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Exceptionnelle exposition Raymond Poïvet à Angoulême

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 octobre 2012                      Lien  
Connaissez-vous cet auteur qui fait aujourd'hui encore l'admiration d'Albert Uderzo ou de Philippe Druillet, qui a fait celle de Franquin et qui a directement influencé l'Arzach de Moebius? Raymond Poïvet (1910-1999), dessinateur considérable, pilier de Vaillant, maître de la science-fiction de son époque, avec son chef d’œuvre, "Les Pionniers de l'Espérance".
Exceptionnelle exposition Raymond Poïvet à Angoulême
Une illustration de Poïvet pour la presse magazine
DR

Si le Musée National de la Bande Dessinée d’Angoulême n’existait pas, il faudrait l’inventer. C’est un lieu essentiel de la conservation du patrimoine de la bande dessinée en France et un équipement unique en son genre car il prolonge le Festival International de la BD d’Angoulême qui occupe la fin du mois de janvier depuis près de 40 ans. Il n’y a pas d’autre exemple dans le monde d’un événement de bande dessinée lié à une institution pérenne. Cet ancrage institutionnel de la BD en terre angoumoisine a d’ailleurs été déterminant pour la vie du Festival dont la gestion erratique a failli plus d’une fois le faire vaciller. Mais le musée est là, avec son environnement, la Vallée des Images, qui oblige les acteurs locaux a prendre en compte le destin du 9e art, quoiqu’il advienne.

Or, le musée accueille aujourd’hui Raymond Poïvet, un de ces grands auteurs publiés dans les journaux des années 1940-1980 et que les jeunes générations ont oublié car il a publié peu d’albums. Mais cela n’enlève rien à son influence considérable.

Dessinateur réaliste né dans le sillage des classiques américains Alex Raymond ou Hal Foster, Poïvet est un peu le binôme de cet autre grand dessinateur français qu’était Paul Gillon. C’est le dessinateur classique par excellence, dont le trait est ample et majestueux -un geste de peintre, pourvu d’une subjectivité que n’oubliera pas Moebius qui y trouvera de quoi sortir de la gangue du style belge, obsédé par l’effet de réalité.

Sa carrière passe, si l’on oublie l’épisode peu reluisant du Téméraire, ce journal collaborationniste où il contribua dans sa prime jeunesse, par les revues pour la jeunesse issues de la Résistance : Coq Hardi, Vaillant (organe du Parti Communiste dont nous parlions hier), mais aussi Tintin, Pilote,...

Les Pionniers de l’Espérance, le chef d’oeuvre de Poïvet et Lécureux. (1945)
DR

Mais c’est surtout avec Les Pionniers de l’Espérance, qu’il dessine entre 1945 et 1973 pour Vaillant sur un scénario de Lécureux, première grande bande dessinée de SF de l’après-guerre qu’il marque les imaginations.

Un magnifique original des Pionniers
DR

Ce groupe multiethnique d’aventuriers qui défend la civilisation terrienne contre les extra-terrestres incarne un idéal humaniste de progrès d’obédience communiste bien de son époque. Dans ce canevas, Poïvet utilise à plein l’exutoire de la science-fiction pour se dégager de toute idéologie et offrir un récit de SF passionnant dont s’inspire directement Jean-Claude Forest pour sa Barbarella (1964).

Une des fabuleuses créatures de Poïvet
DR

Près de 50 originaux de cet auteur sont exposés dans la salle des expositions temporaires du Musée jusque fin décembre. C’est somptueux.

De quoi aller y faire une bien peu communiste génuflexion devant un grand maître...

Extrait de M.I.X. (1965) ce dessin (et d’autres que l’on peut découvrir sur Neuvième Art 2.0) montre l’influence profonde de Poïvet sur l’univers de Moebius, et en particulier sur Arzach (1975).
DR et (c) Humanoïdes Associés

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

On lira avec profit le remarquable dossier que le site Neuvieme Art 2.0 consacre à l’artiste.

RAYMOND POÏVET, LE PIONNIER DE LA BANDE DESSINÉE

Du 28 septembre au 16 décembre 2012

Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (site Castro) — 121 rue de Bordeaux — Angoulême

 
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15 Messages :
  • J’ai lu un jour et çà m’est toujours resté que Franquin n’aimait pas du tout Poivet dont il jugeait le style assez peu BD ! Ou avez vous pris cet argument ?

