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Eisner Awards 2016 : Prix d’honneur pour Tardi, ovation pour Valérian, et rien pour la bande dessinée francophone d’aujourdhui

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 24 juillet 2016                      Lien  
La bande dessinée francophone a-t-elle complètement sombré pour qu'elle se trouve ainsi hors des radars aux "Oscars de la BD" de San Diego dont le palmarès est tombé ce week-end? On doit le croire. À part un "Hall of Fame" qui récompense un créateur mort ou un auteur en fin de carrière, comme Jacques Tardi cette année, la BD francophone brille par son absence cette année. Le grand Will Eisner en aurait été peiné.

Bon, d’accord, la série Valérian et Laureline de Pierre Christin et de Jean-Claude Mézières a eu son petit quart d’heure de gloire avec la présentation de quelques rushes de “Valerian and the City of a Thousand Planets”.

Il faut dire que le malin réalisateur et producteur Luc Besson connaît maintenant bien les règles hollywoodiennes : une petite annonce de dernière minute avec une célébrité médiatique à la clé (Rihanna fait une courte apparition dans le film) et des ambassadeurs présents comme Dane Dehane et Cara Delevingne pour donner le change aux journalistes et aux photographes présents (San Diego est à quelques encâblures au sud de Hollywood), obtenant ce que la presse française qualifie de "standing ovation".

Eisner Awards 2016 : Prix d'honneur pour Tardi, ovation pour Valérian, et rien pour la bande dessinée francophone d'aujourdhui
Les Valérian et Laureline de Luc Besson ont été acclamés à San Diego.
Photo : Europacorp.

Comme il se doit l’extrait montré au public, très ciblé SF, était truffé de quelques-uns des 2700 effets spéciaux et quelques-unes des 200 espèces d’aliens bizarres que recèle le film. L’influence d’Avatar n’est pas loin. Luc Besson avance d’ailleurs qu’il a été chercher des conseils jusque chez James Cameron dont il prétend qu’il n’arrivera jamais à le battre à la course (il le compare à Usain Bolt), quoique...

Le film devrait sortir en juillet 2017.

Or donc, à part ces honneurs rendus à des auteurs dont la carrière est déjà largement entamée, aucun talent francophone nouveau ne pointe à l’horizon. Le grand Will Eisner, qui faisait partie de l’Académie des Grands Prix d’Angoulême (celle-là même qui a été passée à la trappe ces dernières années) et qui donnait sa procuration précisément à Mézières les années où il était absent, aurait été le premier marri de ce palmarès qui oublie la BD franco-belge et plus généralement francophone. Sont-ce là les signes irrémédiables d’un déclin ?

Chaque année, quand il était absent, le dessinateur Will Eisner, membre de l’Académie des Grands Prix d’Angoulême, mandatait Jean-Claude mézières, le dessinateur de Valérian et Laureline, pour porter sa procuration.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Ceux qui nous lisent savent que nous n’en pensons pas un mot. Est-ce plutôt là la conséquence d’une mauvaise communication de la bande dessinée francophone dans le pays d’Obama ? Une séquelle de l’épisode "sans femme" du palmarès d’Angoulême ? Le fait que Laureline soit écartée du titre du film dans sa version anglophone au profit du seul Valérian ne va d’ailleurs pas améliorer notre image aux USA alors qu’une femme s’apprête à devenir la présidente du pays... Ou sont-ce les "faux-fauves" qui ont effarouché les auteurs américains qui y figuraient. Comme le jury est composé de libraires et de spécialistes qui sont fans de ces auteurs US, la rétorsion est possible.

Plus fondamentalement, nous posons la question à nos lecteurs : quels sont en France les Tardi, les Christin & Mézières d’aujourd’hui qui peuvent prétendre à rivaliser avec ces grands noms des années 1960 et 1980 ? Aidez les membres du jury 2017, avancez-leur des noms !

Un produit "franco-israélien", quand même !

On peut avancer quand même un signe de contentement : Le Prix du meilleur album étranger a été attribué au dessinateur israélien Afaf Hanuka, un pur produit de l’enseignement... français de la BD. Publié par un éditeur français (Steinkis), nominé à Angoulême, Hanuka a appris la BD sur les bancs d’Émile Cohl à Lyon avant de faire une carrière remarquée dans le dessin animé (les séquences oniriques de Valse avec Bachir sont signées par Asaf et Tomer Hanuka, son frère jumeau qui, en revanche, fit ses études de BD à... New York !) et dans l’illustration. Ses premières BD ont été publiées en France (Carton Jaune, avec Didier Daeninckx, chez EP édition) et le sont encore aujourd’hui. Félicitations donc à Asaf, au nom de la France !

