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Dupuis et ses « Coffee table books »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 24 novembre 2011                      Lien  
Il est une catégorie de livres que les anglophones désignent sous le vocable de « Coffee table books », littéralement des ouvrages destinés à trôner sur la table à l’heure du goûter, des livres d’images que l’on peut feuilleter sans grand effort de lecture.

Dupuis et ses « Coffee table books »C’est évidemment le cadeau idéal, soit parce que le sujet peut intéresser l’heureux destinataire, soit parce que c’est de la belle image, soit les deux.
Votre hôte aime-t-il la mode et la publicité, en particulier les icônes des années quatre-vingts ? Jean-Paul Goude, la jungle des images est pour lui. En quelques pages, Thomas Cadène (scénario) et Alexandre Franc (dessins) évoquent la carrière de Jean-Paul Goude, dessinateur, photographe et réalisateur qui a marqué les années 1980 par sa créativité : le look de Grace Jones, c’est lui, les trois loustics rayés de chez Kodak, c’est lui, la pub pour Egoïste avec les volets qui claquent ou les pubs avec Laetitia Casta pour Les Galeries Lafayette, le défilé du Bicentenaire de la Révolution, c’est encore lui. Un dossier bourré de documents accompagne la courte BD biographique du créateur.

Même principe pour Marie Curie, la fée du radium dessiné par Chantal Montellier sur un texte de Renaud Huynh. On comprend pourquoi LA Montellier, artiste intransigeante et haute en couleurs, s’est investie dans un tel travail : Marie Curie est une des premières scientifiques de renommée mondiale qui a réussi à s’imposer dans un univers académique uniquement masculin, une figure qui a fait vraiment avancer le droit des femmes. Ses travaux sur le polonium et le radium lui ont valu le Prix Nobel de Chimie. C’est ce que ce petit ouvrage vient célébrer avec, en supplément, une iconographie abondante fournie par l’Institut Curie.

Jeanne et Cécile de Jean-Pierre Gibrat, coédité avec Champaka, offre une perspective moins pédagogique : nous sommes ici davantage dans un « beau livre » dans lequel les aquarelles de l’auteur du Sursis et du Vol du corbeau resplendissent de sensualité et de douceur, tant dans le toucher du crayon et de l’aquarelle que dans le traitement délicat des deux ravissantes jeunes femmes qui y sont représentées. Les amateurs de Gibrat en raffoleront. Et c’est cela l’avantage de ce changement de format : les autres aussi, tant les images proposées procèdent de sentiments universels.

Enfin, les amateurs de bande dessinée ne sauront passer à côté de l’étrange et intriguant Spirou vers la modernité de Serge Clerc. Là encore, comme chez Gibrat, cet ouvrage relève du livre d’art dont le sujet serait Spirou. Un peu comme Andy Warhol revisitant Campbell Soup ou Marylin, icônes du Pop Art s’il en est, Serge Clerc se saisit du personnage au calot de groom et l’intègre dans son réseau de références qui vont de l’Art nègre à Picasso, du Bauhaus à Calder, de Will Eisner à Yves Chaland.

L’art devient une sorte de Madeleine de Proust savourée avec les images jaunies –couleur thé- des vieux Spirou de Jijé et de Franquin. Son interprétation de Spirou n’est pas très habile, elle est même naïve, mais cette naïveté même est celle des jeunes lecteurs que nous étions et qui recevions en pleine poire ces grands classiques de l’École de Marcinelle et simultanément les images éminemment modernes des graphistes Lucien De Roeck, Jacques Richez ou Corneille Hannoset que Serge Clerc oublie de citer dans ses dessins, alors qu’il les utilise, non pas parce qu’ils claquent moins bien que les noms de Calder et Picasso, mais tout simplement parce qu’il les ignore.

Ce qui est étonnant, c’est que ces quatre ouvrages paraissent chez Dupuis, ouvrant à leur catalogue une voie vers le « beau livre », susceptible en outre de le désenclaver de l’image commerciale pour ne pas dire « vulgaire » ou « old school » (ces deux termes utilisés plutôt dans un sens positif, certes, mais clivants quand même) qui était la sienne il y a quelques années encore.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Dupuis
 
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14 Messages :
  • Dupuis et ses « Coffee table books »
    24 novembre 2011 11:35, par la plume occulte

    On fait du" beau livre !"En cette période de fêtes c’est parfait !