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    • Répondu par Alex le 10 octobre 2012 à  23:34 :

      Le talent de Poïvet devait en irriter plus d’un- je veux dire surtout cette évolution du trait qui devient de plus en plus nerveux et qui tend vers le dessin non-finalisé, le croquis. Partant d’un dessin somme toute très académique et classique il en arriva à des ébauches nerveuses, impressionistes. Et le propos suivait aussi l’évolution de la ligne. Poïvet a un des parcours artistiques les plus fascinants de l’histoire de la bd francophone. Ses derniers ouvrages sont de véritables oeuvres philosophiques. Finalement témoignant aussi d’une oeuvre d’un homme impliqué, militant et fermement ancré dans son siècle. Je voudrais aussi en profiter pour remettre en mémoire l’élève direct de Poïvet, le formidable Gigi qu’il faudrait aussi honorer. Son talent avait su s’affranchir du maître tout en en utilisant les enseignements.

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      • Répondu par Alex le 11 octobre 2012 à  00:05 :

        J’aimerais rappeler que la planche et la case agrandie sont issues du récit "Le Jardin Fantastique". Un des chefs-d’oeuvre de l’histoire de la bande dessinée. Moi je n’en ai qu’une très vieille édition dont les pages sont décollées depuis des lustres. Écrivez aux maisons d’éditions : ce chef d’oeuvre doit être accessible en permanence ! On a rarement fait plus beau.

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      • Répondu par f*Parme le 11 octobre 2012 à  10:07 :

        Je confirme. Et qui a connu Gigi a entendu parler de Poïvet et de l’atelier du 10 rue des Pyramides et de toutes les aventures des dessinateurs des années 40-50.
        Quelqu’un pourrait confirmer : Raymond Poïvet était l’élève d’un affichiste Art Nouveau, était-ce bien Jules Chéret (pas confondre avec le dessinateur BD) ? Gigi m’en avait parlé un jour de 1985 alors que nous feuilletions ensemble un recueil d’affiches 1900. J’ai un doute.

        f*

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  • L’histoire "Mix 315" reproduite sur le site neuvième art 2.0 est très surprenante à bien des égards. Je ne la connaissais pas. Le talent de Poïvet ne cesse jamais de m’étonner, et voir qu’il avait inspiré à ce point Moebius est un fait totalement nouveau pour moi.

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    • Répondu par Oncle Francois le 13 octobre 2012 à  13:17 :

      Voila pour une fois une réhabilitation justifiée d’un grand Maître du XXème siècle.

      Juste un regret : compte tenu de la fin de l’expo en décembre, les 150 000 visiteurs ou plus qui se presseront à la grande fête annuelle du dernier weekend de janvier ne pourront guère y assister. C’est dommage au niveau "timing".

      Sinon, je signale à Alex qu’il y a une passerelle évidente entre Poïvet et Moebius. C’est Jean-Pierre Dionnet qui écrivit vers 1975 Tiriel pour Poïvet !

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      • Répondu par Alex le 13 octobre 2012 à  19:09 :

        Avez-vous été regarder sur ce site l’histoire dont je parle ? Sinon faite-le avec votre album d’Arzach bien ouvert à côté de vous... Qu’en pensez-vous ? C’est pour le moins surprenant n’est-ce-pas ?

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        • Répondu par Oncle Francois le 14 octobre 2012 à  21:09 :

          Oui, effectivement. Comix 130 est une excellente revue que l’on trouvait au début des années soixante-dix, chez Futuropolis le magasin BD de la rue du Théâtre à Paris, tenu par Robial et Cestac. Moebius leur avait filé un dessin pour la couverture, il a forcément reçu un SP en échange. Tout cela est assez drôle et démontre l’incompétence de l’ensemble des historiens réputés de la BD (Groensteen, Gaumer, Sadoul et compagnie), qui ont pourtant souvent écrit sur lui et eu toute possibilité de lui poser des questions lors d’interviews, et qui n’ont jamais évoqué ce détail.
          L’oeuvre de Giraud/Moebius est truffée d’emprunts, de citations graphiques, d’influences. Ce qui n’enlève rien à son mérite, car il a su transfigurer tout cela en le sublimant !

