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Éric Corbeyran (2/2) : « Je me définis comme un feuilletoniste contemporain »

Par Charles-Louis Detournay le 4 septembre 2014                      Lien  
Seconde partie de l’entretien avec un scénariste prolifique. Il revient sur sa façon d’écrire, en lien avec les tendances actuelles, sur ce qui le nourrit, et sur de ses albums à venir, dont la fin du "Chant des Stryges" et du "Régulateur". Il explique également ses relations avec les dessinateurs avec lesquels il collabore et comment la mutation du marché interagit avec sa façon d'écrire.

On remarque que vous réalisez actuellement plus de diptyques, comme Aniss, alors qu’il y a encore quelques années, vos cycles fonctionnaient majoritairement sur trois albums. Est-ce une réaction au marché ?

Éric Corbeyran (2/2) : « Je me définis comme un feuilletoniste contemporain »
J’ai écrit encore très récemment des récits en trois volumes : Pavillon noir, Elyne, le 7e sens... Je ne me sens pas particulièrement attiré par la formule du diptyque, mais la prudence est de mise et on demande de plus en plus souvent aux auteurs de prévoir leurs récits en deux parties.

Les raisons sont simples et je les comprends : mieux vaut un récit court qu’un récit inachevé. Ça évite la frustration tant du côté du lecteur que du côté de l’auteur. J’ai très mal vécu l’an passé par exemple l’interruption brutale d’ Urban vampire, de Blackstone et de Dracula. Et je sais que le diptyque fonctionne très bien pour certaines histoires que j’ai pu imaginer, comme Le 3e Œil, Trop mortel, Pest ou, plus récemment, Aniss. Je reste cependant persuadé que tout ne peut pas être raconté sous cette forme.

Certains récits ne peuvent faire vibrer le lecteur que dans une construction longue et charpentées...

Certains sujets nécessitent davantage d’amplitude, car leur substance réside dans l’abondance du développement et dans la richesse des personnages. Il ne faut pas que le diptyque et la série à concept deviennent les nouveaux standards de l’édition. C’est trop mutilant. Je n’imagine pas qu’on puisse poser un univers aussi riche que Le Chant des Stryges en deux tomes. Ça n’a aucun sens. Et si Le Seigneur des anneaux était un roman de 150 pages dont on aurait tiré un court métrage d’un quart d’heure ? Peut-on raisonnablement imaginer Le Trône de fer sous la forme d’une nouvelle de 20 pages ? Deux tomes expéditifs pour Walking dead ? J’arrête là, vous m’avez compris. On peut citer des tas d’exemples qui seraient autant d’inepties narratives. Si les lecteurs ne veulent plus se lancer dans des séries de longue haleine, alors il faudra qu’ils se résolvent à de petites satisfactions immédiates un peu ternes, tandis que la relecture dans son intégralité d’une longue série à suivre procure un plaisir vraiment intense.

Toujours chez Delcourt, vous signez le dernier tome du Régulateur, bon moment pour faire un petit bilan : pensez-vous avoir été au bout de l’esprit Steampunk que vous vouliez illustrer ?

En tant que scénariste, je suis tributaire d’un certain nombre de facteurs qui sont étrangers à mon propre fonctionnement. L’un de ces facteurs est le rythme adopté par le dessinateur. Certains sont rapides, d’autres moins, d’autres encore moins. Vous pouvez agir comme Robert Kirkman, qui se débarrasse du premier dessinateur de Walking Dead parce qu’il n’est pas capable de tenir le rythme de parution souhaité pour la série, et le remplace par un autre, plus rapide, qui sait assouvir l’appétit des lecteurs grâce à un rythme de travail plus important.

Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples. Il faut savoir accepter les bons côtés comme les mauvais. Le style graphique de Marc Moreno est unique. Personne ne dessine comme lui, personne ne colorie comme lui. Il est irremplaçable à son poste. Ses couleurs, ses matières, ses décors, ses ambiances offrent un ton pertinent et une atmosphère originale à la série. C’est essentiel. Bien sûr, les lecteurs peuvent lui reprocher d’avoir tardé, mais à l’arrivée, la série est achevée, nous avons été au bout de cette aventure professionnelle et de cette fiction. Je n’en ai cependant pas terminé avec le Steampunk, registre visuel que j’adore. J’y reviendrai donc. Avec Marc, bien sûr, sous une autre forme narrative. Mais aussi, par ailleurs, avec Ludo Lullabi, dans un style un peu différent : le Dieselpunk.

