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Esprit de résistance, es-tu là ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 février 2020                      Lien  
On peut se demander quelle est la nécessité de publier des ouvrages de bande dessinée sur la Seconde Guerre mondiale. C’est que l’histoire bégaye, l’ignorance et l’égoïsme restant des paramètres éternels de la nature humaine. Trois ouvrages viennent de paraître qui constituent non seulement « un travail de mémoire » : ils apprennent aussi comment résister avant, pendant et après la tragédie.

Avec l’historien Henry Rousso, nous préférons le vocable « travail de mémoire » à la notion un peu pesante de « devoir de mémoire. » La démocratie est un être vivant et la mémoire l’un de ses muscles. Si on ne l’entraîne pas, il s’atrophie et ses fonctions perdent leur utilité, laissant le corps sous la menace de n’importe quelle maladie opportuniste.

À l’heure de la montée des extrêmes partout dans le monde, où les régimes autoritaires redonnent directement ou indirectement de la vigueur aux arguments populistes pour mieux dénoncer ou pervertir la démocratie, la liberté, l’humanité et le partage, le programme scolaire ne suffit plus, surtout face à la vacuité des réseaux sociaux donnant une visibilité au moindre abruti (on le voit encore à Alost, en Belgique, ces jours-ci), à l’absence de culture politique (et de culture générale) de certaines couches issues des nouvelles générations et à l’uniformisation marquetée de la fiction, notamment télévisuelle.

Esprit de résistance, es-tu là ?
Les Enfants de la Résistance T. 6 Par Ers & Dugomier (Le Lombard) : Désobéir !

L’avantage de la BD sur des sujets comme ceux-là ? Elle ne donne pas seulement que des informations, elle offre un ressenti (celui d’un auteur), un regard critique, une sapience et un point de vue intérieur à l’événement dans une forme apaisée, au rythme de la lecture. C’est pourquoi les bandes dessinées de connaissance (histoire, biographies, vulgarisation scientifique…) se multiplient ces temps-ci.

L’utilité ? Elles permettent de forger des images fortes, des concepts simples sur des sujets parfois compliqués ou sensibles face à la déferlante d’images de nos médias modernes accompagnées de commentaires simplistes, erronés voire intentionnellement faussés. Un sujet aussi complexe que la séparation des Églises et de l’État au XIXe siècle avait su interpeller puis convaincre les populations quarante ans avant la loi de 1905 par le jeu de la caricature et du dessin. Notre enjeu est le même : ne laissons pas ces moyens d’expression précieux dans les seules mains des imbéciles. C’est tout le sens du slogan « Je suis Charlie ».

Trois exemples récents

Exemples de cet « esprit de résistance » citoyen quelquefois réussi, trois publications récentes : Irena de Jean-David Morvan, Séverine Tréfouel, David Evrard et Walter (Janvier 2020, Glénat) qui conte la résistance d’une citoyenne polonaise ordinaire devenue une héroïne face à la barbarie ambiante ; Les Anges d’Auschwitz qui aborde le thème de la résistance à l’intérieur -même d’un camp de la mort de Stephen Desberg et Emilio Van der Zuiden (Féévrier 2020, Paquet) ; enfin, Les Enfants de la Résistance, de Vincent Dugomier & Benoît Ers (Le Lombard, 24 janvier 2020) qui raconte l’Occupation du point de vue d’un groupe d’adolescents.

Trois albums exemplaires, trois outils de médiation qui permettent de dialoguer avec les jeunes avec pertinence en évitant les clichés et sans éluder la complexité.

Les Enfants de la Résistance, nous vous en avons récemment parlé, en est à son tome 6 dont le titre comporte ce mot d’ordre : Désobéir !

1943, ce n’est plus du jeu. Les nazis se sont fait écraser à Stalingrad et depuis novembre 1942, les Alliés ont débarqué en Afrique du Nord. Pris en tenaille, c’est le début de la fin pour le régime nazi qui manque de bras. D’où le recrutement forcé par l’occupant de travailleurs en France pour participer à l’effort de guerre allemand, le fameux STO (Service du Travail obligatoire). Cette mesure va galvaniser la Résistance qui recrute à ce moment un grand nombre de volontaires qui entrent dans le maquis. Désobéir devient un devoir, un honneur. Les Enfants de la Résistance racontent très bien les différentes facettes de ce moment de l’histoire.

