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Eddy Paape, un aventurier de l’Ecole belge

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 avril 2008                      Lien  
Eddy Paape aura 88 ans cette année. Cet auteur discret a été l’un des piliers de l’école belge. Collaborant aussi bien à Spirou, qu’à Tintin ou Pilote, il aura suivi son aventure pas à pas, de la naissance à sa consécration. Une exposition et une monographie lui rendent hommage, tandis que ses œuvres sont enfin rééditées.

Né à Grivegnée près de Liège, il est issu de l’Institut Saint-Luc où il reçut une solide formation de peintre et d’illustrateur. Il collabore en pleine guerre à un studio de dessins animés, CBA à Bruxelles, où il rencontre Franquin, Morris et Peyo. L’autre grande rencontre qu’il doit à ce pionnier du dessin animé est due à une circonstance tragique : En 1943, les studios brûlent. Paape en réchappe de justesse. Blessé, il est soigné par une infirmière, Laurette Beer, qu’il épouse et qui ne le quitta plus jusqu’à aujourd’hui.

Eddy Paape, un aventurier de l'Ecole belge
Eddy Paape et son épouse. Unis depuis 1943.
Photo : Didier Pasamonik (L’Agence BD)

Pilier du Journal de Spirou

Marc Dacier de Charlier et Paape

Avec Morris et Franquin, bientôt rejoint par Peyo, il constitue le noyau de base du journal de Spirou sous l’aile de Joseph Gillain, alias Jijé. Il réalise force illustrations pour les magazines de Dupuis (Bonnes Soirées, Le Moustique…) et donne un coup de main à Jijé (aux côtés de Franquin et de Will) sur son histoire du Christ, Emmanuel. Quand Jijé part pour le Mexique, il lui refile le dessin de Valhardi, un personnage créé par Jean Doisy. Paape devient non seulement un grand producteur de pages d’aventures mais surtout l’un des piliers de l’animation du journal : « Eddy Paape multiplie ce type de collaborations qui n’inspirent pas les dithyrambes des connaisseurs, mais sans lesquelles un magazine apparaît très impersonnel  » écrit Alain De Kuyssche dans la biographie de l’artiste qu’il vient de publier aux éditions du Lombard, Eddy Paape : La passion de la page d’après. Le travail est tellement considérable qu’il vient s’installer à Marcinelle où son père a trouvé un poste de responsable du brochage à l’imprimerie… Dupuis !

Eddy Paape entouré de Jean-Michel Charlier (à g.) et de Georges Troisfontaines (à dr.)
Photo : DR

Entre-temps, Paape rejoint la World Press, « creuset de la bande dessinée franco-belge » selon De Kuyssche, une agence de bande dessinée à l’américaine créée par Georges Troisfontaines, et dans laquelle on retrouve Goscinny, Uderzo, Charlier, Hubinon, Graton, Liliane & Fred Funcken… rien de moins !

Pour la World, il conçoit en 1951 le personnage de L’Oncle Paul dont les traits seraient inspirés de Paul Dupuis, fils de Jean et frère de Charles. Son personnage sera repris par tous ses successeurs. Le scénario de ce premier épisode est signé Jean-Michel Charlier, employé à la World. Ce dernier réalisera pour lui les quelques Valhardi les plus remarquables, comme Le Château maudit ou Le Rayon super-gamma , mais aussi treize épisodes de Marc Dacier (1955) qui font partie de l’âge d’or de l’hebdomadaire de Marcinelle. On lui doit aussi une biographie de Winston Churchill avec Octave Joly au scénario.

La première page de Marc Dacier. Du pur Charlier !
(c) Dupuis
Luc Orient de Greg et Paape
L’intégrale est en cours de réédition aux éditions du Lombard.