    Et pour ceux qui grincent du porte monnaie en fin de mois -qui commence de plus en plus tôt -on fait quoi ?

    C’est sûr qu’eux vont se "désenclaver" de la lecture BD.....Les vulgaires !

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    • Répondu par Oncle Francois le 24 novembre 2011 à  15:57 :

      Cher Plume Occulte, je trouve vos derniers commentaires assez grincheux dans l’ensemble. Deviendriez vous dépressif ? Lisez un vieux Gil Jourdan, un bon Spirou de Franquin, un Lucky Luke et un Asterix de Goscinny, et vous verrez que la vie est merveilleuse quand on une bibliothèque bien fournie en chefs d’oeuvre du XXème siècle !

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    • Répondu par Remy Molaite le 25 novembre 2011 à  13:38 :

      Devrait-on alors ne produire que des albums et livres à bas prix ? Il y en a plein et il y a de la place pour de beaux livres aussi. Ici on parle de livres qui en général justifient leurs prix par des qualités plus élevées, certains signés et accompagné de sérigraphie. Cessez donc ce genre de discours aigri et misérabiliste !

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  • Serge Clerc sur Spirou : une évidence !
    24 novembre 2011 15:53, par Oncle Francois

    C’est une évidence hélas tardive, car cet auteur n’a jamais caché son admiration pour ce prestigieux hebdomadaire. Je me souviens l’avoir rencontré vers 1980. Il était alors un jeune dessinateur, aux cheveux pas encore blanchis par le poids des ans. Passionné par le rock et la jolie Blondie, il possédait un joli coup de crayon et semblait être le Moebius des années qui allaient suivre. Le destin en a décidé autrement. Il épura son trait,tentant de retrouver les précieux déliés de Chaland, et se dispersa quelque peu dans les illustrations diverses.

    Tout ce que je peux dire, c’est qu’il fut un grand collectionneur de reliures Spirou ! Je crois même qu’il recréait parfois pour son plaisir des couvertures de reliures. Il vouait un culte au personnage immortalisé par Franquin, et je suis donc heureux qu’il réalise tout un livre consacré à ce personnage. Bravo, Schwartz et Le Gall (et même Fabrice Parme, ehehe !°)ont fait des albums sur ce personnage, alors cher Serge Clerc, quand allez vous vous procurer un scénario pour agrémenter cette collection ? Bien cordialement !

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    • Répondu par f*Parme le 24 novembre 2011 à  21:45 :

      Serge Clerc sur Spirou : une évidence... mais ce qui n’est pas évident : avec quel scénariste ?

      f*

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      • Répondu par Oncle Francois le 25 novembre 2011 à  08:34 :

        Yann pourrait sans doute faire l’affaire, sil se concentrait sur une intrigue style années cinquante, sans ponctuer chaque page de quelques belgicismes tonitruants. Il a déjà travaillé avec Chaland et Schwartz sur le personnage.

        Le problème majeur vient surtout à mon humble avis de la motivation actuelle de Serge Clerc pour la BD, qu’il a délaissée depuis longtemps au profit de l’illustration. Aura t’il le courage de s’appliquer sur 44 pages de huit à 12 cases ? Je ne me fais pas d’illusion sur les superbes illustrations de l’artbook Spirou, elles seront sans doute exposées chez les grands galeristes de Bruxelles et Paris avant d’aller orner les murs de riches collectionneurs.

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        • Répondu par f*Parme le 25 novembre 2011 à  09:36 :