Les Enfants de la Résistance T. 6 Par Ers & Dugomier (Le Lombard) : Désobéir !
© Le Lombard
"Les Anges d’Auschwitz" de Stephen Desberg et Emilio Van der Zuiden. Ed. Paquet

Bâtissant des personnages crédibles sur une documentation de bonne qualité, Dugomier & Ers ont réussi à créer une série de référence pour traiter de la Seconde Guerre mondiale. Le beau dessin très clair de Benoît Ers contribue à sortir l’Occupation de la gangue caricaturale qui a longtemps été la sienne dans le registre de la comédie (La Grande Vadrouille, Papy fait de la Résistance…), dans la lignée du feuilleton TV Un Village français. Une réussite.

Les Anges d’Auschwitz de Stephen Desberg & Emilio Van der Zuiden (Ed. Paquet, 2020) explore un autre aspect de la Résistance. Celle d’un homme pris au piège, celui du camp d’Auschwitz-Birkenau, et qui, promis à une mort certaine, va oser un défi : affronter spirituellement le commandant du camp en instillant le doute dans son esprit.

La partie de bras de fer se fera in fine aux dépends du prisonnier : il n’y a pas de miracle dans la nuit d’Auschwitz. Mais elle aura réussi à préserver chez un homme que l’on avait réduit à un numéro de matricule tatoué, une chose qu’aucun bourreau du monde ne pourra annihiler : la dignité. Elle rappelle qu’au-dessus des lois promulguées par les nations un peu folles, il y a l’imprescriptibilité des droits de l’Homme.

"Les Anges d’Auschwitz" de Stephen Desberg et Emilio Van der Zuiden. Ed. Paquet

Il a fallu pas moins de cinq volumes aux scénaristes Jean-David Morvan & Séverine Tréfouel, au dessinateur David Evrard et au coloriste Walter pour raconter, en quelque 320 pages, la vie d’Irena Sendlerowa, une « Juste » polonaise qui a sauvé près de 2500 enfants de la mort. Le Tome 5 : La Vie, après. (Janvier 2020, Glénat) vient de paraître.

Le fait que les auteurs (comme pour Les Enfants de la Résistance) aient pris soin de raconter leur histoire sur plusieurs tomes souligne bien un traitement différent des autres médiums : ici, on prend le temps du détail signifiant, on reste dans la complexité des situations et des personnages, contrairement à un documentaire et même un cours d’histoire où il est nécessaire d’aller au fait.

Le dessin « enfantin » de David Evrard opère un phénomène de réfraction dans la description de l’horreur. Sa pédagogie peut être dispensée aux plus jeunes. Mieux : la résilience est de mise. C’est une vieille dame apaisée qui raconte son aventure, sans pathos, avec une indéniable probité. Grande dame, grande œuvre.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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11 Messages :
  • Esprit de résistance, es-tu là ?
    25 février 2020 14:15, par Eric B.

    C’est ce qui est terriblement navrant chez une majorité d’artistes : sous prétexte d’un travail de mémoire, ils trouvent surtout le courage de dénoncer des événements passés, quand il n’y a plus de danger et quand on a tous le recul nécessaire pour dire où étaient les méchants et où étaient les gentils. Ce qui, en plus, est très confortable pour eux puisqu’il n’y a plus de danger, pas de risque de représailles. On aurait plus de respect pour leur travail si’ils avaient le courage de dénoncer des événements actuels, ceux qui composent notre actualité brûlante. On aimerait les deviner un peu visionnaires sur le devenir de nos sociétés. Sinon, ils ne valent pas mieux que des historiens qui ont toujours su très bien expliquer le passé mais jamais deviner l’avenir. Donc, à ceux-là, qu’ils se cantonnent à nous raconter de belles, à nous divertir... plutôt que de jouer les donneurs de leçons en s’appuyant sur le passé, toujours sur les mêmes événements communs (tout en se croyant de vrais rebelles alors qu’ils ne font que dénoncer ce qui n’a plus cours, ce qu’on leur a bien appris sur les bancs de l’école)... Après Charlie Hebdo, je n’ai pas vu beaucoup d’artistes se montrer solidaires en osant dessiner un fameux prophète. Ils réclament tous la liberté d’expression mais ne l’utilisent pas comme il le faudrait et continuent encore et toujours à nous expliquer la seconde guerre mondiale, tout en fermant les yeux sur les événement tragiques qui se passent quasiment chaque semaine devant eux...

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    • Répondu par Richard (Teljem) le 25 février 2020 à  15:24 :

      N’avez-vous pas pensé que ce sont les éditeurs qui refusent de s’engager sur ces sujets, que les projets sur la Syrie aujourd’hui, le fascisme dans les Balkans, la politique américaine à la frontière mexicaine, les passeurs de la Libye vers l’Europe existent mais ne sont pas acceptés autrement que comme reportages dans XXI ou La Revue Dessinée ?

