaboration décisive pour sa carrière.
Il intervient une dernière fois comme intermittent avec Des rails sur la prairie qui porte sa marque de fabrique : celle d’appuyer les aventures de Lucky Luke sur l’histoire du Far West. Et on sait que chez Goscinny, la connaissance des États-Unis n’était pas en toc.
Des personnages parfaitement typés, un rythme maîtrisé, un dessin clair et virtuose, Lucky Luke donne le « la » à sa génération.
Le Johan & Pirlouit de 1957 rivalise de maîtrise. Franquin en louait la clarté. On peut surtout saluer son sens de la comédie, du plot bien troussé et des personnages bien campés. 1958 est pour Peyo la date de cette trouvaille de génie : Les Schtroumpfs. Dans cet épisode, on découvre la rencontre entre Johan & Pirlouit et les petits gnomes bleus.
Le Franquin de 1959-1960 est impérial. Il fait alliance avec Greg qui l’avait aidé sur les Modeste & Pompon au Lombard (Franquin vient de les lâcher au profit d’Attanasio).
Greg le lui rend bien qui lui livre un magnifique duo de comédie en mettant face à face les savants Champignac et Zorglub. La science folle était jusqu’ici le produit d’un hobereau fin de race un peu distrait et carrément gaffeur, un mix entre Einstein et Jean Rostand.
Ici, ce n’est plus le cas : la science est devenue clairement une « machine à conquérir le monde » ; la folie du savant, une malédiction pour l’humanité. Le trait de Franquin devient incisif, percutant, dénonciateur. La satire politique n’est pas loin.
Elle mènera à Gaston le rebelle, puis aux Idées noires. La verve du scénariste liégeois met en valeur l’inventivité de Franquin, fabriquant des engins (Fantacopères, porte-avion, avions de chasse…) plus somptueux que jamais.
Une permanente leçon de dessin. Des générations de lecteurs s’en souviendront.
Will est par trop méconnu et Dieu sait pourtant s’il est un lien essentiel de cette génération. Assistant de Franquin et de Peyo, compagnon de travail de Morris, il est la quatrième carte de carré d’as.
Ce troisième tome est particulièrement marquant qui se distingue par ses intérieurs design, ses voitures qui pourraient être carrossées par Pinin Farina et ses mas provençaux. Légèreté de l’intrigue, joie de vivre, décors modernes... C’est une Nouvelle Vague de papier !
Le scénario est de Rosy qui co-dirige avec Yvan Delporte ce Spirou de l’âge d’or. Il offre à Will les moyens de montrer son savoir-faire. Certaines scènes sont de toute beauté.
Lisibilité, cohérence, modernité. On a compris : la lecture de ces intégrales est un vrai bonheur. Il serait plus complet si les Lucky Luke était pourvus, comme les autres, d’un appareil critique adapté. On remarque que celui-ci est souvent signé par Alain De Kuyssche, ancien rédacteur en chef de Spirou et grand connaisseur de l’histoire de cet hebdomadaire.
On notera qu’il est bien plus inspiré quand il aborde le sujet des années franquiniennes du groom ou des années Rosy de Tif & Tondu que lorsqu’il évoque les années d’or de Johan et Pirlouit. Spirou est un sujet inépuisable ; Tif et Tondu est, quant à lui, très peu défriché et s’avère donc diablement intéressant. Vu son importance, Peyo aurait mérité une lecture un peu plus savante.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Monsieur Choc, un personnage de Rosy et Will pour Tif & Tondu (C) Dupuis.
[1] Dupuis fait d’ailleurs une erreur en signant la couverture des noms de Morris & Goscinny, ce dernier n’ayant fait qu’un seul épisode de cette intégrale.
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