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Dupuis : Le bonheur « intégrales »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 avril 2009                      Lien  
Paraissant simultanément, les intégrales de Lucky Luke de Morris (1952-1956), de Johan & Pirlouit de Peyo (1957-1958), de Spirou & Fantasio de Franquin (1959-1960), et le Tif & Tondu de Will (1957-1964) permettent de constater de visu l’incroyable cohérence et la maturité de l’âge d’or du Journal de Spirou.
Dupuis : Le bonheur « intégrales »
Intégrale Lucky Luke T3
Ed. Dupuis

De près ou de loin, toutes les grandes signatures mythiques du journal sont présentes : René Goscinny au scénario de Lucky Luke, Jidéhem, Will, Roba et Greg auprès de Franquin, Yvan Delporte, Gos et Will auprès de Peyo.

C’est le noyau dur du clan humoristique de Spirou. En face, Jean-Michel Charlier et la World Press assurent la production réaliste. Une dream team à laquelle il ne manque plus que Tillieux annoncé pour le mois de juin !

Morris va bientôt se libérer des contingences scénaristiques en les confiant à Goscinny. Pour l’heure, il alterne. [1] Le Docteur Doxey est un charlatan qui, à l’instar du Docteur Knock attribuant la citation à Claude Bernard, considère que « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. »

Johan et Pirlouit intégrale T3
Ed. Dupuis

Morris compte sur Jack Palance pour incarner Phil Defer « le faucheux » et réunit grâce à lui deux saloons qui constituent « le plus long bar de l’Ouest ». Fine allusion aux éditions du Lombard, l’éditeur du journal Tintin concurrent ? Peut-être.

Dans ces années-là, Goscinny entamera chez cet éditeur une collaboration décisive pour sa carrière.

Il intervient une dernière fois comme intermittent avec Des rails sur la prairie qui porte sa marque de fabrique : celle d’appuyer les aventures de Lucky Luke sur l’histoire du Far West. Et on sait que chez Goscinny, la connaissance des États-Unis n’était pas en toc.

Des personnages parfaitement typés, un rythme maîtrisé, un dessin clair et virtuose, Lucky Luke donne le « la » à sa génération.

Le Johan & Pirlouit de 1957 rivalise de maîtrise. Franquin en louait la clarté. On peut surtout saluer son sens de la comédie, du plot bien troussé et des personnages bien campés. 1958 est pour Peyo la date de cette trouvaille de génie : Les Schtroumpfs. Dans cet épisode, on découvre la rencontre entre Johan & Pirlouit et les petits gnomes bleus.

Johan et Pirlouit par Peyo : Une impressionante clarté
Ed. Dupuis
Spirou Intégrale T7
Ed. Dupuis

Le Franquin de 1959-1960 est impérial. Il fait alliance avec Greg qui l’avait aidé sur les Modeste & Pompon au Lombard (Franquin vient de les lâcher au profit d’Attanasio).

Greg le lui rend bien qui lui livre un magnifique duo de comédie en mettant face à face les savants Champignac et Zorglub. La science folle était jusqu’ici le produit d’un hobereau fin de race un peu distrait et carrément gaffeur, un mix entre Einstein et Jean Rostand.

Ici, ce n’est plus le cas : la science est devenue clairement une « machine à conquérir le monde » ; la folie du savant, une malédiction pour l’humanité. Le trait de Franquin devient incisif, percutant, dénonciateur. La satire politique n’est pas loin.

Elle mènera à Gaston le rebelle, puis aux Idées noires. La verve du scénariste liégeois met en valeur l’inventivité de Franquin, fabriquant des engins (Fantacopères, porte-avion, avions de chasse…) plus somptueux que jamais.

Une permanente leçon de dessin. Des générations de lecteurs s’en souviendront.

L’Ombre du Z de Franquin et Greg : Virtuose.
Ed. Dupuis

Will est par trop méconnu et Dieu sait pourtant s’il est un lien essentiel de cette génération. Assistant de Franquin et de Peyo, compagnon de travail de Morris, il est la quatrième carte de carré d’as.