L’éditeur américain de K.O. à Tel Aviv (BOOM ! Studios/Archaia, publié en France par Steinkis) reçoit l’Eisner Award de Asaf Hanuka.
Photo DR. Steinkis.
L’Eisner Award de Asaf Hanuka.

Mais voici sans plus attendre le palmarès californien :

2016 Will Eisner Comic Industry Awards Winners

- Meilleure histoire courte : “Killing & Dying,” d’Adrian Tomine, dans Optic Nerve #14 (Drawn & Quarterly)
- Meilleur "One Shot" : Silver Surfer #11 : “Never After,” dede Dan Slott & Michael Allred (Marvel)
- Meilleure série : Southern Bastards, de Jason Aaron &Jason Latour (Image)
- Meilleure série courte : The Fade Out, de Ed Brubaker & Sean Phillips (Image)
- Meilleure nouvelle série : Paper Girls, de Brian K. Vaughan & Cliff Chiang (Image)
- Meilleure publication pour le premier âge (jusqu’à huit ans) : Little Robot, ede Ben Hatke (First Second)
- Meilleure publication pour enfants (9-12 ans) : Over the Garden Wall, de Pat McHale, Amalia Levari, & Jim Campbell (BOOM ! Studios/KaBOOM !)
- Meilleure publication pour la jeunesse (13-17 ans) : SuperMutant Magic Academy, de Jillian Tamaki (Drawn & Quarterly)
- Meilleure b&e dessinée d’humour : Step Aside, Pops : A Hark ! A Vagrant Collection, de Kate Beaton (Drawn & Quarterly)
- Meilleure b&e dessinée nuémrique /Webcomic : B&ette, de Paul Tobin & Colleen Coover (Monkeybrain/comiXology)
- Meilleure intégrale :Drawn & Quarterly, Twenty-Five Years of Contemporary, Cartooning, Comics, & Graphic Novels, sous la direction de Tom Devlin (Drawn & Quarterly)
- Meilleure BD documentaire : March : Book Two, de John Lewis, &rew Aydin, & Nate Powell (Top Shelf/IDW)
- Meilleur dessin (nouveauté) : Ruins, de Peter Kuper (SelfMadeHero)
- Meilleur dessin (réédition) : Nimona, de Noelle Stevenson (Harper Teen)
- Meilleure adaptation à partir d’un autre médium : Two Brothers, de Fábio Moon & Gabriel Bá (Dark Horse) — Deux Frères, publiés en France par Urban Comics.
- Meilleure BD étrangère : The Realist, de Asaf Hanuka (BOOM ! Studios/Archaia), publié en France par Steinkis sous le titre de K.O.à Tel Aviv (trois tomes parus)
- Meilleure BD étrangère / Asie : Showa, 1953–1989 : A History of Japan, de Shigeru Mizuki (Drawn & Quarterly), publié en France par Cornélius sous le titre
- Meilleure collection de patrimoine (catégorie comic-strip) : The Eternaut, de Héctor Germán Oesterheld & Francisco Solano Lòpez, compilée par Gary Groth & Kristy Valenti (Fantagraphics). Publiée en France sous le titre L’Éternaute (3 vol. Parus) chez Vertige Graphic.
- Meilleure collection de patrimoine (catégorie comic-book) : Fairy Tales de Walt Kelly, publié sous la direction de Craig Yoe (IDW)
- Meilleur scénariste : Jason Aaron pour Southern Bastards (Image), Men of Wrath (Marvel Icon), Doctor Strange, Star Wars, Thor (Marvel)
- Meilleur auteur complet : Bill Griffith pour Invisible Ink : My Mother’s Secret Love Affair with a Famous Cartoonist (Fantagraphics)
- Meilleur encreur : Cliff Chiang pour Paper Girls (Image)
- Meilleur illustrateur multimédia : Dustin Nguyen pour Descender (Image)
- Meilleur illustrateur de couverture : David Aja pour Hawkeye, Karnak, Scarlet Witch (Marvel)
- Meilleur coloriste : Jordie Bellaire pour The Autumnlands, Injection, Plutona, Pretty Deadly, The Surface, They’re Not Like Us, Zero (Image) ; The X-Files (IDW) ; The Massive (Dark Horse) ; Magneto, Vision (Marvel).
- Meilleur lettrage : Derf Backderf pour Trashed (Abrams) paru en France chez Çà & là.
- Meilleure BD de reportage : Hogan’s Alley, sous la direction de Tom Heintjes (Hogan’s Alley)
- Meilleur essai sur la BD : Harvey Kurtzman : The Man Who Created Mad & Revolutionized Humor in America, de Bill Schelly (Fantagraphics)
- Meilleur travail de recherche sur la BD : The Blacker the Ink : Constructions of Black Identity in Comics & Sequential Art, sous la direction de Frances Gateward & John Jennings (Rutgers)
- Meilleure maquette : The Sandman Gallery Edition, conçu par Josh Beatman/Brainchild Studios (Graphitti Designs/DC)
- Hall of Fame : Choix du jury : Carl Burgos, Tove Jansson • Choix du public : Lynda Barry, Rube Goldberg, Matt Groening, Jacques Tardi.
- Prix du Russ Manning meilleur espoir : Dan Mora
- Prix humanitaire Bob Clampett : Matthew Inman
- Prix Bill Finger d’excellence pour le meilleur scénario de BD : Richard E. Hughes, Elliot S ! Maggin
- Le Prix "Spirit de Will Eisner" pour le meilleur libraire : Orbital Comics & Games, London, UK

