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Esteban reprend la mer

Par Morgan Di Salvia le 23 octobre 2009                      Lien  
Après trois longues années d’interruption, le voyage d’{Esteban} continue. Soit le temps qu’il a fallu à cette excellente série pour trouver un nouvel éditeur après l’arrêt du magazine qui le publiait. L’attachant personnage de Matthieu Bonhomme passe sous le pavillon de {Spirou}, et voit paraître un troisième album chez Dupuis. Récit de l’aventure d’une aventure.


Esteban est né dans les pages du magazine Capsule Cosmique en 2005. Ce magazine mené par Stéphane Oiry et Gwen de Bonneval a connu vingt numéros et a passablement marqué la bande dessinée jeunesse de la décennie qui s’achève.
Il y a cinq ans, soucieux de réveiller les envies et les possibilités d’expression des auteurs de BD jeunesse, ces deux auteurs prennent en main le destin d’un magazine qu’ils créent ex nihilo en s’appuyant sur un noyau dur : l’Atelier du Coin. Au numéro cinq, Esteban est en couverture.

Esteban reprend la mer
Esteban en couverture de Capsule Cosmique

Matthieu Bonhomme raconte :
« Un jour, j’arrive à l’atelier que je partageais avec Gwen de Bonneval, Stéphane Oiry, Dorothée de Monfreid, Nicolas Hubesch, Hubert et le photographe Charlie Jouvet. Et je les vois tous autour d’un café, en conciliabule. Ils me lancent la question : on fait un journal, tu en es ? ». Bonhomme est intéressé, mais accaparé par son travail en tant qu’auteur, il décide d’y prendre part sans rejoindre la rédaction. Le projet du journal est sur les rails. Milan accepte de l’éditer, Gwen de Bonneval est nommé rédacteur en chef, et Stéphane Oiry son adjoint. Le duo demande alors à Bonhomme ce qu’il n’a encore jamais fait jusque là : une bande dessinée dont il est à la fois le dessinateur et le scénariste. « C’est vrai qu’à ce moment je n’avais fait que L’Age de raison [1] et quelques albums du Marquis d’Anaon. J’avais l’envie d’écrire, mais je ressentais un blocage… »

Recherches de personnages
© Bonhomme - Dupuis

Le journal démarre et dans cette période de forte émulation à l’atelier, Matthieu Bonhomme se plonge dans l’écriture de l’histoire : « Depuis longtemps, je voulais situer une histoire en Terre de Feu, avec une chasse à la baleine. Ce projet, sur lequel je peinais quand il était destiné aux adultes, s’est d’un seul coup débloqué en l’envisageant comme une bande dessinée jeunesse. Le barrage a sauté, les pages et les dialogues me sont venus naturellement. »

Le projet commence à paraître dans Capsule Cosmique, et emporte l’enthousiasme de l’équipe et du public. Le Voyage d’Esteban est édité en album. Rapidement, un deuxième tome est annoncé dans le magazine et en librairie. Malheureusement, au numéro 20, Milan décide d’arrêter Capsule Cosmique [2]. « Le dernier épisode du deuxième album n’est même pas prépublié. C’est dire si l’arrêt est brusque. C’est une période douloureuse, il y a des heurts, des fracas. »

Nous sommes à l’automne 2006, « Traqués ! », le deuxième épisode du Voyage d’Esteban paraît sous la forme d’un album. Il faudra attendre trois ans pour lire la suite. Loin de céder au désespoir, Bonhomme croit en son personnage : « J’avais très précisément en tête la trame du troisième album. Il n’était pas question de laisser Esteban coincé dans la banquise ! J’ai fait un vrai transfert affectif sur ce personnage. Je suis investi émotionnellement par rapport à lui, jamais je n’ai pensé à l’abandonner. » Seulement voilà, Matthieu doit mener de front plusieurs séries : Le Marquis d’Anaon avec Fabien Vehlmann chez Dargaud, Messire Guillaume avec Gwen de Bonneval chez Dupuis et Esteban. Cette cadence d’enfer est rapidement intenable. Il décide de laisser décanter la situation. Face à l’impasse provisoire de son aventure maritime, il se consacre aux deux autres séries en cours.

