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« Dupuis, la fabrique des héros » une expo annonciatrice de la création d’un Musée de la BD à Charleroi

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) Charles-Louis Detournay Kelian NGUYEN le 22 décembre 2022                      Lien  
Cette semaine s’ouvre à Charleroi une grande exposition célébrant le centenaire des éditions Dupuis : « 100 ans de 9e art au Pays noir » est le sous-titre d’une expo qui retrace l’incroyable parcours d’une petite imprimerie belge produisant des emballages imprimés pour les pharmacies devenue un tycoon de la bande dessinée mondiale. Le miracle a un nom : il s’appelle Spirou. Et ce ne sont pas moins de trois commissaires, rédacteurs en chef et éditeurs historiques du Journal, qui en assurent le commissariat. Visite.

La cité carolorégienne (c’est comme cela que l’on nomme les habitants de Charleroi. Le terme est paraît-il le même pour ceux de Charleville-Mézières) est envahie de travaux qui encombrent une bonne partie de la ville, pire qu’à Paris ! C’est que son bourgmestre, Paul Magnette, grande figure du socialisme européen et ancien ministre-président de la Wallonie, a de l’ambition pour sa ville.

Charleroi, « avec ses terrils comme uniques montagnes » comme dirait l’autre, a été longtemps l’un des cœurs battants de l’industrie wallonne. Puis, la crise de la sidérurgie venant, comme dans le Nord de la France, « le Pays noir » a périclité sans pour autant trouver immédiatement le relais nécessaire à sa croissance.

Un nouveau Musée de la bande dessinée

Pourtant, dans une banlieue proche, à Marcinelle, en 1922, un filon avait été mis à jour. Ses pépites avaient pour nom Bonnes Soirées, Le Moustique et surtout, à partir de 1938, le Journal de Spirou, devenu le « soft power » de la cité wallonne. Magnette l’a bien compris qui accompagne avec vigueur le déploiement de la BD dans sa ville (200 000 habitants environ, avec une population très jeune) que ces grands travaux ont l’intention d’embellir dans un projet quasiment haussmannien : transformer un urbanisme éclectique et, disons, foutraque, en un lieu agréable à vivre avec des « coulées vertes » traversant une conurbation dense et en même temps redéployée sur le territoire.

« Dupuis, la fabrique des héros » une expo annonciatrice de la création d'un Musée de la BD à Charleroi
Paul Magnette, le bourgmestre de Charleroi, n’est pas exactement un maire de Champignac : il sait quel "soft power" constituent les éditions Dupuis pour sa ville.
Photo : Kelian Nguyen

Au sein de cette ambition, la création d’un Musée de la bande dessinée structuré autour du patrimoine (les Éditions Dupuis, mais pas seulement) et de la création belge émergente de bande dessinée (Employé du moi, Frémok, La Cinquième Couche, Les Impression nouvelles, La Crypte tonique…) Ce sera un projet accompagné de résidences d’artistes et de pleins d’autres initiatives, nous annonce Pascal Verhulst, le conseiller culturel du bourgmestre. Plusieurs millions d’euros seront affectés à ce projet. Affaire à suivre.

Pascal Verhulst, conseiller culturel de la ville de Charleroi, et son maire-bâtisseur Paul Magnette.
Photo : Didier Pasamonik

Dès lors, on sent bien que l’enjeu de cette exposition Dupuis, première initiative de cette politique, dépasse largement celui d’une exposition temporaire.

Dans le cœur de la Fabrique

Le parcours de l’exposition est dans le titre : nous sommes dans une fabrique de héros. On commence par entrer dans le bureau du patron, Jean Dupuis. Dirigeant une petite imprimerie, nous sommes face à un potentat pénétré de catholicisme social et de paternalisme. Ce maurassien a été contraint dans la Seconde Guerre mondiale de laisser la maison d’édition dans les mains de ses enfants, plus en phase avec l’époque. Ce sont eux qui ont mis sur les rails les éditions Dupuis que nous connaissons aujourd’hui, non sans quelques évolutions coperniciennes : issus de l’imprimerie dite « de labeur », essentiellement typographique, la famille Dupuis a dû faire évoluer sa société dans un environnement industriel et culturel de plus en plus élargi et de plus en plus mondialisé. Exit les imprimeries, bonjour le merchandising et le prolongement des univers sur les écrans tellement centraux aujourd’hui.

Morgan di Salvia, rédacteur en chef de Spirou et l’un des trois commissaires de l’exposition.
Photo : Kelian Nguyen

La cession de l’entreprise par la famille Dupuis dans les années 1980 n’était pas seulement nécessaire pour des raisons culturelles voire générationnelles, elle l’était pour des raisons financières : le déploiement des univers créatifs sur tous les supports, à 360° (films, jeux vidéo, parcs d’attraction…) sur le modèle d’Hollywood tel qu’il est nécessaire aujourd’hui, dans le contexte de la mondialisation de la culture, exige une intensité capitalistique qui n’était pas à la portée de l’entreprise carolorégienne. Elle est aujourd’hui adossée au groupe Media-Participations forte de plus de 60 entreprises très présentes dans tous ces secteurs : cinéma, dessins animés, jeux vidéo, parcs d’attraction, webtoons… Dupuis a réussi cette mutation avec un hebdomadaire pour la jeunesse, Spirou, créé en 1938, qui est encore le seul en activité avec Mickey (créé lui en 1934).