          Yann, j’y ai pensé. Yann et Bravo sont aujourd’hui, à mon avis, les plus capables de tirer quelque chose de Spirou. Clerc est plus poétique que Chaland ou Schwartz. Je ne sais pas si le cynisme, la méchanceté de Yann (très esprit des années 80) lui correspondrait le mieux. Fromenthal ? Bof.
          Pour ce qui est de la motivation de Clerc... la BD est un travail de moine copiste, de voyageur en solitaire, presque d’autiste, surtout si on ne sait pas bâcler. Si on décroche quelques années, qu’on préfère se concentrer sur l’image unique, l’illustration, le design... il me semble très difficile d’y revenir. Pour deux raisons : parce qu’une illustration ne prend pas énormément de temps et parce qu’à force de ne se concentrer que sur une image, on développe un autre sens de la composition. Ce qu’on y découvre est ensuite très difficile à réintégrer dans la bande dessinée. Une illustration fonctionne sur elle-même, elle est tournée vers l’intérieur. Une vignette de BD fonctionne avec les autres, tournée vers l’extérieure, la suivante. Une image de BD n’est pas un objet. C’est tout le contraire. Alors, on peut pousser la réflexion plus loin. Une image de Hergé fonctionne des deux manières, une image de Franquin, vous l’isolez, elle ne tient pas debout. Ce qui est génial dans le style atome, c’est le mélange des deux écoles : Hergé+Franquin/Jijé. Clarté et dynamisme. Chaland est celui qui réussi cette synthèse. Voilà pourquoi il est incontournable dans l’Histoire de la Bande Dessinée. Malheureusement, il n’est plus là et on ne saura jamais où il nous aurait emmené. Clerc est allé ailleurs, du côté de l’illustration, de l’abstraction, du formalisme et c’est très bien ainsi. Après tout, le livre que propose Dupuis est la meilleure solution pour lui pour présenter son Spirou. Il aurait pu entrer dans la collection le Spirou de..." (Pas vrai Benoît et Sergio ?). Il se passe tellement de choses dans une image de Clerc qu’elle se suffit. La BD n’est pas un art obligatoire pour tous les dessinateurs de talent. C’est même un drame de toujours tout vouloir réduire au récit, comme si le dessin n’était qu’un véhicule pour raconter des histoires.

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          • Répondu par Oncle Francois le 25 novembre 2011 à  15:15 :

            Merci pour votre commentaire passionnant, instructif, et propre à développer de nouvelles reflexions, cher Fabrice ! C’est toujours intéressant d’avoir le point de vue éclairé d’un auteur.

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  • Dupuis et ses « Coffee table books »
    25 novembre 2011 04:25, par LC

    littéralement des ouvrages destinés à trôner sur la table à l’heure du goûter

    C’est le meilleur moyen de flinguer son bouquin, plein de taches grasses de croissants et de pains au chocolat, de miettes de biscuit, de taches de thé, café, chocolat, nutella, jus d’orange etc... bref un beau carnage.

    Je crois que le terme « Coffee table (books) » désigne la table basse devant le canapé. Mais faut-il vraiment utiliser cette expression anglaise ? On a en France le terme "beau livre" ou "livre d’art" qui fonctionne bien.

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    • Répondu le 25 novembre 2011 à  14:46 :

      Coffee table book est un terme péjoratif qui veut dire, "bouquin que je n’ai pas lu mais qui fait bien et que je pose en vue de tous sur ma table basse pour frimer".

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  • Dupuis et ses « Coffee table books »
    13 décembre 2011 21:28

    Ils ont pêté les plombs chez Dupuis, un Spirou à 55€, 55€ !!! Ils sont fous ! Dire que j’achetais les Spirou de Fournier 18 francs...

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    • Répondu le 14 décembre 2011 à  09:15 :

      En même temps, si aujourd’hui, ils vendaient ce livre 18 francs, ce qui ne ferait pas grand chose en euros, ils seraient encore plus fous parce que ce serait suicidaire de leur part niveau rentabilité. Et ce n’est pas une BD, c’est un livre pour esthètes, uniquement.

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      • Répondu par Ola le 14 décembre 2011 à  13:42 :

        c’est un livre pour esthètes, uniquement

        Un livre pour esthètes du mauvais gout, parce que c’est vraiment très moche.

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        • Répondu le 14 décembre 2011 à  18:25 :

          Effectivement, c’est très laid. Quelques esquisses cubiques éparpillées de ci, de là. Des gribouillis et quelques rares dessins finis mais assez cheaps. Pas grand chose à se mettre sous la dent, ni graphiquement ni narrativement. Mais le nom de SPIROU fait vendre. Nul doute que Serge Clerc arrondira ses fins de mois avec ce ... truc.
          Certes, l’objet est gros et beau mais 55 € pour un câle-meuble, c’est cher quand même.

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