Romans Graphiques

Être Montagne - Jacopo Starace - Éd. Sarbacane

Par Louis GROULT le 16 janvier 2023                      Lien  
"Être Montagne" est un album énigmatique. Son titre peut faire penser à l'ancienne orthographe de Montaigne, le grand penseur du 16ème siècle, auteur des Essais, mais sa couverture nous plonge tout de suite dans un univers de fantasy ou de science-fiction. Et bien, "Être Montagne", c'est tout ça à la fois. C'est une aventure dans un monde proche de celui d'Arietty, le petit monde des chapardeurs, dans une ambiance dystopique, qui nous fait réfléchir sur la croyance aveugle qui était l'un des grands thèmes de Montaigne.

La référence à Montaigne n’est sûrement pas voulue, car dans cet album, les êtres montagnes sont des hommes comme vous et moi. Ils paraissent immenses, car on suit, dans cet album, des êtres fourmis. C’est un peuple miniature qui chevauche des fourmis et qui est terrifié par les mantes religieuses. Ce peuple miniature, qui vit dans les déchets de notre civilisation, a une religion dans laquelle les êtres montagnes sont des dieux. Tout remonte à une épidémie qui a ravagé le monde des êtres fourmis, jusqu’à ce qu’un être montagne ait donné un remède. Depuis, la vie a repris son cours, mais l’épidémie est de retour et les êtres fourmis vont devoir choisir entre l’action et leur foi envers les êtres montagnes.

Être Montagne - Jacopo Starace - Éd. Sarbacane

L’idée d’un monde miniature est toujours éminemment romanesque ! Elle permet de créer des décors très intéressants surtout dans une bande dessinée où l’on n’est pas contraint par un budget. C’est sûrement le point fort de l’album. On prend un plaisir fou à voir des glands transformés en maisons, un caddie de supermarché qui sert d’immense dôme protecteur ou de simples mantes religieuses devenir des dangers mortels. Il y a cette imagerie miniature mais aussi tout l’univers graphique du post-apocalyptique et de la peste noire. La maladie transforme les gens en champignons comme dans le jeu The Last of Us et les médecins de ce monde portent des masques, qui évoquent ceux portés lors de la peste noire au Moyen-Âge. Cette richesse graphique est plutôt bienvenue car, à côté de ça, on a des designs de personnages assez oubliables, et quelques faiblesses graphiques, notamment lors de l’action. Il ne sert à rien d’être trop sévère car c’est une première bande dessinée et son dessin est très prometteur.

La trame narrative de l’album est assez déroutante, alors que l’on pourrait s’attendre à une histoire d’aventure classique, on a surtout une réflexion sur la foi, le pouvoir et la place de l’Homme au sein du vivant. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer les quelques faiblesses des scènes d’action qui ne semblent pas être le but de l’album. C’est sûrement ce qui a plu au jury d’Angoulême qui l’a choisi dans la sélection Eco-fauve Raja. L’efficacité narrative de la bande dessinée vient en grande partie de son suspense, et encore une fois, c’est grâce à son univers. Dès que l’on ouvre l’album, on se pose quelques questions qui ne nous lâchent pas pendant toute la lecture. On se demande où est situé ce monde, pourquoi les êtres montagnes ne sont pas plus présents, quelle est cette étrange maladie, pourquoi les êtres montagnes, s’ils connaissent l’existence des êtres fourmis, n’essayent pas de rentrer en contact avec eux. Les réponses à toutes ces questions sont données petit à petit jusqu’à un final très politique ! Un final qui peut entrer en résonance avec l’idée de la décroissance. On pourrait peut-être tous devenir des êtres fourmis au lieu de vouloir être de plus en plus imposants !

C’est un premier album prometteur. L’univers est très réussi, référencé sans être banal, et c’est très appréciable d’avoir une approche politique de la science-fiction et de la fantasy, au lieu d’une banale histoire d’aventure.

(par Louis GROULT)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782377318148

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