Le bureau de Monsieur Dupuis. Son pied n’a pas traversé encore le plafond (sauras-tu attribuer à quel héros appartient ce private joke ?)
Photo : Kelian Nguyen

La fabrique a donc quitté le métier de l’imprimerie pour celui de la « Fabrique des héros » avec un parcours qui commence par le scénario (on peut s’asseoir dans le fauteuil de Cauvin et entendre sa voix), puis le dessin (au mur, une collection de planches originales sublimes), la couleur avec une vue sur la table de travail où plusieurs autrices et auteurs racontent leur façon de travailler comme si vous regardiez par-dessus de leur épaule et puis les mille et un secrets sur la création des héros, sur les scandales qui ont émaillé l’histoire du journal, avant d’aboutir devant une immense bibliothèque où figure (on suppose) toute la production de la maison Dupuis, avec un coin de lecture.

Le vestiaire des créateurs.
Photo : Kelian Nguyen
Une belle zone lecture. Légitime !
Photo : Kelian Nguyen

Il a fallu trois mousquetaires pour faire le commissariat de l’expo : l’éditeur de Spirou Benoît Fripiat, comme toujours rêveur et posé, le rédacteur en chef de Spirou Morgan di Salvia, comme toujours sympathique et efficace, et monsieur 100 000 idées, Thierry Tinlot. Nos trois complices ont parsemé le parcours de panneaux à contrepied très drôlatiques. Bref, un parcours grand public, plutôt parc d’attraction que patrimonial assumé par les commissaires. Sur la fin du parcours, une salle d’immersion numérique, histoire de rappeler que récemment, avec Webtoon Factory, Dupuis s’est ouvert aux webtoons...
L’expo est ouverte au public jusqu’au 30 juillet 2023.

Lecture prophylactique.
Photo : Kelian Nguyen
Saviez-vous qu’il a existé un "mini-mini-récit" ?
Photo : Kelian Nguyen

La très grande bibliothèque des éditions Dupuis

Les trois mousquetaires-commissaires Thierry Tinlot, Morgan di Salvia et Benoît Fripiat
Photo : Kelian Nguyen
L’ouvrage, "La Fabrique des héros" rédigé par José-Louis Bocquet et Sergio Honorez. On vous en reparle bientôt.

Pour sa part, le catalogue de l’expo est beaucoup plus dense, revenant chronologiquement, sur le modèle des dictionnaires amoureux, sur toute l’épopée de Dupuis, depuis ses débuts, et en se concentrant surtout sur l’épopée éditoriale dès 1938. Nous reviendrons d’ailleurs prochainement plus en détails sur cet ouvrage, qui paraîtra en librairie le 6 janvier 2023. Il constituera un bon complément à l’Histoire du Journal Spirou de Bertrand et Christelle Pissavy-Yvernault, en attendant une "Histoire des éditions Dupuis" à paraître quelques semaines plus tard.

La fête

Dans la foulée de notre visite a eu lieu la fête des 100 ans. 550 personnes invitées parmi lesquelles Zidrou ou Munuera venus d’Espagne ou Sylvain Runberg venu de Suède (bonjour l’impact carbone !)

Des discours, du crémant et un service traiteur face à une piste de danse, des anciens (on reconnaissait Jean Van Hamme, Lambil, Dany,..., et même le coloriste mythique de la maison Vittorio Leonardo, sans doute l’un des plus anciens employés de Marcinelle et toutes les figures connues de la BD franco-belge d’aujourd’hui.

Quelques absents cependant : Delaf (tout le monde est dans l’attente du verdict de l’affaire Gaston, il se fait discret jusque là) ou encore les historiens de la maison, Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, ce qui est quand même bizarre pour un centenaire. Auraient-ils eu un problème de train ?

Voir en ligne : Le site de l’exposition

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

(par Charles-Louis Detournay)

(par Kelian NGUYEN)

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Code EAN : 9791034767090

Dupuis tout public Belgique Marché de la BD : Faits & chiffres
 
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5 Messages :
  • Article très intéressant. J’ai prévu de visiter l’exposition mardi prochain lors de mon retour au pays pour les fêtes. Petit détail : les habitants de Charleville-Mézière portent le gentilé de Carolomacérien(ne)s et non de Carolorégien(ne)s !

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    • Répondu par Dominique PETITFAUX le 23 décembre 2022 à  12:30 :

      Précision d’un natif des Ardennes : quand, en 1966, les villes de Charleville et de Mézières ont fusionné pour devenir Charleville-Mézières, les Carolorégiens et les Macériens sont devenus les Carolomacériens.

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      • Répondu par Domunhique PETITFAUX le 23 décembre 2022 à  13:34 :

        À la réflexion (ce sont des souvenirs de jeunesse) on ne disait pas "Carolorégiens" pour les habitants de Charleville, mais "Carolopolitains" !

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  • Je ne vois pas trop l’intérêt de célébrer autant un petit imprimeur devenu un éditeur important, surtout qu’il ne reste plus rien de l’esprit de cet éditeur revendu il y a belle lurette à un gros groupe. Il vaudrait mieux mettre en avant les auteurs qui sont les vrais héros de cette épopée.
    Dupuis est aujourd’hui un éditeur comme un autre et un simple rouage d’un grand trust de l’édition

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    • Répondu par jean urbain le 4 mars 2023 à  10:58 :

      j’ai travallié 45ans dans l’entreprise le directeur c’étais Pol Dupuis un type formidable

      Répondre à ce message

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