Romans Graphiques

Eyes wide open sur Roxane

Par Jorge Sanchez le 12 septembre 2022                      Lien  
Lors du dernier SoBD, le stand des Éditions Tanibis, connues pour son catalogue intrépide et expérimental, avait invité une jeune inconnue. Frêle et souriante, devant les visiteurs de son premier salon BD, Maybelline Skvortzoff, nous invitait à découvrir son petit fanzine "Roxane vend ses culottes". Il s'agissait d'une sorte de trailer, un avant-goût de son opéra prima encore en plein développement et qui allait cartonner en à peine quelques heures, auprès des passants interpellés par son titre provocateur ou son graphisme pseudo-amateur, plein d'humour et de subtilités. Quelques mois se sont écoulés, quelques mois à labourer avec acharnement, et Maybelline nous livre un roman graphique piquant par son sujet, tout comme par son humour vif.

Roxanne est une jolie fille qui aime bien faire la fête, voir même un peu trop. Au point qu’elle en a oublié que pour pouvoir festocher, il faut aussi travailler, payer un loyer,... Voilà donc qu’elle se retrouve sans un rond dans les rouages d’une routine, devenue morne avec un copain qu’elle vire puis rappelle au gré de ses humeurs et qui ne la fait plus rêver depuis des lustres…

Eyes wide open sur Roxane
Roxanne vend ses culottes

Puis, un jour de flânerie jouissive sur les pages grivoises de l’internet, elle clique sur un pop-ad ouvrant les portes au marché souterrain des culottes de jeunes filles. En quelques jours seulement, Roxanne relève les voiles et sa vie prend un train de montagnes russes : rencontres furtives dans les ruelles obscures de Paris, gros paquets de billets, fêtes, drogues et rencontres amoureuses avec un nouveau gentil garçon qui semble se synchroniser avec son goût pour la culture trash et ses appétences sexuelles.

Roxanne vend ses culottes

Entre vinyles de rock, drogues, sexe et rendez-vous discrets à minuit, le monde de Roxanne se compose en partie de scénettes rocambolesques et loufoques, accentués par son goût pour la scatologie charnelle. Cependant, peu à peu et sans trop faire de remarques, les requêtes de ses clients les plus exquis commencent à monter d’un cran en baroquismes et précisions (tout en en augmentant les primes.) Et puis un jour voilà notre héroïne enrobée dans les beaux draps des rites néo-païens, à la Eyes wide shut, de l’élite parisienne…

Roxanne vend ses culottes

Loin d’offrir le portrait d’une jeune aventureuse, innocente et curieuse traversant le monde surréel des fétichistes. L’autrice n’hésite pas à casser quelques bâtons sur son héroïne et offrir sa propre lecture sur des sujets sensibles : telles que les relations toxiques entre parents et enfants, ou encore entre amis et amoureux. Avec un œil fin, capable d’apprécier et de décortiquer les relations de pouvoir et de manipulation qui, souvent, se forment entre ceux qui s’aiment le plus.

Maybelline prend certes quelques risques dans son premier album, défini par une esthétique du trait fin et chargé (dont on s’aventure à entrevoir un dialogue avec l’œuvre de Julie Doucet) et n’hésite pas à exiger un certain engagement dans l’attention aux détails et les références diverses qu’elle conjure : du cinéma d’auteur, du rock des années 70 et de la culture rave de Paris. Avec sa maîtrise des compositions en angle, elle nous encourage souvent à déchiffrer des cases touffues de détails, nous faisant entrevoir dans la décoration des murs et des coins empilés de vaisselle, l’univers particulier de chaque personnage, ainsi que ses petits vices coquins...

Roxanne vend ses culottes

Premier roman graphique d’une autrice calée dans ses ambitions graphiques, on apprécie les vertus d’un récit bien ancré, dans la tradition esthétique du trash (esprits sensibles s’abstenir s’ils n’avaient toujours pas pris garde.) Roxanne… nous propose une lecture séduisante, avec des pics d’humour bien régulés pour maintenir l’esprit éveillé et les scènes poignantes, de par leur représentation des insécurités et des crises existentielles. Sans jamais tomber dans le pathétisme ni sortir des sentiers battus des récits de jeunes aventureux, avec un dénouement qui boucle la boucle sans débordements.

Telle qu’elle nous l’avait laissé entrevoir au SoBD de 2021, Maybelline nous a démontré ses talents de narratrice pour ses scènes alambiquées, son adresse graphique et son habileté dans la construction de personnages attachants par leurs carences et leurs stratagèmes, assez originaux, pour s’y racheter. On imagine bien que l’esprit vivace de cette jeune promesse soit déjà en train de tisser les fils de sa prochaine histoire, qui sera très certainement bien plus ambitieuse.

Roxanne vend ses culottes

(par Jorge Sanchez)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782848410685

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