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Entretiens, expo, Lapinot : Lewis Trondheim tous azimuts !

Par Frédéric HOJLO Charles-Louis Detournay le 28 janvier 2020                      Lien  
L'actualité est chargée en ce début d'année 2020 pour Lewis Trondheim. Le prolifique dessinateur et scénariste relance non seulement la série "Donjon", co-écrite avec Joann Sfar, mais publie également un troisième tome des "Nouvelles Aventures de Lapinot" et un livre d'entretiens avec Thierry Groensteen, tous deux chez L'Association. Cerise sur le gâteau : une grande exposition le met à l'honneur à Angoulême, au musée de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image.

Lewis Trondheim est habitué à mener plusieurs projets de front. Lui qui écrit et dessine pour la jeunesse comme pour les plus grands, seul ou en collaboration, fait depuis longtemps feu de tout bois. Il est ainsi capable de participer à plusieurs série à la fois, comme scénariste ou comme dessinateur, sans forcément mettre de côté la réalisation de « one-shots » ni cesser de poursuivre ses travaux les plus personnels et qui lui tiennent à cœur, comme la publication de ses carnets de croquis, Les Petits Riens.

Ce mois de janvier 2020 n’est donc ni vraiment exceptionnel, ni totalement ordinaire pour lui. Il est le résultat d’un travail de longue haleine, dédié avant tout au plaisir de raconter et de mettre en image des histoires. Il prouve aussi la continuité de projets parfois anciens, abandonnés puis repris avec une fraîcheur retrouvée. Et rappelle enfin que Lewis Trondheim, sans s’enfermer dans un genre, a su construire, sans d’ailleurs que cela réponde à une stratégie prédéfinie, une œuvre cohérente et accessible à tous les publics.

Prosélytisme & morts-vivants, un Lapinot classique mais redynamisé

Qu’y a-t-il dans la recette d’un bon épisode de Lapinot ? Quelques ingrédients semblent indispensables, même s’il l’on acceptera des variations voire des expérimentations. Si le personnage est né en 1992 dans Lapinot et les carottes de Patagonie (L’Association et Le Lézard), c’est l’année suivante dans Slaloms (L’Association également) que les bases sont véritablement posées.

Entretiens, expo, Lapinot : Lewis Trondheim tous azimuts !
Prosélytisme & morts-vivants © Lewis Trondheim / L’Association 2020

Autour du duo formé par le fidèle et raisonnable Lapinot et le fantasque et infatigable Richard gravite une bande de copains, vivant des aventures parfois rocambolesques, souvent anodines, dans des univers différents. Prétexte à beaucoup d’humour, du sens de la répartie au comique de situation, Les Aventures de Lapinot, qu’elles soient Formidables pour l’époque Dargaud de 1995 à 2004 ou Nouvelles pour l’époque L’Association depuis 2017, se caractérisent d’abord par leurs dialogues percutants et leur rythme soutenu.

Or ce socle se retrouve, agrémenté d’une tranquille ironie sur notre monde contemporain, dans Prosélytisme & morts-vivants, troisième volume édité par L’Association depuis la résurrection de Lapinot. Après un premier tome agréable mais un poil convenu et un deuxième plus innovant mais s’éloignant des canons de la série, Lewis Trondheim renoue plus franchement avec les qualités qui ont fait le succès de la série.

Lapinot et Richard, paire comique à la fois complice et contrastée, se retrouvent embarqués dans une étrange mission les menant à faire oeuvre de « prosélytisme athée ». Rencontres loufoques, situations absurdes, dialogues au cordeau se succèdent à bon train. Les références, nombreuses mais pas trop appuyées, apportent une touche de modernité mieux amenée que dans Un Monde un peu meilleur. Et, passées les deux ou trois premières pages, Lewis Trondheim parvient à surprendre, conduisant ses personnages dans des directions plutôt inattendues.

Un nouvel épisode, intitulé Un peu d’amour, est déjà prévu pour 2020, toujours dans la collection 48CC créée par L’Association pour accueillir l’un des personnages fétiches de Lewis Trondheim. Ce Lapinot a décidément la vie dure.

