Ce phénomène dépassera les frontières de l’État de New-York pour contribuer au développement du spiritisme bien au-delà des États-Unis. Ce qui n’était qu’une mystification montée par les deux sœurs vire au fait de société et ne tarde pas à susciter la curiosité des journalistes. Les deux jeunes filles n’osent plus avouer la supercherie et le mystère demeure, du moins pendant quelques temps… Fortes de ce succès, elles compteront jusqu’à deux millions d’adeptes à travers le monde. Sous la pression de Maggie leur aînée, elles continuent de développer leurs talents. Prisonnière de sa volonté de tutorer ses cadettes mais aussi d’une forme de mauvaise conscience, Maggie finira par sombrer dans l’alcool et la dépression. Après la mort brutale de son mari, elle envisage de livrer sa vérité au public.
Une fois de plus Philippe Charlot nous dévoile un aspect méconnu de l’histoire de l’Amérique. Après la brillante épopée du Train des Orphelins, [1] révélation d’un trafic d’enfants en plein XIXe siècle, il s’attaque désormais aux origines du spiritisme, phénomène qui finit par envahir l’Occident. Les sœurs Fox ont largement contribué à en faire naître les bases, en se prétendant à la fois témoins et actrices de ces phénomènes surnaturels.
Cette ferveur pour la communication avec l’au-delà réussit à séduire non seulement une population isolée, peu cultivée et crédule mais aussi des intellectuels et des artistes renommés. À tel point que notre Victor Hugo se livra lui-même à l’exercice des tables tournantes.
Bien qu’à l’origine cette histoire méconnue relève d’abord d’une supercherie, les auteurs restent fidèles au déroulement historique des événements, sans vraiment prendre partie entre l’hypothèse de la manipulation et celle d’un véritable phénomène surnaturel.
Le récit s’apparente à une chronique rigoureuse que vient confirmer l’illustration de Grégory Charlet, sobre et au trait précis. Le dessinateur recourt à une imagerie semi-réaliste très expressive enrichie d’une colorisation sombre et terne. Les teintes majoritairement ocre et sépia soulignent à la fois l’aspect daté en référence non seulement à l’univers de l’occultisme mais aussi à la rigueur d’un mysticisme religieux rigide et austère. Pas de couleurs trop vives ou trop éclatantes dans ce récit dont l’arrière-plan reflète l’obscurantisme et la crédulité d’une époque. Refusant les excès du spectaculaire, l’histoire, en dépit de son sujet sulfureux, s’attache à décrire de manière précise une mécanique sociale où la croyance prend le pas sur la raison, où le religieux et le surnaturel se confondent pour conforter une population avide de réponses faciles.
La démarche met en évidence la supercherie sans pour autant céder une part de mystère ; une forme de jeu avec le lecteur comme pour laisser planer un doute.
Quarante ans plus tard, Margaret révélera qu’elle produisait les « coups » de l’esprit en craquant ses propres doigts de pied, mais la vogue de la chasse aux esprits ne s’arrêtera pas pour autant. Les médiums et les adeptes du spiritisme continuent encore aujourd’hui à contacter les esprits. La légende des sœurs n’a pas fini de faire encore quelques adeptes...
À lire à la bougie, un soir de tempête !
(par Patrice Gentilhomme)
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[1] dessiné par Xavier Fourquemin, déjà édité dans la collection Grand Angle, chez Bamboo