Les Américains sont des gens simples. Aux Eisner Awards, la plus haute distinction de la BD aux États-unis, l’équivalent des Oscars, le gros des nominés est américain, ne rêvons pas. Mais ce palmarès se distingue principalement par deux points si on le compare à celui d’Angoulême. D’abord le nombre de prix : 28 prix sont remis contre 6 en France. Ensuite, tous les aspects du métier sont honorés : histoires courtes, albums one-shot, séries longues, nouvelles séries, les séries jeunesse, les anthologies, les essais, la BD de reportage ou autobiographique (une nouveauté de cette année), la BD étrangère, les BD on-line, les rééditions, la qualité du dessin, du scénario, des couleurs, du lettrage, de la maquette de l’album et, ce qui est l’équivalent de notre académie des Grands Prix, sauf qu’il peut honorer aussi des auteurs disparus : le Hall of Fame, une espèce de Panthéon, où les grands créateurs de BD du passé comme du présent sont élus pour l’ensemble de leur oeuvre. Le résultat, c’est qu’il est rare que des talents soient oubliés. Il faudrait que les délégués d’Angoulême envoient un espion là-bas pour voir comment ils arrivent à remettre 28 trophées sans que la salle ne meure d’ennui.
Parmi les nominés français, choisis par un aréopage de cinq juges, des professionnels de la BD américaine, Joann Sfar se distingue une fois de plus avec trois nominations :
• The Rabbi’s Cat (Le Chat du Rabbin) chez Pantheon dans la catégorie « Meilleur nouvel album » et « Meilleur album étranger ».
• Dungeon : The Early Years, vol. 1 (Donjon T.1) chez NBM, une nomination qu’il partage avec Lewis Trondheim et Christophe Blain.
Suit, juste derrière, Guy Delisle avec deux nominations pour :
• Pyongyang chez Drawn & Quarterly dans les catégories « Meilleure BD de reportage ou autobiographique » et « Meilleur dessinateur/scénariste ».
On compte aussi David B pour Epileptic (L’Ascension du Haut Mal) chez Pantheon (« Meilleure BD de reportage ou autobiographique »), Marjane Satrapi pour Embroideries (Broderies) chez Pantheon (même catégorie que David B), et Killofer pour Six Hundred Seventy-Six Apparitions of Killoffer (676 apparitions de Killoffer) chez Typocrat et Manu Larcenet pour Ordinary Victories (Le Combat ordinaire) chez NBM, l’un et l’autre dans la catégorie « Meilleure BD étrangère ».
Gipi continue de vivre un conte de fée (après le Prix Goscinny et le Prix du Meilleur Album d’Angoulême) avec The Innocents (Les Innocents) chez Fantagraphics/Coconino Press dans la catégorie « Meilleur album ».
Enfin, le graphiste français Philippe Ghielmetti, alias Dugenou, ancien assistant d’Etienne Robial et fondateur du label musical Sketch est distingué dans la catégorie « Meilleur design » pour la magnifique réalisation graphique de l’album Little Nemo in Slumberland (Sunday Press Books) publié à l’occasion du centenaire de la création de Winsor McCay.
Par ailleurs, l’auteur américain le plus nominé cette année est le scénariste Warren Ellis avec six mentions.
Si cette présence européenne est réconfortante, surtout quand on la compare au nombre de nominés japonais, elle trouve davantage son explication dans l’estime que porte une frange des spécialistes américains pour la BD française (c’est déjà ça) et dans la proximité de la production contemporaine européenne (celle, en gros, de la "génération Association") avec celle des créateurs contemporains américains comme Chris Ware, Adrian Tomine, Seth, Paul Pope ou Charles Burns. Elle ne traduit pas en revanche la réalité du marché américain où les mangas, grâce notamment au label Tokyopop, ont pris une position bien plus importante que la BD européenne outre-atlantique et ce, avec une constance bien plus grande.
Cela pris en considération, faisons quand même la fête aux nominés, en espérant que les lauréats seront proportionnellement aussi nombreux à l’arrivée !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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