Prosélytisme & morts-vivants © Lewis Trondheim / L’Association 2020
Prosélytisme & morts-vivants © Lewis Trondheim / L’Association 2020
Prosélytisme & morts-vivants © Lewis Trondheim / L’Association 2020

Entretiens, par Thierry Groensteen : retour sur une carrière et une œuvre

Entretiens avec Lewis Trondheim © Thierry Groensteen / Lewis Trondheim / L’Association 2020

Simultanément à ce nouvel épisode de Lapinot paraît un copieux volume d’entretiens réalisés par l’historien et théoricien de la bande dessinée Thierry Groensteen, également chez L’Association. Vingt-six heures de dialogues ont été enregistrées, en avril et juillet 2019, par les deux hommes qui se sont rencontrés en 1987 lors d’un colloque sur la bande dessinée justement organisé par Thierry Groensteen. En résultent presque trois cents pages riches d’anecdotes et de réflexions, sinon de révélations, agrémentées de dessins inédits ou difficiles à trouver et de témoignages d’auteurs et amis ayant travaillés avec Lewis Trondheim.

Toute la carrière du dessinateur est balayée, de sa jeunesse jusqu’à l’année 2019. En douze chapitres sont abordés notamment sa formation et ses débuts, l’autobiographie et l’autofiction, les travaux pour la jeunesse, les multiples collaborations, les principales séries, les personnages emblématiques et les expérimentations. Les pages les plus intéressantes sont celles qui nous font pénétrer au cœur de la « machine Trondheim ». Comment un scénariste aussi prolifique parvient-il à écrire autant tout en se renouvelant ? Quels sont les étapes de son travail ? Comment gère-t-il ses projets à plusieurs ? Approcher le processus de création est toujours passionnant, et le point de vue de l’auteur, source de première main, n’est jamais à négliger.

Thierry Groensteen, Lewis Trondheim et L’Association n’ont pas misé pour cet ouvrage sur du spectaculaire, mais sur un travail de fond. Il ne faut pas s’attendre à lire des « coups de gueule » ou à tomber sur des scoops véritablement renversants. Lewis Trondheim, sur un ton apaisé, confirme par exemple vouloir s’arrêter à soixante ans. Il admet enfin « officiellement » être Frantico, cet auteur qui sous couvert d’anonymat s’était répandu sur sa vie sexuelle et avait parodié Nicolas Sarkozy. Surtout, il donne une foule de détails sur ses livres, leur genèse, leurs évolutions. Il souligne ses motivations - au premier chef : le plaisir de raconter et de réaliser des bandes dessinées - et explique tant son métier d’auteur que celui d’éditeur.

Les interviews de Lewis Trondheim sont rares. Il a toujours répugné à s’exprimer de cette façon, non par détestation des journalistes - il l’affirme en avant-propos - mais préférant laisser ses ouvrages suivent leur voie par eux-mêmes. Le choix de publier ces entretiens, fait par amitié, découle peut-être aussi de cette rareté de parole : il y a comme un manque à compenser, autant pour répondre à la demande des lecteurs que par besoin, conscient ou non d’ailleurs, de faire le point sur une carrière certes inachevée mais déjà bien remplie. L’attente est récompensée par la densité des entretiens, qui donnent envie de lire ou relire les bandes dessinées de Lewis Trondheim mais aussi de découvrir le même exercice réalisé par d’autres auteurs.

Entretiens avec Lewis Trondheim © Thierry Groensteen / Lewis Trondheim / L’Association 2020
Entretiens avec Lewis Trondheim © Thierry Groensteen / Lewis Trondheim / L’Association 2020

« Lewis Trondheim fait des histoires » : une grande exposition au musée de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image

© Lewis Trondheim / CIBDI 2019

Avec la publication de ce livre d’entretiens menés Thierry Groensteen, également chargé de mission à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, l’occasion était trop belle pour ne pas saisir la balle au bond et réaliser une exposition au sein de la CIBDI. Cette rétrospective ouvrira ses portes ce mercredi 29 janvier, jour d’ouverture du FIBD d’Angoulême pour les professionnels, un festival où Lewis Trondheim joue d’ailleurs à domicile puisqu’il n’en a raté aucune édition depuis vingt ans et que la mascotte qu’il a créée en 2006 y sera une fois de plus aussi omniprésente qu’incontournable.

