En réunissant un peu plus de quatre-vingts œuvres se déclinant sur des supports très divers, l’exposition intitulée « Entre les lignes » propose une immersion totale dans la production du dessinateur d’origine roumaine. Dès l’entrée, nous avons immédiatement été interpelés par sa diversité : des collages, des dessins, des objets, des photos, c’est en parcourant le lieu que nous pouvons rendre compte de la multiplicité et de la diversité du travail de Steinberg.
Il décline son moyen d’expression, le dessin, de façon complètement délirante pour laisser place à une ligne continue ; à cette spontanéité du trait si caractéristique de son œuvre. Parfois acerbe, toujours drôle, Steinberg raconte énormément en demeurant dans l’épure et ne se perd pas dans des fioritures superflues. Avec une certaine économie du trait il parvient à nous parler. « Les bons dessins ne sont pas bien équilibrés. Ils doivent posséder une sorte d’équilibre particulier fait de tensions inattendues et de coïncidences prévues. Un équilibre inventé. » (Entretiens avec Jean Frémon)
Il se plaisait à le dire, il refusait les monographies expliquant qu’il préférait faire des livres de lui que des livres sur lui, et c’est exactement ce que l’on ressent quand on lui rend visite au sein de cette exposition organisée en trois grandes parties. Nous découvrons d’abord l’épopée américaine de Steinberg et son travail de presse, notamment pour le New Yorker. Cette activité lui a permis de dresser un portrait critique et désenchanté du pays qu’il a découvert de façon abrupte. Déjà l’écriture est complètement corrélée à son travail au point qu’elle acquiert dans le même temps une existence propre et autonome au sein de ses œuvres.
La seconde partie de l’exposition est consacrée au faux et à l’usurpation. Immigré, Steinberg a fui une bonne partie de sa vie, une influence importante sur son œuvre et son identité. Adepte du faux, il se plaisait à transformer les documents officiels pour pousser cette logique de l’absurde à son paroxysme et allant jusqu’à poser avec des masques surréalistes. Il était un adepte de l’autoportrait comme on peut le voir ci-dessous.
« Le visage d’un homme est une sorte d’autoportrait et chez les artistes le visage est un essai critique sur l’œuvre. » (Entretiens avec Jean Frémon)
Cette exposition s’achève sur une troisième et dernière partie intitulée « Autofictions », comme il se plaisait à le dire : « Il faut se débarrasser du connu pour entrer dans l’intéressant. » Polyglotte, Saul Steinberg à beaucoup voyagé, préférant souvent le souvenir du voyage à l’acte en lui-même. Il appréhende le monde de façon complètement subjective comme en témoigne l’œuvre « Autogeography ». Il justifie que le seul voyage qui vale réellement la peine d’être vécu est un voyage intérieur.
Vous l’aurez compris, cette exposition est un incontournable de cette année 2021-2022. Amateur, expert ou néophyte, vous ne pourrez assurément pas être déçu. Douée d’une scénographie habile, voila une éternité que nous n’avions pas vu une exposition aussi ambitieuse et en phase avec les œuvres exposées. Commencée en septembre, elle se termine dans un peu plus d’un mois et c’est un évènement à ne pas louper.
« Aussi quand j’ai fini un dessin, je le regarde avec intensité et curiosité pendant bien plus de temps qu’il ne m’en a fallu pour le faire. Et plus tard encore, quand il est reproduit, je le regarde longuement et l’admire comme une chose en soi-même. Il n’est plus mon dessin. » (Entretiens avec Jean Frémon)
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(par François RISSEL)
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Saul Steinberg - Entre les lignes
Du 29 septembre 2021 au 28 février 2022
À découvrir également "L’éloquence de la ligne" Entretiens avec Saul Steinberg par Jean Frémon - Éditions L’Échoppe.