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Elsa Brants (Save me Pythie !) : "J’ai le sentiment qu’une BD franco-belge, cela ressemble plutôt à un film, et un manga à une série télé"

Par Aurélien Pigeat le 4 août 2014                      Lien  
Rencontrée à l'occasion de Japan Expo 2014, Elsa Brants nous explique comment {Save me Pythie}, son projet de manga français, a pu voir le jour chez Kana. Elle revient aussi sur les diverses sources d'inspiration qui ont nourri son travail.

Pourriez-vous nous présenter quelle fut votre carrière jusqu’à Save me Pythie ! ?

J’ai commencé aux environs de 2002 en tant que coloriste et j’ai travaillé avec différents dessinateurs et scénaristes. J’ai travaillé notamment sur Les Chroniques de Magon, Weëna, Okhéania, Nanami, Les Brumes D’Asceltis, et plusieurs autres one-shots. Ensuite, aux éditions Dupuis, j’ai dessiné une bande dessinée pour les tout petits, sans texte, Lily que les enfants peuvent lire seuls -ou lire à leurs parents pour les endormir le soir ! J’ai fait quelques albums au dessin, un peu plus alimentaires. Save me Pythie !, en format manga, c’était quelque chose que je voulais faire depuis toute petite et je peux enfin le réaliser aujourd’hui.

Comment est né ce projet ? Qui est venu chercher qui et comment ?

Elsa Brants (Save me Pythie !) : "J'ai le sentiment qu'une BD franco-belge, cela ressemble plutôt à un film, et un manga à une série télé"J’avais fini Lily, Dupuis ayant arrêté la collection, ce qui m’avait vraiment attristé, et il fallait que je trouve autre chose à dessiner. J’ai monté plusieurs projets, avec différents scénaristes, mais aucun n’a pris. On les a présentés à divers éditeurs mais le marché étant vraiment saturé, ces projets sont restés lettre morte. Un jour –il ne me restait plus que deux mois d’économies, je m’étais résignée à reprendre de la couleur, ce qui est sympa aussi mais pas ce que je voulais faire – je me suis lancée dans un dernier projet, mais que je voulais faire toute seule : dessin et scénario, en partant de quelque chose qui me plaisait particulièrement quand j’étais petite : la mythologie. Je voulais me lancer dans un gros délire sans penser à ce qui pourrait plaire aux éditeurs ou répondre aux attentes des lecteurs. C’est dans cet esprit-là que j’ai commencé à écrire Save me Pythie !.

Du côté de Kana, comment cela s’est-il passé ?

J’ai bénéficié d’un appui immédiat. Je me suis sentie vraiment « aimée » dès le départ. Ils ont été très enthousiastes et ont été d’un grand soutien tout au long de l’album. C’est un rêve pour moi, cet éditeur. Ça vaut aussi pour tout ce qui est fait après, en termes de presse, de promotion auprès des libraires, de PLV. Rien qu’ici sur Japan Expo, le temple réalisé sur le stand : jamais je n’aurais espéré avoir ça et je me demande encore maintenant pourquoi j’ai droit à ça. J’ai l’impression d’avoir reçu un cadeau que je n’ai pas mérité ! Je suis ravie.

Mais y a-t-il eu du coup un véritable travail d’éditeur sur le titre ?

Oui bien sûr. J’écris tout l’album sous forme de continuité dialoguée, à la manière d’une pièce de théâtre en quelque sorte, avec quelques indications d’action. Une fois que j’ai fait cela, je fais le storyboard en entier, ce qu’on appelle le « nemu » dans le monde du manga. Je l’envoie à mon éditrice, Christelle Hoolans et à partir de là, elle m’indique les points qui posent question à ses yeux. Comme « là on ne comprend pas trop ce qui se passe », « ce dialogue il faudrait le modifier ». Cela n’est jamais présenté comme une obligation de modification, mais plutôt comme un regard avec un certain recul me permettant d’anticiper des choses que j’aurais sans doute perçues six mois plus tard, trop tard, une fois le volume imprimé. C’est un soutien pour améliorer ce que j’ai écrit.