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      • Répondu par Eric B. le 25 février 2020 à  16:25 :

        Pourtant, je me souviens du FN qui avait remporté les élections municipales dans les années 90 à Vitrolles et tout de suite dans la foulée donc, il y a eu la série BD parue chez Casterman "A.D Grand-Rivière" de Coutelis... Donc, je crois surtout que les auteurs s’auto-censurent ou dénoncent uniquement à sens unique. Pour éviter de prendre des risques ! Vous savez, les éditeurs ne lisent qu’en diagonale ce qu’ils publient. Donc si les artistes avaient un peu de courage, ils auraient moyen de dénoncer des événements tragiques de notre actualité, même discrètement... Or ils se gardent bien de le faire et préfèrent déterrer de vieux souvenirs totalement dépassés. Pire, ils se gargarisent en France de l’héritage des Sans-Culottes et de la Résistance française mais les événements "Gilets jaunes" en France ont permis de bien mettre en lumières des comportements de collabos parmi la population bobos. Et ça, je n’ai pas vu beaucoup d’artistes le dénoncer depuis... Pour ne pas dire aucun !

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        • Répondu le 25 février 2020 à  17:10 :

          Vous semblez ignorer ou faire mine d’ignorer que la mouvance "Gilets jaunes" est une création venant de l’extrême droite.

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          • Répondu le 25 février 2020 à  17:47 :

            Merci de donner vos sources sur ce genre d’information.

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        • Répondu le 25 février 2020 à  17:45 :

          Je crois, vous savez .. sans dec, on ne va pas se priver de monter des projets sur un fond historique parce que monsieur je sais tout pense que bla bla. Et vous faites quoi vous pour les enfants syriens dans la région d’Idleb,bloquer en ce moment dans les montagnes sans feu, sans bouffe et sans école. Ben rien. Ha si ! derrière son clavier à deblatérer sur les auteurs et leur soit disant manque de courage. Bravo.

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          • Répondu le 26 février 2020 à  07:42 :

            Que la seconde guerre mondiale (et surtout ses horreurs) soit devenue une matière à "projets sur un fond historique", c’est-à-dire une matière de divertissement, c’est ce qui est critiquable.
            Le choix d’un tel sujet est-il pédagogique ou commercial ?
            Je crois, malheureusement, que c’est devenu seulement une manière de se faire de l’argent facile.
            L’esprit de résistance, 80 ans plus tard, je n’y crois pas. En revanche, essayer de comprendre le monde d’aujourd’hui et se battre contre ses injustices et même la bien-pensance, ce n’est ni simple, ni commercial. Une BD sur la Syrie. Faite par qui et pour dire quoi de plus ?

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        • Répondu le 25 février 2020 à  17:46 :

          L’époque nazie est devenue un genre. Un truc commercial malheureusement rentable. C’est bien ce qui m’inquiète parce que ça n’aide pas à éduquer les jeunes générations. Au contraire, parce que tout devient fiction, donc irréel, on sombre dans le romantisme et le manichéisme. Cette niaiserie généralisée fait revenir les idées nauséabondes plutôt qu’elle ne les fait disparaître définitivement.
          Je ne crois pas que l’esprit de Résistance soit dans les ouvrages proposés dans ce article.

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          • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 février 2020 à  07:59 :

            On voit bien que vous n’avez lu, ni même feuilleté, aucun des trois ouvrages évoqués. Il n’est pas question ici de "croire", mais d’engagement, de transmission. Ce genre d’outil de médiation est devenu plus que nécessaire de nos jours. Vous devriez vous y mettre, vos "croyances" en seraient peut être bouleversées.

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            • Répondu le 2 mars 2020 à  08:36 :

              "D’engagement". N’importe quoi !

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            • Répondu par Ghost Rider le 3 mars 2020 à  13:48 :

              Raconter des récits authentiques et réduire le vécu de ces personnages à des images infantilisantes de « titeufferie » pour injecter du code bien-pensant « dans le vivre ensemble », c’est pathétique et grotesque !!
              Dans la vitrine d’en face, chez le même éditeur, on propose dans un réalisme photographique « Ted Bundy » je cite : les auteurs nous interrogent sur l’une des plus anciennes énigmes de l’humanité : l’origine du mal !! Ah ouais !!!
              Vous avez aimé la téloche poubelle, vous allez adorer la bd pédagogique !!!

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