Pierre Lunghereti, le directeur du CIBDI, a expliqué sa motivation à réaliser cette grande exposition rétrospective : « Lewis Trondheim est un cas. Son imagination débordante, son caractère bien trempé, sa boulimie insatiable pour la création ainsi que sa virtuosité à explorer les différentes formes, genres et sous-genres du 9e Art, avec révérence ou ironie, en font l’une des figures artistiques les plus atypiques de notre époque. Il aime passionnément les histoires, toutes sortes d’histoires, et nous les fait aimer. Il est tout entier engagé dans l’histoire contemporaine de la bande dessinée, portant une exigence artistique singulière et novatrice. Dessinateur autodidacte, son influence sur le monde de la bande dessinée n’a cessé de croître. Initiant un nombre impressionnant de collaborations avec une très grande diversité d’auteurs et dessinateurs, c’est un expérimentateur génial, un inventeur de personnages iconiques - tels que l’inénarrable Lapinot -, qui joue avec les codes et le langage de la bande dessinée, avec un style reconnaissable entre tous. »

Extrait de "La Malédiction du parapluie" (Les Petits Riens, tome 1)
© éditions Delcourt

Et de continuer : « Adepte de la création sous la contrainte, il s’impose comme l’un des fondateurs-animateurs les plus engagés de l’OuBaPo, l’Ouvroir de Bande Dessinée Potentielle. Son action au sein de la maison d’édition L’Association, ainsi que sa collection Shampooing chez Delcourt, en font un acteur essentiel de l’édition de la nouvelle bande dessinée française. Avec une implication inédite de l’auteur, cette toute première exposition qui lui est consacrée présentera l’ensemble des composantes de l’univers artistique de Lewis Trondheim, de l’apprentissage du dessin jusqu’aux réflexions que lui inspire notre monde contemporain. Plusieurs documents rares seront présentés, témoignant de l’extraordinaire polymorphisme de son œuvre. »

Cette exposition sera certainement l’une des incontournables visites des festivaliers connaisseurs du travail de Lewis Trondheim. D’abord parce que l’auteur s’était par le passé presque toujours opposé à ce que son travail soit exposé. Et dans ce cas il a au contraire activement participé à la conception de cette rétrospective, prêtant énormément de documents et réalisant même onze visuels spécialement pour baliser l’exposition. Puis l’exposition se distingue par la multiplicité des 150 œuvres originales, destinés à couvrir le caractère protéiforme de son travail. Rappelons qu’il a environ 180 albums à son actif, sans oublier sa production sous le pseudonyme de Frantico, qu’il accepte cette fois d’endosser pleinement comme on le disait ci-dessus.

Deux des onze macarons inédits dessinés pour baliser le parcours de l’exposition.

Que pourra-t-on retrouver dans cette exposition ? Principalement, un parcours scénographié abordant une dizaine de thématiques : l’apprentissage du dessin, l’autoreprésentation, la carrière de son personnage fétiche Lapinot, les monstres, robots et aliens, la série d’Heroic Fantasy Ralph Azham, le travail en collaboration, la bande dessinée jeunesse, l’expérimentation formelle, les angoisses du créateur et du citoyen, etc.

Ce sera aussi l’occasion d’admirer des documents rares, comme les cases matricielles du Dormeur, mais aussi inédits. L’on nous annonce en effet des dessins de couverture d’albums de Lapinot qui n’existent pas, des sérigraphies Ralph Azham réalisées à partir de tampons, le scénario original de La Nouvelle Pornographie, des recherches graphiques pour la mise au point du style de Frantico, des illustrations originales pour le jeu de rôles Donjon et des dessins d’observation inédits. Lewis Trondheim devrait lui-même intervenir dans les derniers jours de montage pour dessiner et ajouter des commentaires dans les marges et interstices de l’accrochage.

Case tirée de la série "Ralph Azham", planche 385.
© éditions Dupuis

Et même si la production de Lewis Trondheim est sans doute l’une des plus abondantes au sein de l’histoire de la bande dessinée franco-belge, et qu’un récit abandonné a tout de même déjà été publié, d’autres projets inédits n’ont jamais vu le jour. Cette exposition a été l’occasion d’en numériser quatre qui sont proposés à la consultation par le biais d’écrans : Willard Watte dans sa première version (à mettre en lien avec l’album Capharnaüm), Ouo (2004-2005), Arte radio (2013) ainsi qu’un autre feuilleton sans titre conçu pour le site d’Arte. Enfin, un film de quatre minute est projeté dans l’exposition ; il est intitulé Draw my life.