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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14 Messages :
  • Luc Besson a reçu au passage le INKPOT AWARD ! Il a osé le "refuser" en le posant sur le pupitre du présentateur du panel. Il demande à l’audience du Hall H si il le mérite ... la foule lui répond un YES énorme. La foule du Hall H c’est la plus importante pour un film ! C’est elle qui donne la tonalité, et approuve ou non le futur blockbuster ! Le panel de Valérian n’était hélas pas le plus spectaculaire même avec la présence des deux principaux acteurs. Et rien ne fuite niveau image du SDCC ! Surtout plus cette année , où il fallait payer la modique somme de 139 ou 239$ pour l’accès au Wifi pour les journalistes, bloggers.
    Deux acteurs en place pour le panel Valérian , c’est peu à côté des panels MARVEL Studios, Warner-DC où tous les castings sont présents, même ceux avec un petit rôle !
    Et on ne compte les goodies, les séances de signatures sur des posters inédits pour l’occasion etc ... Mais ça viendra, si le premier Valérian a son succès (surtout face aux Gardiens de la Galaxie vol 2 ) , EuropaCorp fera surement un stand et un panel plus conséquent et laissera fuiter au moins un trailer même si ce n’est pas dans les habitudes de Luc Besson depuis un festival de Cannes avec le Grand Bleu.
    Félicitions nous d’avoir eu ce tout 1ier film français avec un panel dans cette machine à Pop Culture qu’est le San Diego ComicCon ! En attendant si Luc Besson amènera son Valérian du côté du ComicCon de Paris en octobre.

    Pour les Eisner Awards, c’est les auteurs américains qui votent, avec les éditeurs, des libraires ( vous aviez fait un article là dessus ) , maintenant si les auteurs francophone ne vont pas aux USA pour assurer un minimum de promotion , se faire un brin connaître, si les éditeurs américains ne font pas plus d’effort là dessus ? ( une enquête à mener )
    La question à se poser ; est ce que les américains ont dépassé les français, les francophones en matière de BD ?

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    • Répondu par Laurent Colonnier le 25 juillet 2016 à  01:28 :

      La question à se poser ; est ce que les américains ont dépassé les français, les francophones en matière de BD ?

      La question est oiseuse. Auraient dépassé en quoi ? Artistiquement ? En originalité ? En diversité ? En recette générée par les adaptations ? En qualité du dessin ? En richesse des scénarios ? En niveau de revenu des auteurs ? En reconnaissance publique ? etc... les paramètres sont nombreux... et puis votre question laisse supposer que la BD francophone était "devant" la BD américaine (selon quels critères là aussi ?).

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      • Répondu par Julien le 25 juillet 2016 à  09:31 :

        Oui sur tout ces plans là ...où je me désole à voir un nombre incalculables de nouveautés où l’artiste-dessinateur n’a pas l’air d’avoir vraiment eu un rapport incroyable avec l’Art en général, n’ayant jamais lu de BD ,ni ne semble avoir touché le moindre crayon dans sa vie. La BD "francophone" tourne en rond, comme si il fallait absolument plaire à l’establishment BOBO-Intello qui se permettent d’avoir une BD par an dans la bibliothèque, où tous essayent de copier un Blutch en n’ayant lu qu’un seul album de Blutch etc ...
        .