En raison d’une mésentente avec son éditeur, Paape passe chez Tintin pour la deuxième partie de sa carrière. Là, l’ambitieux Greg le prend sous son aile en écrivant pour lui une série de science-fiction remarquée Luc Orient (1967), suivie de Tommy Blanco (1970), tandis qu’André-Paul Duchateau conçoit pour lui Yorik des Tempêtes (1971), puis Udolfo (1978). Le journal Tintin ayant disparu, il s’associe avec le débutant Jean Dufaux et Sohier pour Les Jardins de la peur (1988) paru chez Dargaud. Viennent ensuite Carol détective (1991) avec Duchateau au Lombard et Johnny Congo aux éditions Lefrancq (1992) avec Greg chez Lefrancq. Enfin mentionnons Les Misérables (1995) scénarisé et édité par Michel Deligne.

« Je me suis rendu compte grâce à une bibliographie extrêmement bien faite par Franz Van Cauwenbergh publiée dans l’ouvrage d’Alain De Kuyssche, constate André Paape, le fils aîné du dessinateur, aujourd’hui administrateur d’une fondation qui porte son nom et qui a fait carrière dans la publicité, que quand on fait le calcul du nombre de planches par rapport au nombre d’années, mon père a produit une planche et demi par jour. C’est énorme. A l’occasion des 70 ans de Spirou, on résume la collaboration de Paape à Marc Dacier. Or, j’ai fait le compte avec Alain De Kuyssche et Franz Van Cauwenbergh : Eddy Paape produisait jusqu’à 60% des dessins publiés dans Spirou dans les années 60. De cette production, il ne nous reste quasiment que le quart. Toute la période Dupuis a disparu : Détruites dans des incendies, « détournées » et pour un bon nombre d’entre elles pas perdues pour tout le monde. Nous avons seulement quatre planches de « Valhardi » mais pas mal de « Luc Orient ». Dans la foulée, André Paape annonce qu’il s’est mis d’accord avec Philippe Charlier, le fils du scénariste pour relancer les Marc Dacier.

Un passeur et un pédagogue

Luc Orient de Greg et Paape
(C) Le Lombard

Eddy Paape a un trait réaliste qui se situe à ses débuts à équidistance entre le dessin vif et académique du Jijé de Baden Powell et celui, un peu figé mais diablement efficace, du Victor Hubinon de Buck Danny. L’un et l’autre sont influencés par les dessinateurs américains comme Harold Foster ou Milton Caniff. Ce style s’accorde parfaitement aux scénarios madrés de Charlier ou à la veine historique de Octave Joly, le principal scénariste de L’Oncle Paul. Mais c’est avec Luc Orient (1967) que Paape marque son époque. Œuvre novatrice (la science-fiction était alors un genre méprisé), Luc Orient introduit dans Tintin un type de SF moderne qui se raccroche aux grands auteurs de l’époque –de Stephan Wul à Philip K. Dick- qui réussissent à lui donner un arrière-fond de réflexion philosophique. Ces aventures de justiciers intergalactiques allait au-delà de la production ordinaire des super-héros américains –encore interdits en Europe, il faut s’en souvenir : l’année de la création de Luc Orient, la censure lâchait ses foudres sur Fantask. Elle renouvelait également la science-fiction d’inspiration orwélienne d’Edgar P. Jacobs devenu, comme Hergé, plutôt rare dans l’hebdomadaire des 7 à 77 ans.

André Paape, administrateur de la Fondation Eddy Paape
Photo : (C) Nicolas Anspach

Paape n’arrête pas là son destin de passeur. À partir de 1969, alors qu’il est en train d’assurer de front plusieurs séries, Paape accepte d’ouvrir un atelier à Saint-Luc pour enseigner la bande dessinée à de jeunes dessinateurs. Dans sa classe passeront des signatures aujourd’hui reconnues comme Andréas, Berthet, Cossu, Desorgher, Dugomier, Foerster, Godi, Olivier Grenson, Claude Renard, Bernard Vrancken, Philippe Wurm et même Plantu, l’éditorialiste graphique du Monde.