Tif & Tondu Intégrale 3 par Will et Rosy
Ed. Dupuis

Ce troisième tome est particulièrement marquant qui se distingue par ses intérieurs design, ses voitures qui pourraient être carrossées par Pinin Farina et ses mas provençaux. Légèreté de l’intrigue, joie de vivre, décors modernes... C’est une Nouvelle Vague de papier !

Le scénario est de Rosy qui co-dirige avec Yvan Delporte ce Spirou de l’âge d’or. Il offre à Will les moyens de montrer son savoir-faire. Certaines scènes sont de toute beauté.

Lisibilité, cohérence, modernité. On a compris : la lecture de ces intégrales est un vrai bonheur. Il serait plus complet si les Lucky Luke était pourvus, comme les autres, d’un appareil critique adapté. On remarque que celui-ci est souvent signé par Alain De Kuyssche, ancien rédacteur en chef de Spirou et grand connaisseur de l’histoire de cet hebdomadaire.

On notera qu’il est bien plus inspiré quand il aborde le sujet des années franquiniennes du groom ou des années Rosy de Tif & Tondu que lorsqu’il évoque les années d’or de Johan et Pirlouit. Spirou est un sujet inépuisable ; Tif et Tondu est, quant à lui, très peu défriché et s’avère donc diablement intéressant. Vu son importance, Peyo aurait mérité une lecture un peu plus savante.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Monsieur Choc, un personnage de Rosy et Will pour Tif & Tondu (C) Dupuis.

[1Dupuis fait d’ailleurs une erreur en signant la couverture des noms de Morris & Goscinny, ce dernier n’ayant fait qu’un seul épisode de cette intégrale.

Dupuis
 
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19 Messages :
  • Il serait pas en cmjn, au lieu de rvb, votre fichier de Johan et pirlouit par hasard ?

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    • Répondu le 11 avril 2009 à  19:52 :

      Ou en RVB plutôt qu’en CMJN ?

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      • Répondu par Fred Boot le 12 avril 2009 à  05:09 :

        Non non, il a raison : on dirait à voir le bleu cyan criard qu’il s’agit d’un document 4 couches enregistré directement en jpeg sans conversion RVB. Le rendu est assez typique.

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  • Cette époque est réellement un âge d’or de la BD, autant d’albums qu’on relit encore et encore avec le même plaisir. Pour ce plaisir de la relecture ils avaient une recette qui s’est perdue, les BD depuis les années 70 (à la louche) ont moins cette capacité a être relues sans ennui.

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    • Répondu le 12 avril 2009 à  09:34 :

      La recette se nomme modernité. La Bande Dessiné Belge des années 50-60 restera moderne. Le format 48 CC, la page en 4 strips, la standardisation et la stéréotypie sont les principales composantes formelles de cette modernité.
      Ce qui serait amusant, ce serait de comparer la Bande Desinée Moderne à la Nouvelle Bande Dessinée.

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      • Répondu par Jérome le 12 avril 2009 à  19:13 :

        Ou la ! Pincemi a fait des émules, dirait-on...

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        • Répondu le 13 avril 2009 à  09:19 :

          Rien à voir. Ce qui serait intéressant serait de comparer ces deux écoles pour faire apparaître les divergences et les ressemblances... Pas pour dire c’était mieux avant.

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      • Répondu par Eric LAHMY le 22 avril 2009 à  19:56 :

        Modernité je ne sais pas, mais lisibilité sûrement. L’oeil va de gauche à droite et de haut en bas, les vignettes font 1/12e de la planche, et quand elles dépassent, c’est toujours sagement ; on lit sans avoir à se battre avec des dessins qui chevauchent, comme par exemple, après des débuts sages, Giraud commence à le faire dans certains albums de Blueberry. Quelquefois, malgré la virtuosité de Giraud, on ne profite pas pleinement de son talent dans cette mise en page hachée.
        Eric LAHMY

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  • Dupuis : Le bonheur « intégrales »
    12 avril 2009 00:39, par Pierre

    Alors là, Mr Pasamonik, vous m’avez particulièrement choqué et déçu ! Comment pouvez-vous rédiger un article sur les "grandes signatures mythiques du journal Spirou" et sur les intégrales Dupuis, sans citer une fois le nom de Jijé (dont nous attendons les deux derniers volumes depuis plus de 4 ans.... ils devraient arriver en 2010 si on ne m’a pas menti chez Dupuis...)
    Quand on sait ce qu’il a fait pour le journal, quand on sait quel formidable maître il a été (notamment pour les auteurs des intégrales qui font l’actualité), on trouve un peu triste de le voir ainsi si vite oublié...

