Nous retrouvons ici Fabcaro avec un dessin bien plus détaillé qu’à l’ordinaire, plus réaliste. Et pour cause : sa première source d’inspiration aura été le roman-photo. Il affirme une intention de détourner des « codes déjà existants ». Ici, pas question de dupliquer le même dessin sur plusieurs cases d’affilée. Au contraire, Fabcaro met en place tout un jeu de postures et compose soigneusement ses planches. S’il reste sur sa bichromie habituelle, il la rehausse d’ombrages en hachures et laisse beaucoup moins de zones blanches.
Par contre, au niveau de l’humour, nous reconnaissons bien là Fabcaro. S’il endosse les codes du carnet de voyage dans Carnet du Pérou, c’est pour les tourner en dérision et pour mieux les transgresser : il arrive ainsi à raconter tout un périple dans un pays dans lequel il n’a jamais mis les pieds. Zaï zaï zaï zaï, la bande dessinée qui a fait sa renommée, s’empare des codes du road movie sans porter ses valeurs habituelles, et elle s’achève sur un karaoké. Cette liste se laisse aisément allonger par la mention de La Bredoute, qui prend la forme d’un catalogue publicitaire, ou encore de -20% sur l’esprit de la forêt qui prend celle d’un western, avec des jouets en plastique et sans destriers.
Et si l’amour, c’était aimer ? annonce dès son titre qu’il s’agira d’une parodie gentiment moqueuse du roman-photo romantique, qui fonctionne sur tous les plans. Le travestissement des genres d’origine par Fabcaro réside d’abord dans les scénarios qu’il leur fait porter : cette BD dépeint l’amour impossible entre un livreur de macédoine et l’épouse d’un start-upeur. Pourquoi de la macédoine ? L’auteur aime raconter dans ses différentes interviews que c’est le plat le moins appétissant auquel il ai pu penser, le moins susceptible d’être commandé de plein gré, et donc idéal pour son histoire. L’amour finira par triompher de tout, malgré son dysfonctionnement rendu aussi manifeste que dans Moins qu’hier (plus que demain).
La parodie s’étend jusqu’aux récitatifs et aux dialogues, qui reprennent tous les poncifs. Le narrateur et les personnages se lancent parfois dans des monologues qui tendent au lyrisme (toujours ridicule) et en viennent à prendre toute la place dans la case. De même, les postures et la composition des cases qui miment celles du roman-photo donnent aux personnages un caractère très figé. Fabcaro confie que sur ce point, il n’a qu’à eu à faire au second degré ce que les auteurs de roman-photo faisaient au premier. Les meilleurs œuvres du genre sont du pain béni pour qui cherche des poses théâtrales avec un manque de naturel si consternant que ça en est drôle.
Avec Et si l’amour, c’était aimer ?, Fabcaro relève encore parfaitement le défi de parodier un genre pour faire rire. Pas étonnant qu’il fasse partie des 20 indispensables de l’été de l’ACBD !
(par Céline Bertiaux)
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