Jeudi a eu lieu l’ouverture d’une exposition en son hommage organisée par son fils aîné, l’occasion de constater de visu la portée de l’œuvre de ce grand auteur. Il était temps : il y a trois semaines, notre grand homme avait eu un malaise cardiaque dont il s’est heureusement remis. Hier, il avait l’air heureux parmi ses amis venus en masse : on reconnaissait Jean Dufaux, André-Paul Duchateau, Jean Van Hamme et bon nombre de ses élèves.

Qui plus est, le soleil était de la partie. Cela faisait chaud au cœur !

Un visiteur de l’expo, grand connaisseur de l’oeuvre : Guy Decissy, fondateur du Centre Belge de la Bande Dessinée
Photo : Didier Pasamonik (L’AgenceBD)
Eddy Paape avec son biographe Alain De Kuyssche
Photo : (C) Nicolas Anspach

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Lire l’interview d’Eddy Paape par Nicolas Anspach
Illustrations : (c) Paape, Greg, Le Lombard, avec l’aimable autorisation d’André Paape et de la Fondation Paape.

Photo (c) Nicolas Anspach -

Exposition Eddy Paape

Jusqu’au 30 Juin 2008

L’exposition est ouverte au public du lundi au vendredi de 9 à 18 heures.
Fermée les samedis, dimanches et jours fériés.

Seed Factory
Avenue des Volontaires 19
1160 Bruxelles
Belgique
Tel : 00322 743 47 20

 
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4 Messages :
  • Juste Hommage à Paape
    26 avril 2008 20:55, par marcelinswitch

    Ce n’est que justice que la sortie de ce livre qui remet en lumière le rôle prépondérant qu’a tenu Eddy Paape dans l’animation du journal Spirou, par exemple.
    Un grand classique méconnu.

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  • Eddy Paape est un pilier de l’école franco-belge,
    peut-être le dernier représentant de cette BD qui respectait l’attente du lecteur au fil des semaines (ah, le joyeux temps de la prépublication !), avec un style évoluant à la croisée des influences américaines et européennes.
    Il était grand temps de lui consacrer une rétrospective. On peut regretter toutefois l’aspect sommaire de l’hommage, laissant peu de place à la parole de l’intéressé, trop factuel et même incomplet (passant sous silence la période "Luc Orient" supervisée par Gérard Jourd’hui, et la nécessité pour Paape de s’improviser sénariste...),
    mais on ne boudera pas son plaisir. En regrettant que tant de planches restent dans l’ombre...

    BP

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  • Eddy Paape, un aventurier de l’Ecole belge
    28 avril 2008 09:43, par horto

    L’un des derniers piliers de l’école belge. Injustement reconnu chez Dupuis, il est pourtant un auteur réaliste de grand talent : un artisan humble, travailleur et doué. Non seulement il est prolifique, mais en plus il a distillé son savoir à quantité d’auteurs devenus célèbres.
    Un grand merci à ce grand monsieur, que l’on rencontre toujours avec plaisir en dédicace.
    Vivement le prochain Marc Dacier !

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  • Eddy Paape, un aventurier de l’Ecole belge
    28 avril 2008 17:18, par Gilles Poussin

    C’est en 1969 (année de sa création... et de sa disparition !) et non en 1967, que Fantask a eu du soucis avec la commission de censure (en fait, la revue n’a pas été censurée mais elle s’est sabordée par peur devant l’avertissement de la commission). A part ça, bravo M. Paape, vous m’avez bien fait rêver quand j’étais gosse mais, pour être franc, à relire, je trouve les scénarios de Greg un peu lourds et indigestes, enfin, surtout les premiers avec Terango et ses méchants à nez crochu, même si La Forêt d’acier évoque étrangement l’Empire contre-attaque, bien avant le film de Lucas. Le meilleur de la série, à mon avis, se situe plutôt vers le milieu, quand la veine "anticipation scientifique" domine, ainsi le 8, La Légion des anges maudits, prémonitoire des manipulations génétiques.

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