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 avril 2009 à  10:30 :

      Comment pouvez-vous rédiger un article sur les "grandes signatures mythiques du journal Spirou" et sur les intégrales Dupuis, sans citer une fois le nom de Jijé (dont nous attendons les deux derniers volumes depuis plus de 4 ans...

      Nous nous sommes concentrés sur les nouveautés. Le principe des intégrales n’est pas nouveau. Il y a aussi Walthéry, Mitacq, Leloup,... Désolé, mais c’est l’effet de loupe des médias.

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      • Répondu par Bertrand le 13 avril 2009 à  13:36 :

        A noter également la (re)sortie dans les mois qui viennent d’une intégrale Tillieux remise à jour !

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        • Répondu par Sergio Salma le 14 avril 2009 à  19:25 :

          Bien entendu, ce sont des choses importantes, essentielles. Mais curieux milieu que la bande dessinée. On fait la fête à ces énièmes rééditions, à tel point que les éditeurs se transforment en rééditeurs. OK, il y a un public qui ne possède pas encore ces merveilles ; ou bien encore que les éditions qu’on possède sont usées jusqu’à la corde. Mais que ça devienne une actualité sans que personne ne relève la légère paresse éditoriale me rend un peu perplexe.
          Ou plutôt qu’on n’en saisisse pas plus la simple fonctionnalité .

          Le public répond en masse à ces formats, retour au classicisme et ce genre de considérations. Devrait-on autant nous réjouir de ces re-publications ? Ne viennent-elles pas encombrer encore les rayons des librairies ? Est-ce bien le moment ?

          Personne ne semble s’inquiéter de cette prolifération . Non pas qu’il faille considérer que le patrimoine n’a pas à être mis ainsi en avant mais le phénomène n’est pas lié qu’à la découverte.

          Ne s’agit-il pas là d’un repli ? Syndrome d’une panique. Autant du côté éditeur que du côté lecteur.

          Quand l’industrie du disque sort une compile, tout le monde s’accorde à dire que c’est un pis-aller, voire une opération mercantile. En bande dessinée, voilà t-y pas que tout le monde applaudit.

          Quelle idée aussi ces intégrales. Le plaisir d’un livre est qu’il soit
          unique et sous sa couverture originale.Il a une identité, un poids, une texture. C’est physique un livre. Ces gros machins impersonnels avec des couvertures qui sont à mille lieues des images d’origine( elles en sont même l’exact opposé, couleurs criardes, agrandissement d’un quelconque dessin, maquette efficace et point à la ligne) ne se justifient que par le prix raboté.

          L’âge d’or c’est maintenant.

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          • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 avril 2009 à  20:17 :

            Oulà, Sergio. Si je te rejoins sur la singularité du livre tel qu’il a été conçu à l’origine, je ne te rejoins pas en ce qui concerne ta suspicion à l’endroit des intégrales.

            Beaucoup de jeunes qui nous lisent ne connaissent pas ces oeuvres, lesquelles, grâce aux vertus du scoring informatique, ne sont même plus en stock chez les libraires. Alors oui, on fait un peu d’histoire, on resitue ces oeuvres les unes par rapport aux autres, dans leur contexte. Will s’éclaire au contact de Franquin, Morris a une histoire commune avec Peyo et Franquin. Ils ont tous eu Jijé comme mentor. Ces informations ne sont pas dans les manuels scolaires. Il est utile de le rappeler parfois et l’appareil critique de ces rééditions est là pour cela.

            Est-ce que cela ajoute à la surproduction ? Moi, je trouve cela bien. Cela oblige les nouveaux venus à maintenir le niveau ;)

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            • Répondu par Sergio Salma le 14 avril 2009 à  23:00 :

              Je veux bien prendre les paris. Combien de jeunes lecteurs vont à la rencontre de ces oeuvres grâce à ce format ?