Le décor Save me Pythie
Elsa Brants en dédicace sur le stand

Le personnage de Pythie constitue l’héroïne à partir de laquelle l’intrigue se déploie. Mais on est clairement dans un registre comique. Va-t-on poursuivre le développement de ce fil rouge ou va-t-on demeurer davantage dans une suite de chroniques comiques ?

Le rouge fil de Pythie qui aide Xanthe à devenir un héros, ce qui lui permettrait d’être reconnu par son père Zeus, dont il ignore encore l’identité, sera bien développé au fur et à mesure des volumes. Il y a bien un dénouement de prévu et tout est déjà écrit, que la série soit en trois tomes, en six ou en neuf.

Neuf tomes étant la limite que vous vous êtes fixée pour cette série ?

Ça pourra faire plus, mais ce ne sera pas quatre-vingt non plus ! J’aurais peur du réchauffé et je pense que je préférerais repartir sur une autre histoire pour garder la pêche et de bonnes idées.

Y aura-t-il des développements vers d’autres mythologies que la mythologie grecque ?

Répondre à cette question signifie dévoiler pas mal l’intrigue ! À vrai dire il y a des grandes chances pour que cela se produise mais seulement si la série continue après les trois tomes initialement prévus.

Peut-on avoir un aperçu des prochains personnages rencontrés par Xanthe et Pythie ?

Arès, Athéna, Hadès, Diogène, des Grâces, quelques ménades, des amazones, des centaures et d’autres monstres !

Coup de main de Pythie à Xanthe pour dompter la Chimère
© Elsa Brants / Kana

Comment vous est venue l’idée du Zeus poulet ?

Je voulais quelque chose de bien ridicule, avec un graphisme un peu simple mais qui serait très expressif. J’ai essayé différentes choses, à partir de plusieurs animaux. J’ai fait un cobra, une mangouste, mais ces deux animaux me semblaient trop sauvages. Je suis ensuite partie dans les chatons, les chiens, des animaux plus domestiques, mais c’était trop « kawai » : il fallait que ça soit à la fois ridicule et kawai. Du coup j’ai trouvé que c’était avec le poulet que cela fonctionnait le mieux.

La série est signée en trois volumes : comment vous êtes-vous organisée ?

J’ai d’ores et déjà storyboardé jusqu’à la fin des trois volumes. Les dialogues précis ne sont pas tous écrits, mais je sais déjà ce qu’il se passera jusqu’à la fin.

Une suite au-delà des trois volumes est-elle envisagée ?

Une suite est même souhaitée mais cela est conditionné par le succès de la série, qui reste le nerf de la guerre.

Zeus, sous forme de poulet, tente de rentrer chez lui, mais Héra ne l’entend pas ainsi
© Elsa Brants / Kana

Pourquoi avoir opté pour le format manga ?

Pour prendre une image, j’ai le sentiment qu’une BD franco-belge cela ressemble plutôt à un film et un manga à une série télé. Et je suis plus série que film en fait. J’aime avoir le temps de développer les personnages, de proposer des interactions entre eux, j’aime pouvoir montrer un combat sur plusieurs pages et pas seulement sur quelques cases. J’aime prendre mon temps en somme. Et puis c’est le manga que je lis le plus depuis toute petite. Avec le manga et la mythologie, on est finalement dans une alliance entre un sujet et un format qui représente mes goûts d’enfant.

Concernant le découpage des planches, cela semble pourtant rester assez franco-belge : on voit très peu de doubles-pages.

Effectivement : il doit y en avoir une seule dans le tome 1, et il y en aura deux dans le tome 2. Je pense que je n’ai pas encore pris le rythme et que j’ai peur de manquer de place. Pour le moment, la série est signée pour trois tomes mais j’ai vraiment beaucoup de choses à dire avec ces personnages. Mais de fait, la mise en page sera en effet un peu plus manga dans le tome 2 que dans le tome 1. N’étant pas mangaka, la mise en page ne sera jamais complètement manga, mais bien hybride. Cette hybridité, en quelque sorte, c’est un trait manga et une composition franco-belge

Et de manière générale, quel regard portez-vous sur le manga à la française, en pleine expansion actuellement ?