        En plus aussi de la "promotion", quand je vois les petits shows vidéos de la DC et la MARVEL où il n’y a pas besoin d’avoir les moyens d’un studio TV. Les éditeurs manquent d’interactivité ! Il faut aller au-delà du compte twitter qui font la pseudo-promo des sorties du mois ou de la semaine.
        La reconnaissance "lecteur", elle se vérifie en festival, voir sur des blogs.

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        • Répondu par Laurent Colonnier le 25 juillet 2016 à  12:50 :

          OK, vous êtes le petit neveu Onc’ François, je comprends mieux...

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  • Manu Larcenet

    Chloé Cruchaudet

    Jean-Philippe Stassen

    Marjane Satrapi

    Joann Sfar

    Jean-Denis Pendanx

    La liste estate longue ..

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  • La vidéo ne passe pas, ça dit :
    Une partie du contenu de cette video provient de AFP, qui a bloqué sa diffusion sur ce site Web.
    Visionnez sur YouTube

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  • Bonjour
    Votre formulation « un auteur en fin de carrière, comme Jacques Tardi » est pour le moins maladroite. J’aurais préféré lire, par exemple, "comme le dessinateur Jacques Tardi, qui n’a plus besoin de prouver sa maîtrise en bandes dessinées..."

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    • Répondu par Laurent Colonnier le 25 juillet 2016 à  12:52 :

      Ca m’a fait tiquer aussi, on a l’impression qu’il a un pied dans la tombe et qu’il sucre les fraises.

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  • Ben oui ; il y a déclin.
    Un seul exemple : voir ce qu’est devenu Fluide Glacial.
    Et ce n’est qu’un exemple.
    La BD française aujourd’hui : gribouillis à tous les étages.

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    • Répondu par Laurent Colonnier le 26 juillet 2016 à  15:41 :

      La BD française aujourd’hui : gribouillis à tous les étages.

      Vous ne devez pas être très curieux ni lire beaucoup de BD françaises pour écrire de telles stupidités.

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      • Répondu par Sergio SALMA le 27 juillet 2016 à  11:40 :

        Haha, c’est ce que je me suis dit aussi , urgent d’aller dire à Meyer, Cruchaudet, Ferlut, Bajram, Goossens, Beuriot, Canepa,Pedrosa, Springer , Bertail , Lafebre que ça suffit maintenant avec vos gribouillis.

        Répondre à ce message

  • Ce n’est sûrement que ponctuel,pas de soucis,comme avec l’épisode "sans femme" du palmarès d’Angoulême et sa ridicule tempête dans un verre d’eau ;épisode où,personnellement,même sans auteures en lice cette année,j’étais incapable d’écarter plus de dix noms sur les trente proposés pour en garder seulement trois avant le vote final,tant il y avait au moins vingt créateurs incontournables.
    Il y a toujours du beau monde qui se bouscule au portillon dans ces sélections honorifiques-et passablement commerciales il faut bien l’admettre-forcément subjectives et injustes.Parfois,souvent ?,le jury prêche un peu pour sa paroisse.On dira que c’est humain.

    La BD francophone est ,a été,et sera toujours une des meilleures au monde:elle est peut être un peu plus illustrative,plus "accrochable aux murs",plus complexée (et non pas complexe attention) et moins "art séquentiel "pur que ce qui proposé par les autres grands pôles de production internationaux du média ;qui font de la BD sans vouloir ,imperceptiblement, qu’elle soit autre chose.Mais c’est sa particularité,sa force,et surtout son charme.Sa valeur ajoutée.Mais qui freine certainement son exportation,au delà d’un certain cercle ,certes très influent,pour s’adresser à un public qui se tamponne des coteries de salons et d’une histoire de l’art qui ne reconnaît que les siens.
    La BD francophone est accablée par un déni ponctuel de reconnaissance ? Pas de problème:le public féminin est devenu le vrai moteur de croissance pour une industrie des comics au moral en berne ;dans cette logique et au delà d’un élan avec relents parfois douteux,mais c’est un autre sujet,qui n’ont pas grand chose à voir avec la vraie cause féministe,les librairies sont désormais la cible prioritaire des marchands du temple dessiné.

    La BD francophone est redoutablement bien armée pour défendre ses couleurs dans ce domaine:la logique devrait donc rapidement remettre les choses dans le bon ordre de marche.

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