              Ces intégrales ne se vendent-elles pas plutôt aux amateurs qui les connaissent déjà ? Et qui pour de multiples raisons les désirent sous cette nouvelle forme.
              Mes gamins aussi je leur mets sous les nez les belles bandes dessinées de ma jeunesse mais dans le fond je suis sûr qu’ils vibreront pour d’autres choses. Et ce ne sont presque pas mes affaires.

              Ce n’est pas leur légitimité dont je parle mais plutôt de l’écho gentillet et la complaisance attendrie d’un site qui peut parfois juger sévèrement certaines initiatives. Et dont j’attends peut-être trop qu’il joue ce rôle .

              Je ne crois pas une seconde à cette notion patrimoniale. C’est un vaste débat mais considérer une fois pour toutes que des artistes aient été et resteront les génies universels me rebute autant que tous les Lagarde&Michard où on avait décidé pour moi de ce que je devais lire .

              On a trop tendance à encenser , à déifier . Cette sacralisation de toute une époque ( à cause d’une infime minorité d’individus) est une mine de malentendus. Et cela n’aide pas à développer l’esprit critique. Comme ces prétendus mélomanes qui n’aiment que Bach et Mozart. La belle affaire.

              Ta remarque, Didier, enjouée bien entendu, sur le niveau des nouvelles générations est mine de rien révélatrice. Elle établit une fois pour toutes une espèce de mètre-étalon. On ne peut créer sans avoir en mémoire ces "maîtres" .

              J’ai la même aversion pour les cinéphiles qui par a+b me prouvent que tout a été dit et fait. Que le cinéma est mort. Les mêmes idées reçues circulent sur la littérature et la peinture n’en parlons pas.

              Ces immenses artistes ont été de leur temps ; par leur grand talent il nous semble qu’ils traverseront les temps sans l’ombre d’un doute. L’histoire de l’art est jonchée de ces malentendus. Combien de génies d’une décennie ou d’un siècle devenus des parias en quelques mouvements d’humeur. Ou au contraire de maîtres considérés comme petits qui d’un coup sont le symbole de leur temps.

              Toutes ces dévotions me font penser aux génuflexions et autres actes de contrition. Marre de cet état d’esprit surtout quand il nous pousse dans les replis douillet du passé.

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              • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 avril 2009 à  00:27 :

                Ces intégrales ne se vendent-elles pas plutôt aux amateurs qui les connaissent déjà ? Et qui pour de multiples raisons les désirent sous cette nouvelle forme. Mes gamins aussi je leur mets sous les nez les belles bandes dessinées de ma jeunesse mais dans le fond je suis sûr qu’ils vibreront pour d’autres choses. Et ce ne sont presque pas mes affaires.

                Je ne suis pas d’accord avec cette vision des choses. Je pense que tout amateur de BD a son parcours, se fait son éducation. Cette réédition rend disponible des grands moments de virtuosité qui, même s’ils sont désuets par rapport aux normes du temps, gardent leur pertinence. Le rock n’a pas aboli le baroque. Ca donne parfois un morceau de Chopin réinterprété par Gainsbourg. Il y a du Bofa chez Tardi, comme chez Blutch. Il est bon de le signaler aux nouvelles générations. Je connais des gens, amateurs de bande dessinée déclarés et mêmes reconnus, qui n’ont jamais ouvert un album de Pratt. Il faut les inciter à le faire.

                Ce n’est pas leur légitimité dont je parle mais plutôt de l’écho gentillet et la complaisance attendrie d’un site qui peut parfois juger sévèrement certaines initiatives. Et dont j’attends peut-être trop qu’il joue ce rôle .

                Un site composé de personnalités très différentes. Toutes nos signatures ne portent pas leur exigence au même niveau. Il y a des lectures pointues et parfois inspirées, d’autres moins engagées. C’est normal. Nous ne sommes pas, pour l’instant, un site de professionnels, mais bien d’amateurs et de bénévoles. Aucun d’entre nous n’a la science infuse. Ce qui n’empêche pas d’avoir des opinions, au risque de se tromper.

                Je ne crois pas une seconde à cette notion patrimoniale. C’est un vaste débat mais considérer une fois pour toutes que des artistes aient été et resteront les génies universels me rebute autant que tous les Lagarde&Michard où on avait décidé pour moi de ce que je devais lire .