Je pense que les lecteurs ont vu avec Dreamland et City Hall par exemple qu’il y avait du manga français de qualité. Et je pense qu’il y a de la place pour tous ceux qui veulent raconter des histoires sous ce format. Autour de moi, j’ai plein d’amis qui montent des projets de ce type et qui ont déjà signé ou qui vont très prochainement le faire. Il y a un créneau qui se développe en création du côté du manga en France en ce moment.

Elsa Brants à l’image de son manga !

Puisqu’on est là sur le sujet de la création de la BD en France, et puisque vous êtes auteure de BD, quel est votre regard sur la situation économique vécue par le milieu ou votre position par rapport au mouvement des auteurs BD qui se mobilisent pour dénoncer des conditions de vie compliquées et des revenus insuffisants ?

Essayant de faire rêver par mes histoires, je me sens moins encline à m’exprimer sur ces sujets complexes. Mais il est certain que cet aspect-là du métier, la question économique, ne fait lui pas du tout rêver. On travaille entre 12 et 15 heures par jour, sans vacances : dès lors, l’attente que l’on a du côté de l’État est de l’ordre du soutien plutôt que de se voir encore plus ponctionnés. Mais au-delà de ce sentiment exprimé, je pense ne pas être une excellente oratrice sur ce sujet.

Cela fait pourtant maintenant une douzaine d’années que vous travaillez dans ce milieu : avez-vous constaté la paupérisation des auteurs, la crise que subit la profession ?

Oui, cela indéniablement. Et cela ne va pas en s’améliorant. J’ai plusieurs amis, qui ont fait des succès, mais qui se demandent aujourd’hui s’ils vont pouvoir continuer à exercer ce métier. Et je comprends totalement les récentes déclarations d’arrêt que l’on a pu avoir ces derniers mois.

Du côté de vos inspirations, vous vous réclamez de Rumiko Takahashi, auteure de Urusei Yatsura (Lamu), Maison Ikkoku (Juliette je t’aime), Ranma ½, Inu Yasha ou encore Rinne. Comment définiriez-vous l’influence de Rumiko Takahashi sur votre travail.

Ce que je fais est en fin de compte un véritable mélange de beaucoup d’inspirations : manga, franco-belge – je suis très Gotlib par exemple – et pour l’humour bien au-au-delà de la bande dessinée, comme avec les Monty Python. Du coup, c’est difficile de dégager tel ou tel aspect. Mais quand même, ce qui m’a le plus marqué dans l’œuvre de Rumiko Takahashi, se trouve dans Lamu : tout ce qui est humour absurde.

Du coup, ce fut un contact via l’anime avant de découvrir le manga ?

Oui, bien sûr : quand j’étais petite, il n’y avait pas encore une large diffusion des mangas et la découverte de ces univers se faisait via les dessins animés. D’ailleurs, je me suis mise au japonais pour pouvoir lire des mangas que je ne trouvais pas en français, mais que l’on pouvait découvrir en import, en japonais donc.

Quels autres mangas ou mangakas ont pu vous inspirer ?

En premier Akira Toriyama, mais pour Dr. Slump (Glénat). La dimension comique étant ce qui me plaît avant tout, dans Dragon Ball (Glénat), c’est le début qui m’intéresse le plus. Même si bien sûr Végéta, prince de l’espace, m’a fait rêver quand j’étais gamine ! Sinon, j’aime des mangas de divers univers : j’aime Vinland Saga (Kurokawa), que je trouve magnifique. Côté humour, en ce moment, j’adore Les Vacances de Jésus et Bouddha (Kurokawa). J’aime beaucoup Toriko (Kazé) aussi.

De mon côté, quelque chose m’a sauté aux yeux en lisant le volume : une forte parenté avec Le Génie des alpages de F’murr, notamment autour du bestiaire détourné de manière comique. Par exemple la Chimère redevenue gentille ou encore le Sphinx écrasant Xanthe et s’envolant.

Pour moi F’murr est tout simplement un grand maître, pas assez reconnu à mes yeux au regard de tout ce qu’il a fait. C’est du délire à l’état pur et c’est tout ce que j’aime. Que ce que je fais porte sa marque me semble naturel car il compte beaucoup pour moi et si cela se ressent tant mieux : j’en suis vraiment flattée !

(par Aurélien Pigeat)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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