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Eico Hanamura fête ses 50 ans de carrière à Paris

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 décembre 2007                      Lien  
Kawaïssime ! La grande auteure de bande dessinée japonaise Eico Hanamura, contemporaine d’Osamu Tezuka et promoteur avec lui du Shôjô Manga, le manga pour filles, exposait cette semaine au Louvre.

C’était un petit peu surréaliste car si Eico Hanamura est une notoriété dans son pays, elle est inconnue chez nous, aucun éditeur n’ayant jusqu ‘à présent traduit ses œuvres. Elle est pourtant l’invitée de la Société Nationale des Beaux-Arts à l’occasion de son salon annuel, reçu en grandes pompes au Louvre par son représentant japonais en France, le peintre Kougiro Akaji, et par les plus hautes instances de l’ambassade du Japon, tandis que l’Association des Auteurs de bande dessinée japonais organisait une fête en son honneur dans les salons de l’hôtel Meurice. C’est d’ailleurs le représentant de cette association, M. Koichi Tateno, qui nous avait conviés à la rejoindre, M. Takanori Uno, le représentant Japon des éditions Tonkam nous servant gentiment d’interprète.

Eico Hanamura fête ses 50 ans de carrière à Paris
Une illustration d’Eico Hanamura
(c) Eico Hanamura

Une star du Shôjô Manga

Vous l’aurez deviné, Eico Hanamura n’est pas n’importe qui. Elle est issue d’une tradition, née au Japon dans les années 1920, qui n’a pour ainsi dire pas d’équivalent dans le monde de la bande dessinée : les mangas pour filles, réalisés par des artistes féminines dont la notoriété est au moins aussi importante que celle de leurs confrères masculins. Une bande dessinée devenue un style, le « Kawaï » (ou Cawaï), un mot qui signifie littéralement « mignon », qui trouve ses racines dans l’estampe japonaise mais aussi dans la peinture préraphaélite du 19ème Siècle (on y retrouve sa veine métaphorique et décorative, notamment dans l’exploitation des thèmes floraux) et qui, sous l’influence du livre européen pour enfants et surtout celle des films des frères Fleischer (Betty Boop) ou de Walt Disney, se caractérise notamment par des personnages aux grands yeux qui, chez Hanamura, prennent des couleurs d’opale ou d’émeraude

Eico Hanamura célébrée à Paris
Photo : D. Pasamonik

Menue, discrète, Eico Hanamura a l’œil malicieux de la femme qui ne s’en laisse pas conter. Elle a d’ailleurs mené sa carrière comme elle l’a voulu : « Quand j’ai commencé dans ce métier, raconte la dessinatrice, il y avait très peu de mangas. On publiait surtout des recueils de caricatures. Mes lectures s’orientaient plutôt vers la littérature, des anthologies, des romans. L’envie de dessiner m’est venue en regardant les dessins d’illustrateurs comme Yumeji Takehisa ou Junichi Nakahara qui officiaient pour des revues pour jeunes filles. Ensuite, je suis entrée dans une université des Beaux-Arts. J’y ai étudié le dessin mais pas longtemps, car j’avais une autre passion : la scène, je jouais dans une troupe de théâtre amateur. J’ai donc arrêté mes études pour me consacrer à 100% à cette passion, quittant ma famille pour elle. Or, en bas de l’immeuble de l’appartement où je venais de m’installer, il y avait une librairie de prêts de livres. Ces boutiques étaient souvent le seul moyen pour les jeunes d’accéder à la lecture à bon compte. On y trouvait des mangas, des séries dessinées par Tezuka Osamu ou Sampei Shirato par exemple, dont c’étaient les débuts. Or, le patron de ce magasin dessinait lui-même des mangas pour ce circuit de livres de prêt ! Il m’a demandé de travailler pour lui. J’ai donc imité la façon dont il dessinait, en suivant ses conseils. Il a ensuite porté mes travaux chez son éditeur et il est revenu avec ma première paie ! »

« Kiri no naka no shojo » (la Fille dans la brume), le grand succès de Eico Hanamura
(c) Eico Hanamura