                Peut-être. Mais on passe par l’enseignement de l’histoire avant de pouvoir la remettre en cause. Toute génération fabrique sa geste. Hergé tient sacrément bien la route pour ses cent deux ans. Winsor McCay ou Herriman restent des références géniales incontestables, quoi que tu en dises. On redécouvre aussi, parfois, des artistes oubliés, et c’est bien de le faire.

                On a trop tendance à encenser , à déifier . Cette sacralisation de toute une époque ( à cause d’une infime minorité d’individus) est une mine de malentendus. Et cela n’aide pas à développer l’esprit critique. Comme ces prétendus mélomanes qui n’aiment que Bach et Mozart. La belle affaire.

                La culture a ses fondamentaux. C’est à chacun de s’en abstraire. On ne réinvente l’orthographe à chaque génération. Cela n’empêche pas la littérature d’évoluer.

                Ta remarque, Didier, enjouée bien entendu, sur le niveau des nouvelles générations est mine de rien révélatrice. Elle établit une fois pour toutes une espèce de mètre-étalon. On ne peut créer sans avoir en mémoire ces "maîtres" .

                Cela me semble évident. Les Grecs déjà postulaient que la Mémoire était la mère des Muses.

                J’ai la même aversion pour les cinéphiles qui par a+b me prouvent que tout a été dit et fait. Que le cinéma est mort. Les mêmes idées reçues circulent sur la littérature et la peinture n’en parlons pas.

                Ce n’est pas ce que je dis. La mémoire doit inspirer et non castrer. L’histoire, aussi, se réinvente constamment. On ne perçoit pas aujourd’hui la Révolution Française de la même façon qu’au 19ème Siècle. Furet n’est pas Michelet.

                Toutes ces dévotions me font penser aux génuflexions et autres actes de contrition. Marre de cet état d’esprit surtout quand il nous pousse dans les replis douillet du passé.

                En ce qui me concerne, Jijé, Peyo, Will, Franquin, Morris... ont été mes contemporains, parfois même des amis. Je ne suis pas dans la dévotion, je suis dans le souvenir, comme lors de cette soirée où Franquin me fit dessiner un Atomium pour mieux m’expliquer comment je m’étais planté. La bonhommie de Will, sa gentillesse, comme la facétie de Franquin, je la retrouve dans son dessin. En parlant d’eux, je me fais plaisir. Après, les lecteurs en font ce qu’ils veulent.

                Il faudrait aussi t’interroger, mon cher Sergio, sur cette attitude, somme toute totalitaire, qui consiste à désirer, au point de vouloir l’imposer, qu’un média délivre l’information que l’on a envie de lire, de voir ou d’entendre. C’est une attitude assez fainéante et inappropriée que d’exiger un travail critique de la part d’un journaliste qui est d’abord là pour délivrer une information (en l’occurrence la publication de ces ouvrages) éventuellement assortie d’une opinion. J’entends souvent les auteurs se plaindre "des critiques".

                Outre le fait que les vrais critiques de BD sont rares (car cela demande un travail qu’aucun média actuel ne rémunère), il me semble que l’esprit critique doit avant tout être le fait du lecteur. Une fois acceptée cette hygiène libre-exaministe, les choses sont souvent plus simples.

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                • Répondu par Paul le 15 avril 2009 à  08:39 :

                  "Je ne crois pas une seconde à cette notion patrimoniale. C’est un vaste débat mais considérer une fois pour toutes que des artistes aient été et resteront les génies universels me rebute autant que tous les Lagarde&Michard où on avait décidé pour moi de ce que je devais lire ."

                  La bande dessinée est avant tout, pour moi, un art avant d’être un divertissement. Les intégrales ou par exemple la collection patrimoine chez Glénat permettent de (re)découvrir des auteurs très connus comme d’autres, aujourd’hui, injustement oubliés. Si certains auteurs anciens n’ont pas pris une ride aujourd’hui, c’est que leur travail était remarquable et intemporel.
                  Il est vrai que la sortie de ces intégrales ou la redécouverte d’auteurs fabuleux doit gêner certains auteurs contemporains qui tomberont totalement dans l’oubli dans 20 ans car dénué de tout talent... Ah ! Oui, j’oubliais. Il s’agit de la bd intellectuelle.. Normal donc que le dessin soit inexistant et le scénario... bidon. Ces pauvres incompris du grand public... qui ne font pas de bd dite "commerciale"...

