Quel chemin parcouru par les créatrices de bande dessinée ces dernières années ! Seulement au nombre de quelques-unes au début du siècle, mais le plus souvent cantonnées à la production jeunesse, elles sont apparues avec Claire Bretécher dans les années 1970 et la bande humanoïde d’Ha !Nana (1976-1978) comme susceptibles aussi de conquérir un public adulte. Il faut dire que le mouvement Underground, la libération sexuelle et les activismes féministes étaient passées par là…
L’arrivée de la première femme à jouir d’une rétrospective au Centre Belge de la bande dessinée de Bruxelles traduit simplement ce nouveau statut, même si on est loin d’une égalité homme-femme dans ce domaine. Certes, Catel Muller dite Catel avait déjà été accrochée aux cimaises du CBBD lors des dix ans de la collection Ecritures, par exemple. Mais une exposition entièrement dédiée à son travail, alors qu’elle vient d’être honorée par le Prix Diagonales-Le Soir 2018 montre qu’il y a un moment, une chose qui se dessine, que nous sommes en présence d’une œuvre et d’un destin.
Introduite dans le milieu de la bande dessinée par son ami Blutch –rencontré aux Arts Décoratifs de Strasbourg dans la classe de Claude Lapointe- qui la traîne chez Fluide Glacial alors qu’elle est très bien dans l’illustration jeunesse, elle publie son premier album aux Humanoïdes Associés grâce à Sébastien Gnaedig. : Lucie s’en soucie, avec Véronique Grisseaux, dans la collection Tohu-bohu, en 2000. Une héroïne, déjà…
« Biographiques »
Bien qu’elle initie des séries pour la jeunesse (Les Papooses, avec Sophie Dieuaide chez Casterman, en 2003 ; Bob et Blop, avec Paul Martin, chez Bayard, la même année), sa rencontre avec José-Louis Bocquet va lui faire prendre un tournant décisif : les biographiques « Kiki de Montparnasse », « Olympe de Gouges », « Joséphine Baker » respectivement traduits en 6, 4 et 6 langues l’assoient définitivement comme l’une des voix féminines –et même féministes- de la bande dessinée.
Des œuvres qui tentent de rendre leur place à des femmes dont l’ampleur de l’action a été quelquefois oubliée, avec ce mot d’ordre impulsé par Benoîte Groult, la grande féministe à qui elle consacra aussi un portrait : « Au-delà de la vérité, la justesse ! » Sa collaboration avec Claire Bouilhac l’amène à parler d’autres femmes : Rose-Valland (avec l’historienne Emmanuelle Polack) et Mylène Demongeot.
Retour à la jeunesse
Sa dernière grande œuvre, c’est à Anne Goscinny qu’elle le doit : une formidable série de romans intitulée « Le Monde de Lucrèce » (Ed. Gallimard) où pour la première « la fille de… « s’essaie –avec un talent incontestable- à l’écriture pour la jeunesse (à partir de 9 ans).
Lucrèce, c’est un « Petit Nicolas »-fille : la même intelligence, la même finesse, mais davantage dans le 21e siècle (elle a un petit frère qui joue aux jeux vidéo...) dans une famille loufoque où son bon sens s’exprime avec une pointe d’affirmation féminine.
Sur la table des projets de Catel, Le Roman des Goscinny, une biographie croisée entre le créateur du Petit Nicolas et sa fille, dont Catel assure le scénario (à paraître chez Grasset au Printemps 2019), et d’autres « biographiques » sur Alice Guy, la première réalisatrice de l’histoire du cinéma, et Nico, l’icône chantante du Velvet Undergroud.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Héroïnes au bout du crayon – Centre Belge de la bande dessinée / Musée de la bande dessinée
Du 19 juin au 25 novembre 2018
20 rue des Sables
1000 Bruxelles
Le site de l’événement