Une affaire d’hommes

Au début, les mangas sont une affaire d’hommes : « J’ai eu beaucoup de chance, raconte Eico Hanamura. Aujourd’hui, il y a beaucoup de femmes qui dessinent des mangas au Japon. Mais quand j’ai commencé dans les années cinquante, c’était avant tout un monde d’hommes. Même les mangas pour filles étaient dessinés par des hommes, par exemple par des auteurs comme Osamu Tezuka, Shotaro Ishinomori ou Mitsuteru Yokoyama. Puis les éditeurs –tous des hommes aussi- se sont dits que des mangas pour filles se vendraient peut-être mieux si ils étaient réalisés par une femme ! Je suis arrivée à ce moment-là. » Le succès est immédiat. Elle commence sa carrière en 1958 avec « Murasaki no yôsei » (la Fée violette). En 1963, elle publie dans Nakayoshi, célèbre revue Shôjô, « Haru wo yobu uta » (la Chanson qui appelle le printemps) », une histoire sentimentale qui marque le début de sa consécration. Mais c’est surtout avec « Kiri no naka no shojo » (la Fille dans la brume), publié dans Margaret, qu’elle atteint la notoriété. Ce manga au scénario novateur (elle y évoque les amours adultères des parents de l’héroïne) obtient un impressionnant succès qui lui vaut d’être adapté en feuilleton télévisé de quinze épisodes en 1975.

Aujourd’hui, Eico Hanamura se consacre plus volontiers à des mangas adaptant des classiques de la littérature japonaise : « Le style de mes premiers dessins m’était imposé par l’éditeur. Je n’ai pas à m’en plaindre puisque ça a très bien marché. Il a suscité de nombreuses lignes de papeterie et un grand nombre de produits dérivés. Mais je préfère ce que je réalise aujourd’hui : mes dessins ont une touche, disons, plus artistique. J’ai évolué avec mon public, mon trait est devenu plus adulte, plus littéraire. J’adore par exemple adapter des romans policiers. »

Simple et enjouée, cette grande dame regarde Paris avec un air amusé. Pour elle, c’est la ville romantique par excellence. Elle pensait venir y fêter ses cinquante de carrière en famille, avant que l’Association des mangakas japonais (forte de 650 membres et qui, soit dit en passant, fête ses 60 ans cette année) ne devance son désir. La soirée est arrosée par un champagne, La Seule Gloire, un cru champenois qui appartient… à un Japonais qui a demandé à la célèbre artiste de bien vouloir le parrainer !

Jean-Pierre Dionnet et Eico Hanmura
Photo : D. Pasamonik

Vive le Japon, vive la France !

Lors de cette fête très privée, les quelques Européens présents ont pu croiser Jean-Pierre Dionnet, le célèbre animateur de Canal Plus, producteur de cinéma et, on s’en souvient, co-créateur du mythique mensuel Métal Hurlant qu’il fonda en 1975 avec Moebius, le dessinateur français le plus notoire dans l’archipel. Dans un discours en hommage à Madame Hanamura, Jean-Pierre rappela qu’il fut le premier distributeur de Miyazaki en France, et évoqua les projets cinématographiques qu’il était en train d’initier entre la France et le Japon, notamment l’adaptation du chef d’œuvre de Kazuo Koike et Kazuo Kamimura, Lady Snowblood à laquelle Guillermo del Toro et Quentin Tarantino seraient associés. On a pu aussi croiser Guillaume Dorison, récent invité de l’Association internationale des auteurs de mangas à Hong-Kong en tant qu’auteur et éditeur de « mangas français » aux Humanoïdes Associés (nous en reparlerons) ou encore Olivier Fallaix, le rédacteur en chef d’Animeland, la revue de référence sur l’animation et les mangas japonais. Même Japan Expo y avait envoyé son représentant ! A la fin de son discours, Jean-Pierre Dionnet eut un envoi qui résumait tout : «  Vive le Japon, vive la France ! ».

Olivier Fallaix (Animeland), Takanori Uno (Tonkam) et Eico Hanamura à la Société nationale des Beaux-Arts, en plein échange rituel de cartes de visite
Photo : D. Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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