                  "On a trop tendance à encenser , à déifier . Cette sacralisation de toute une époque ( à cause d’une infime minorité d’individus) est une mine de malentendus. Et cela n’aide pas à développer l’esprit critique. Comme ces prétendus mélomanes qui n’aiment que Bach et Mozart. La belle affaire."

                  Au contraire, la connaissance d’anciennes séries permet de au grand public de se rendre compte qu’une grande partie de l’édition actuelle est... sans grand intérêt et de se diriger vers des (jeunes) auteurs au talent fous qui sont noyés dans la production actuelle.

                  Vive Franquin, Will, Remacle, Erik, Pierre Tranchant, et tout les autres qui ont tant fait pour la bd et sans qui, les auteurs actuels ne pourraient vivre de leur art.

                  Un modeste lecteur de bd...

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                  • Répondu par Sergio Salma le 15 avril 2009 à  22:12 :

                    Cher Didier, je vois que tu es en verve ; tu prends un malin plaisir à faire dévier le débat vers le pour ou contre les intégrales alors que mon observation était oui bon pour ces intégrales évidemment mais bof sous cette forme. Le petit coup de nerfs étant provoqué en réalité par les commentaires qui opposent le génie d’hier avec le tout-venant d’aujourd’hui.

                    De là découlait cette autre question sur l’encombrement actuel. Parce que même si je me réjouis de cette abondance, j’estime que la place accordée au patrimoine est révélatrice . Je ne dis rien d’autre que mon étonnement devant le phénomène .

                    Du coup, tu joues le rôle du défenseur et moi j’écope du rôle du p’tit jeune qu’en a rien à fout’ de rien.

                    De trucs de sémantique en glissements dialectiques , ça nous mène à ce cul-de-sac dérangeant. Il ne s’agit pas ici d’opposer les anciens et les modernes, pitié ;il me semble avoir déjà ici et là énoncé l’importance de ces artistes, géants ou méconnus. Par ailleurs , je passe mes journées (d’auteur) en me référant à cette pratique usitée par Wilder ,lui-même impressionné par le travail de Lubitsch. A chaque obstacle artistique il se disait" Comment aurait fait Lubitsch ?" Il m’arrive au moins une fois par jour de le paraphraser : " Comment aurait fait Goscinny ?"

                    Difficile de décrire avec précision cette réaction vis-à-vis de la culture désormais officielle. C’est épidermique donc désordonné.
                    Je ne demande qu’à croire que ces intégrales ont entre autres vocations celle d’éduquer les plus jeunes ou les distraits. Mais elles apparaissent dans un contexte connu de tous et le lecteur autant que l’auteur que j’essaie d’être reste perplexe.

                    Remontages, remasterisations, nouvelles éditions, fac similés, intégrales. Tout participe selon moi à un embouteillage extrême. Sans doute le fait d’être témoin du désarroi d’un ami libraire doit influencer mon regard sur la question.
                    Mais en simple acteur du secteur économique , il ne faut pas non plus être grand clerc pour s’apercevoir que ces rééditions sont des ballons d’oxygène .

                    Qu’on puisse y trouver son compte en tant qu’amateur, je n’en doute pas une seconde. Il faut considérer comme intéressant chaque acte posé par nos contemporains. On apprend évidemment beaucoup en revisitant encore et toujours les classiques des classiques( ça va de l’ étude technique à l’émotion type madeleine proustienne). On apprend tout autant en observant la création (tous azimuts ) contemporaine.

                    Une fois encore crier au génie de ces monstres me semble un brin relever de l’euphémisme. D’où ma comparaison avec Bach et Mozart, évidents géants mais qui ont aussi le don de tout écraser.
                    C’est là qu’en tant qu’amateur, j’aime les ovnis, les découvertes, la farfouille, les méconnus…

                    Deux choses. En quoi le fait d’être rémunéré ou pas peut-il avoir un effet sur l’appareil critique ?Je pense justement que nous sommes au contraire dans la situation idéale. Si la bande dessinée n’a pas su produire une critique jusqu’au jour d’aujourd’hui , ça veut bel et bien dire qu’elle n’en produira jamais. Le débat sur la pertinence éditoriale me rappelle cette cruelle conclusion. T’as raison, c’est le lecteur le critique. Dans un autre article sur Gabrion, il devient directeur de collection. Quel cumulard celui-là.