L’exposition est volontairement ludique et ouverte à tous, la célèbre Mouche de Lewis Trondheim servant d’ailleurs de mascotte dans le parcours enfant. De plus, trois ateliers seront proposés, sur inscription : un jeu de piste en famille jonché d’épreuves sportives, intellectuelles et créatives ; pour les plus jeunes, l’occasion de travailler l’aquarelle à la manière de l’auteur ; et enfin la découverte de la technique d’animation traditionnelle en créant un flip-book autour du personnage de La Mouche.

Les festivaliers n’auront donc aucune excuse pour ne pas franchir la Charente et aller se plonger dans les méandres de l’imagination gigantesque de l’auteur, voire d’acquérir là-bas le livre d’entretiens dont nous vous avons parlé. Car que l’on aime ou pas Lewis Trondheim, impossible de ne pas reconnaître l’empreinte indélébile qu’il imprime sur la bande dessinée de ces trente dernières années !

Page extraite du projet resté inédit "Ouo" (2004-2005)

(par Frédéric HOJLO)

(par Charles-Louis Detournay)

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Code EAN : 9782844147462

- Les Nouvelles Aventures de Lapinot T. 3 Prosélytisme & morts-vivants - Par Lewis Trondheim (couleurs : Brigitte Findakly) - L’Association - collection 48CC - 21,3 x 27,9 cm - 48 pages couleurs - couverture cartonnée - ISBN 9782844147462 - parution le 17 janvier 2020.

- Entretiens avec Lewis Trondheim - Par Thierry Groensteen - L’Association - 16,5 x 24,5 cm - 304 pages couleurs - couverture souple avec rabats - ISBN 9782844147961 - parution le 17 janvier 2020.

Exposition "Lewis Trondheim fait des histoires"
Du 29 janvier au 10 mai 2020 à la CIBDI
Musée de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image
Quai de la Charente - Angoulême
Du mardi au vendredi de 10h à 18h
Samedi, dimanche & jours fériés de 14h à 18h
Pendant le FIBD, ouverture pendant les horaires du festival

Consulter le site de l’auteur.

À propos de Donjon, lire également sur ActuaBD :
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6 Messages :
  • On croirait voir des petits dessins réalisés par des enfants du CP. J’étais convaincu que faire travailler des enfants en France était interdit. Quel âge ont-ils ces petits surdoués ?

    Répondre à ce message

    • Répondu par Fred le 29 janvier 2020 à  00:00 :

      C’est ça le génie, arriver à dessiner comme un enfant quand on n’en est plus un.

      Répondre à ce message

      • Répondu le 29 janvier 2020 à  06:15 :

        Le génie de Trondheim est surtout d’être parvenu à faire croire qu’il a du génie.

        Répondre à ce message

      • Répondu le 29 janvier 2020 à  15:22 :

        Génie… ah ouais, vous appelez çà comme çà !

        On peut être résolument admiratif devant des dessins réalisés par des enfants.
        Leurs images sont sincères et généreuses. Elles sont exemptées de l’aspect pécuniaire et mercantile !

        Mais rester contemplatif et complice à ceux d’un enfant de 25 ou 55 ans,
        Oufff… je suis sérieusement consterné de l’équilibre mental de certains adultes…

        Vous n’avez pas une petite idée de ce que cela pourrait apporter comme conséquence,
        lorsqu’un adulte œuvrant dans un langage infantile était confortablement installé
        dans le cockpit du pouvoir d’une nation ou d’un continent ??!

        Répondre à ce message

    • Répondu par jbh le 29 janvier 2020 à  08:00 :

      Oui, oui, bien sûr ... "Mon fils de 5 ans dessine mieux que Picasso", "Ma fille de 3 ans fait les mêmes dessins que Pollock." Air connu.
      (Et hop, je viens de comparer Trondheim à Picasso !)

      Répondre à ce message

      • Répondu le 29 janvier 2020 à  10:29 :

        En même temps, Picasso, c’est bâclé et démodé.

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