Parution le 24 septembre du sixième et dernier tome du Régulateur : Aristide Nyx dénichera-t-il un incroyable paradis perdu ?

Vous avez maintes fois prouvé que vous aimiez les scénarios au long cours réalisés dans un temps record : La Loi des 12 tables, Uchronie[S], Zodiaque, Climax, etc. Est-ce que vous vous considérez comme une feuilletoniste contemporain ?

C’est tout à fait le qualificatif qui me convient. C’est comme ça que je me définis : « feuilletoniste ». Le feuilleton, c’est ce qui me plaît quand je lis et quand je regarde des séries TV, qui sont mes deux loisirs préférés. Je suis accro à l’intrigue, attaché aux personnages, fasciné par la technique des auteurs. Je suis ailleurs pendant quelque temps, plongé dans un univers nouveau. Puis je passe à autre chose et je m’immerge dans un nouvel univers. Pour quelqu’un comme moi qui déteste la routine et le quotidien, c’est un excellent moyen de se soustraire à la réalité. Je retrouve ce même plaisir lorsqu’à mon tour, je crée des séries-fleuves. Ça me transporte ailleurs. C’est à la fois un refuge et un formidable terrain de jeu. Je prends énormément de plaisir.

À côté de vos projets en solo, vous continuez de collaborer à des séries multi-scénaristes (L’Homme de l’Année, Elfes, Destins, etc). Que vous apportent ces collaborations ?

Il faut avant tout savoir mettre son ego de côté, tout le monde n’en est pas capable. Vous n’êtes pas mis en avant, vous êtes au service de, vous êtes une petite pièce d’un vaste puzzle. Mais être sollicité pour participer à un projet qui vous dépasse a d’autres vertus : la contrainte vous oblige à une rigueur nouvelle. C’est un exercice intéressant. Ça vous oblige à vous adapter. C’est aussi l’occasion de frotter votre propre narration à des genres qui vous avaient échappé jusque-là : l’espionnage dans Irina (XIII Mystery), l’historique dans L’Homme de l’année, la Fantasy classique dans Elfes.

Preview de Stonehenge avec Ugo Pinson

Richard Guérineau nous expliquait qu’il entamerait le 16e Chant des Stryges début 2014. Cela signifie-t-il qu’une parution est prévue pour la fin de l’année ? Quelle affinité avez-vous avec cette série au long cours, qui s’achemine doucement mais sûrement vers sa conclusion ?

La nouvelle série avec Eric Chabbert vient de paraître chez Glénat !

L’album sera sorti fin 2014, sans problème. Avec la fin de la 3e saison, on s’achemine vers la fin ultime. C’est émouvant. Ça relève à la fois du grand soulagement après quasiment 20 années passées sur le sujet et d’une grande inquiétude face au vide que ça va forcément générer. Il y a aussi et surtout un sentiment d’intense satisfaction d’avoir réussi à aller au bout d’un tel projet. C’est une œuvre énorme, dense et violente, qui s’est bâtie au fil des ans et qui nous a accompagnée un sacré bout de chemin dans nos vies. On ne refera pas une deuxième série semblable. C’est une expérience unique.

Quels sont vos autres projets en préparation ou les futures sorties que vous voudriez évoquer ?

Au cours des mois prochains, plusieurs de mes séries vont s’achever. Outre Le Régulateur dont on a déjà parlé, Metronom, Le Siècle des ombres [1] et la 2e saison d’Uchronies trouveront leur conclusion.

Mais de nouvelles aventures sont déjà en cours de réalisations. Après Weëna, nous préparons un nouveau cycle fantastique de trois albums avec Alice Picard : La Légende de Noor en couleur directe, un livre magnifique ! Je suis également très impatient que le public découvre le premier album d’Ugo Pinson, un jeune talent extraordinaire, sur une toute nouvelle série : Stonehenge, également réalisée en couleur directe. Avec Michel Suro, nous sommes sur l’adaptation d’une série de romans écrits par mon ami Jean-Pierre Alaux sur le thème du patrimoine architectural.

Je suis particulièrement heureux aussi de continuer à collaborer avec Eric Chabbert sur sa nouvelle série, Shadow Banking. J’apprécie son dessin réaliste, documenté, et son sens incroyable de l’architecture. Et puis, je prends toujours autant de plaisir à écrire Châteaux Bordeaux, cette saga familiale qui se déroule dans le Médoc dans le monde du vin, remarquablement mise en scène par mon complice Espé. Le tome 5 sort ces jours-ci...

Preview de La Légende de Noor avec Alice Picard

(par Charles-Louis Detournay)

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