Illustration pour un ex-libris
© Bonhomme - Dupuis

Quand on lui fait remarquer que la dernière planche avant cette longue interruption comporte cette phrase à la portée presque psychanalytique : « Esteban… On va pas mourir, petit, hein ? Fais moi encore confiance s’il te plait… », Matthieu Bonhomme acquiesce et ajoute : « Il y a plus que ça. Quand tu regardes la première case d’Esteban, c’est un équipage de copains qui part à l’aventure jusqu’au bout du monde… C’est l’Atelier du Coin avec le projet du magazine ! On sentait qu’il y avait des difficultés pour monter ce projet. J’ai dû écrire en étant imprégné d’une sensation qu’on allait vers une catastrophe… Et j’ai coincé le bateau dans la glace quelques jours avant que Capsule Cosmique ne se retrouve paralysé ! Cette dernière page, c’est moi qui parle à Esteban pour le rassurer. Quand je parlais d’un lien affectif très fort… ».

Anticipant notre question Flaubert, Matthieu Bonhomme continue : « Esteban c’est moi jeune, ce sont mes émotions, mes sensations de marin amateur, mes souvenirs de navigation avec des copains. C’est une réminiscence de cette atmosphère magique. »

Esteban en couverture de Spirou

Le temps fait son effet. La situation s’éclaircit. Dupuis s’intéresse à la reprise de la série et le nouveau rédacteur en chef de Spirou veut intégrer Esteban à son journal : «  Frédéric Niffle et moi, on aime la même bande dessinée. Je l’avais rencontré lors de venues en Belgique et nous partageons un point de vue commun sur la BD tout public et sur l’exigence d’auteur qu’il doit y avoir dedans. Quand il m’a demandé de travailler pour la nouvelle mouture du journal, je lui ai d’abord répondu que je n’avais pas le temps de créer une nouvelle série, d’autant que je publiais déjà Messire Guillaume dans ses pages. Il m’a demandé si je voulais continuer Esteban avec lui. Mon contrat le permettait, et j’ai donc dit oui pour une deuxième série dans Spirou. »

Trois ans s’étant écoulés, et vu le changement d’éditeur, Matthieu réalise une histoire de huit pages qui précède d’une semaine le début de la prépublication du tome 3 dans Spirou. C’est l’occasion de replanter le décor et de rafraîchir la mémoire des lecteurs : «  En fait, c’est parti d’une contrainte, il fallait raconter brièvement à ce nouveau public ce qu’était cette série. Mais plutôt que d’opter pour un résumé ou du rédactionnel, on a décidé d’inventer une petite histoire qui situait bien les personnages. J’ai eu carte blanche pour ces huit pages… ». Dupuis décide également de glisser cette histoire en prologue de l’album. Matthieu, au départ circonspect, s’en félicite : « Ca ajoute de l’intérêt, on revient sur la relation d’Esteban avec cet oiseau qui parle. Je pense surtout que ça permet de lire l’album de façon plus autonome. C’est quelque chose d’important pour les lecteurs aujourd’hui. ». Tout en gardant l’ellipse intacte, l’album passe à une plus grande pagination, et les acheteurs du tome 3 ont finalement également droit à ce préambule.

Esteban et l’oiseau
© Bonhomme - Dupuis

Dans ce nouvel environnement, Matthieu Bonhomme trouve un nouvel équilibre. Il peut créer sereinement un troisième album et envisager la suite de la série. À commencer par extraire son héros de la banquise ! Dans ce nouvel album, les marins du Léviathan s’échappent du piège de glace en canot : « Ma documentation, ce sont des livres d’aventuriers, quelques photos, des voyages, et puis ma petite expérience en mer. Cet épisode où Esteban et l’équipage de son canot doivent naviguer en escadrille et perdent les autres marins, c’est quelque chose que j’ai vécu. Que faire dans ce cas-là ? On est comme un enfant perdu dans un supermarché. Faut-il courir dans tous les sens pour retrouver les autres ou bien rester sur place et attendre ? C’est un souvenir angoissant, j’ai puisé là-dedans pour retranscrire les sentiments qui peuvent passer par la tête dans ce genre de circonstance… ».

