Mourad Boudjellal, on peut le dire, est une légende. Fils de chauffeur de poids lourds issu d’une famille algérienne par son père et arménienne par sa mère, il incarne une réussite et une intégration exemplaires dans cette France républicaine que d’aucuns voudraient purifier. Il sort à peine de l’adolescence quand il participe à la création du festival de BD d’Hyères. Il décroche la venue des plus grands auteurs de bande dessinée du moment : André Franquin, Jacques Martin, Tibet, Cosey, Moebius, Frank Margerin… Vendant des BD sur les marchés, il devient bientôt libraire spécialisé en BD (la librairie Bédule à Toulon).
Dans la foulée, il crée les éditions Soleil qui relancent la série Rahan, orpheline du journal Pif Gadget, tandis qu’avec Didier Tarquin, un ami de jeunesse, et le journaliste Christophe Arleston, ils créent la série à succès Lanfeust de Troy.
Heroïc Fantasy mêlée d’un humour à la Astérix, avec son contingent de monstres rigolos et de filles à la poitrine généreuse, la série indique la ligne éditoriale du label : épouser la tendance du moment popularisée par Conan et Le Seigneur des anneaux au cinéma dans une optique classique, populaire et grand public. À Angoulême, où la programmation a pris déjà un tour élitiste, on se pince le nez. Mourad Boudjellal, qui n’a pas sa langue dans la poche, y illustrera déjà sa réputation de « sale gosse » qu’on lui connaîtra plus tard dans le milieu du sport. Son parcours le mène cependant au succès : il entre dans le club des 100 premières fortunes de France.
Un éditeur engagé
Une ligne populaire, donc, mais aussi politique. Il est un des premiers à publier des bandes dessinées qui, à l’exemple de Charlie Hebdo, commentent l’actualité politique. En 1995, il s’associe avec la feuille satirique pour publier Charlie Hebdo saute sur Toulon. Devenu président du RCT, il refuse que son équipe joue à Béziers, la ville de Robert Ménard. Dans une déclaration au Point, Marine Le Pen le clashe : « Mais qui est ce monsieur ? C’est un énorme bobo millionnaire qui nous aligne les préjugés les plus ringards, les plus éculés, de la pseudo-lutte antifasciste qu’il doit mener dans sa baignoire en or. » Venant d’une héritière habitant Saint-Cloud, la remarque ne manque pas de sel. Plus tard, Boudjellal soutiendra Nicolas Sarkozy puis Emmanuel Macron.
Bientôt, ses activités sportives prennent le pas sur son activité éditoriale. Plutôt que de mal gérer son affaire, il la cède en 2011 au Groupe Delcourt avec lequel il avait fondé la société de diffusion DelSol (Delcourt-Soleil).
Retour à la case BD
Il y a quelques années, une rumeur laissait entendre qu’il envisageait une collaboration avec Glénat mais c’est finalement dans le Groupe Editis de Vincent Bolloré qu’il fait son grand retour : « Créer une maison d’édition avec Mourad Boudjellal a été un choix évident et une opportunité formidable pour Editis. Cela traduit non seulement la volonté du Groupe de continuer - après la création de Philéas - son développement dans le domaine de la bande dessinée, mais aussi de créer des maisons autour de personnalités de talent et de projets ambitieux » déclare Michèle Benbunan, Directrice générale du groupe Editis, dans un communiqué.
« la 51e maison du Groupe Editis »
Ce rapprochement avec le groupe Editis, N°2 de l’édition en France, interpelle, au moment où toute l’édition s’inquiète du rapprochement avec le Groupe Hachette, N°1 de l’édition, que le groupe de Vincent Bolloré est en train d’acquérir.
On imagine que Boudjellal saura jouer de son carnet d’adresse pour y amener avec intelligence les meilleurs auteurs mais aussi les plus grandes personnalités du sport qui, comme Kylian MBappé, tentent d’aller vers la bande dessinée. [1]
On imagine qu’il croisera Zemmour dans les réunions de représentants...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photo : Johnjohn83var, CC0, via Wikimedia Commons
[1] Rappelons que le champion de France a créé, en novembre 2021, sa propre maison d’édition pour publier sa BD, Je m’appelle Kylian, tirée à 300 000 exemplaires. Comme le titre n’apparaît ni dans les meilleures ventes GfK de 2021, ni dans le Top 100 de Datalib, mais qu’il apparaît néanmoins à date dans les chiffres GfK à hauteur de 113 512 ex., on peut supposer que cela a dû être décevant.
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