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          • Répondu par Alex le 14 octobre 2012 à  23:35 :

            L’oeuvre de Giraud/Moebius est truffée d’emprunts, de citations graphiques, d’influences. Ce qui n’enlève rien à son mérite, car il a su transfigurer tout cela en le sublimant !

            Tout à fait d’accord avec vous. L’article sur neuvième art 2.o va aussi dans ce sens, il ne s’agit pas d’épingler Moebius mais de prendre la mesure du formidable impact de l’oeuvre de Poïvet sur cet autre génie de la bd franco-belge. Avec aussi ce bémol : quel dommage que Moebius n’ait jamais publiquement reconnu cette influence directe sur Arzach. Mais je peux comprendre qu’il devait avoir un sentiment de découvreur face à cette perle publiée très confidentiellement.

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            • Répondu par Phil le 15 octobre 2012 à  01:38 :

              Voilà surtout ce qui explique qu’un dessinateur de western se mette toutà coup, subitement à dessiner de la sf et à en devenir un maitre juste après avoir découvert une dizaine de pages de Poïvet. Comme quoi il n’y a pas de hasard, il s’est passé la même chose après les débuts de Wasterlain entre Tintin et Spirou, et sa cohorte de suiveurs, et plus tard les suiveurs de Sfar après les premiers succès de celui-ci.

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              • Répondu par Alex le 15 octobre 2012 à  23:26 :

                Pardon mais il me faut vous corriger. Il n’y a pas de Giraud qui s’improvise en dessinateur de sf tout à coup. La naissance de Moebius avec des récits fantastiques et d’humour noir remonte à l’époque d’Hara-Kiri dans lequel il publiait sous ce pseudo. Dans Pilote (quelle confusion !) il signa sous le nom de Gir un récit de sf emblématique "La Déviation". Pour faire court. Alors non, il n’y a pas de transformation immédiate d’un dessinateur de western en auteur de sf. Je parlais ici de "Arzach", et de la création de Poïvet "M.i.x". Une oeuvre ponctuelle complètement inspirée par une autre oeuvre ponctuelle. Le fait que les deux dessinateurs aient publié dans le même magazine simultanément, que par ailleurs "Métal Hurlant" était sur le point de se réaliser est tout à fait passionant je trouve. Il y avait quelque chose dans l’air... Poïvet l’avait bien deviné, Moebius l’a cristallisé. C’est plus fort et beaucoup moins sage que les écoles, ou les "suiveurs" comme vous dites assez malencontreusement. C’est violent, immédiat et urgent. C’est de la vampirisation artistique, c’est vital pour le dessinateur inspiré par l’oeuvre, qui vient de recevoir un écho, même une affirmation de ses prémisses. Le reste, comme mon message, ne sont que des interventions de coupeurs de cheveux en 4. Mais à ma décharge, c’est quand même assez passionnant de voir se révèler tout un pan de l’histoire de la bd en quelques images.

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                • Répondu par Oncle Francois le 16 octobre 2012 à  22:09 :

                  Bien d’accord avec Alex : Moebius publia de courtes et excellentes histoires dans Hara-Kiri dès 1963 (reprises je crois dan l’album Humano "John Watercolor". Ensuite, Monsieur Giraud fut un peu accaparé par le succès de son Blueberry (un peu normal au débit où coulait les scénarios de Monsieur Charlier à cette glorieuse époque !), mais cela ne l’empècha pas de publier de magnifiques illustrations SF dans les livres de CLA-Opta (reprises elles dans le fabuleux 30/40 de Futuro titré tout simplement "Gir"). Il y a aussi l’histoire "L’homme est il bon ?" publié dans Pilote-hebdo vers 1970. Tout cela ne nous rajeunit pas, mais témoigne de la dualité artistique de Giraud/Moebius. D’un coté, Blueb et le western réaliste classique ; de l’autre les expérimentations SF. Un dernier détail : il est aussi excellent dans les deux domaines ...que dans les deux domaines ! Puisse un auteur moderne nous éblouir dans un seul de ces deux-là, et j’en avalerai mon chapeau, foie de François Pincemi. Un ou deux auteurs de cette trempe, on en a un par siècle !

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