Recherches de personnages
© Bonhomme - Dupuis

Évidemment, en lisant Esteban, on pense à Moby Dick d’Herman Melville : « J’ai eu le roman entre les mains vers 15 ans, et je n’en garde pas un souvenir mémorable. Il y a de nombreux passages très techniques, assez pénibles. Par contre j’ai trouvé la quintessence de cette aventure dans les nombreuses adaptations : le film de John Huston avec Grégory Peck bien sûr, mais plus près de moi une adaptation de Christian Rossi dans Je Bouquine. La Terre de Feu m’a toujours fait rêver, et le jour où je suis tombé sur les bouquins de l’écrivain chilien Francisco Coloane, ça a nourri mon imaginaire de manière incroyable… ».

Bonhomme dévore donc une multitude de récits de voyage concernant cette région du globe qu’il a visitée l’hiver dernier. C’est sa recette pour que ses albums soient de l’aventure nourrie de vécu.

Un extrait de l’histoire courte qui ouvre "La Survie"
© Bonhomme - Dupuis

Comme Jules de Émile Bravo ou Seuls de Gazzotti & Vehlmann, Esteban concourt à un renouveau de la bande dessinée d’aventure tout public sur un long format, alors que le gag ou les histoires courtes avaient dominé ce type de bandes ces dernières années. Matthieu Bonhomme : « Au fil des générations, la perception du média a beaucoup bougé : au départ on ne l’envisageait que pour les enfants. Ensuite à partir des années 1960 ou 1970 on a vu que la BD pouvait également développer un langage spécifique aux adultes. Le résultat pervers a fait qu’on a créé de petites cases étroites : d’un côté l’adulte ambitieux et de l’autre la jeunesse avec des gags en une planche. Moi j’avais envie de retrouver le côté exaltant et ambitieux d’un long récit, comme dans les Lucky Luke de mon enfance. Je n’ai pas envie d’être enfermé dans une catégorie. Je fais en sorte que mes histoires soient tant pour les enfants que pour les adultes. »

Le diptyque sur la chasse à baleine et la traque achevé, l’aventure continue avec plus de liberté. Bonhomme confie avoir des pistes pour plusieurs histoires à venir : « Je ne sais pas combien d’albums d’Esteban il y aura, c’est l’aventure qui me guidera. Par contre, je vais garder l’idée d’un thématique forte par album. Celui qui vient de paraître est l’histoire d’une survie. Le suivant sera l’histoire d’une évasion ! ».

La couverture de "La Survie", troisième album de la série
© Bonhomme - Dupuis

Le retour en librairie de la série Esteban est une excellente nouvelle pour les amateurs de bande dessinée d’aventure. Solidement campé par le dessin réaliste de Matthieu Bonhomme, Esteban semble plus que jamais promis à une vie héroïque. Un héros qui transcende l’âge de ses lecteurs, ça n’est pas courant. Ce jeune garçon est de cette trempe. Rendez-vous est déjà pris pour la suite de ses aventures avec l’équipage du Léviathan en Terre de Feu.

(par Morgan Di Salvia)

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> Le Marquis d’Anaon T3, T4, T5

> Messire Guillaume T2

> Le Voyage d’Esteban T1, T2

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> Sacré Bonhomme ! (portrait en mai 2007)

> "Le bestiaire fantastique de ’Messire Guillaume’ est fidèle aux croyances du Moyen-âge" (entretien en mars 2009)

[1un album muet sur les premiers hommes, plutôt un scénario de dessinateur avec de la mise en scène, mais aucun dialogue

[2Lire à ce sujet le dossier de 48 pages Capsule Tragique dans le numéro 2 de la revue L’Eprouvette, édité par L’Association en juin 2006.

 
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