                    Si on pouvait me lire sans me renvoyer à la figure mon petit exposé entrelardé de commentaires acerbes et définitifs ce serait sympa. Outre que ça fait mal au caquet du petit iconoclaste teigneux que je me vante d’être de temps en temps, ça relève un peu de méthodes violentes. Débat ok pas leçon de choses.

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                    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 avril 2009 à  00:13 :

                      On va essayer d efaire court, sinon les lecteurs vont décrocher.

                      Remontages, remasterisations, nouvelles éditions, fac similés, intégrales. Tout participe selon moi à un embouteillage extrême. Sans doute le fait d’être témoin du désarroi d’un ami libraire doit influencer mon regard sur la question. Mais en simple acteur du secteur économique , il ne faut pas non plus être grand clerc pour s’apercevoir que ces rééditions sont des ballons d’oxygène .

                      Pas "ballon d’oxygène", oxygène tout court. Il est normal et souhaitable qu’un éditeur continue à faire vivre son fonds, source de marge, au profit d’une recherche moins rentable.

                      Prenons l’exemple de la chanson. Des chaînes comme Radio Nostalgie sont formatées pour perpétuer les classiques. Pourquoi ce type de format n’existerait pas dans la BD ?

                      En quoi le fait d’être rémunéré ou pas peut-il avoir un effet sur l’appareil critique ?

                      C’est assez simple, une bonne critique demande du temps et de la recherche, rien à voir avec ce que l’on lit ici le plus souvent écrit à la diable. Or, ce temps coûte, car il faut bien nourrir la bête. Il y a le modèle du prof qui publie les articles pour faire connaître ses recherches. Il y a le modèle du journaliste rémunéré par un journal indépendant (pas les house organ de librairie). Eh bien, ça c’est rare, mais il y en a, dans un quotidien comme Le Soir de Bruxelles par exemple, ou Patrick Gaumer, l’auteur du Larousse. Ils vivent de leur plume et par conséquent, leur travail est le plus souvent meilleur.

                      Pardon pour la méthode, mais je crois que ce système de lardage rend les choses plus lisibles pour le lecteur. Rien de violent là-dedans. Argument pour argument, au moins on voit de quoi on parle.

                      Et bah, "leçon" de chose", d’abord pourquoi pas ? Ensuite, non, ce n’était pas le but. Ce n’est qu’une discussion, pas une bataille rangée. On a bien le droit de discuter, non ?

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              • Répondu par Pirlouit (le gentil troll qui n’aime pas la censure du politiquement (...) le 15 avril 2009 à  21:56 :

                Pour Sergio Salma qui a écrit :
                "Je veux bien prendre les paris. Combien de jeunes lecteurs vont à la rencontre de ces oeuvres grâce à ce format ?"

                Pas beaucoup, c’est sur. Mais vous devriez être bien placé pour savoir que les ventes de l’hebdo Spirou ne sont plus ce qu’elles étaient (10 à 20% de ce qu’elles étaient dans les années soixante ?). Car aujourd’hui, les jeunes se sentent plus proches des mangas, des jeux-vidéos, ou des BD Soleil ou de la bande à Titeuf et Zep. Et oui !

                En revanche, je suis persuadé que de nombreux collectionneurs vont s’offrir ces intégrales, histoire d’avoir quelques bonus, une présentation plus sympa dans leur bibliothèque. Et je ne parle pas des amateurs éclairés en quète de bonnes lectures. Car ces classiques ont le charme rétro de la nostalgie, et avouons-le, ils ont bien vieilli. De plus, de nombreux titres n’étaient même plus disponibles en albums séparés chez Dupuis (les Tif et Tondu et Gil jourdan, notamment). Donc, sans avoir à se prosterner, je trouve cette redécouverte excellente.

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PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
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