"Fabulosas" par Nazario, une anthologie coquine pour Angoulême (et pour le printemps) chez Misma Éditions

Des princesses dans des châteaux, de beaux princes leur faisant la cour, des sorcières, des fées… Voilà un décor qui nous est familier. Mais si la réputation sulfureuse de l’auteur ne vous a pas encore atteint et si son graphisme singulier ne vous a pas encore mis en garde, les tout premiers mots de l’incantation qui ouvre l’album feront l’affaire :

“Abracadabra, patte de chèvre, par-devant tu échoueras, par-derrière tu succomberas"

Coquines, irrévérencieuses et pleines de double sens, ces planches introductives donnent le ton d’une réinterprétation satirique de l’univers folklorique des frères Grimm, où le sexe et les passions de la chair règnent sans tabou, pour le plus grand plaisir des femmes…

Fabulosas. Éd Misma.

Né à Séville en 1944, Nazario Luque Vera compose avec Tom of Finland et, dans le registre de la caricature, Ralf König, le trio d’auteurs cultes européens les plus fameux de la BD gay. Ses planches ont intégré de nombreuses collections de musées, dont le prestigieux Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid qui a notamment acquis un grand lot de sa production des années 1970.

Connu pour ses sagas Anarcoma (publiée par la même maison, retenu dans la Sélection Patrimoine 2018 d’Angoulême) et Alí Babá y los 40 maricones (littéralement : Ali Baba et les 40 pédés), l’anthologie que présentent aujourd’hui les éditions Misma inclut une partie considérable de ses premières collaborations avec la revue El Víbora, où l’influence esthétique de Robert Crumb se fait sentir, ainsi qu’une pléthore de nouvelles et d’illustrations réalisées pour divers supports, tout en gardant le sexe (explicite ou non) comme source principale d’inspiration.

En effet, dans ses récits, il est assez fréquent de voir des femmes et des hommes vivre leurs passions sexuelles (dans toutes les variantes possibles...), explorant corps et sentiments jusqu’à leurs extrêmes limites. S’y mêlent religion, pouvoir, peur de la solitude, soif de liberté,...

Fabulosas. Éd Misma.

C’est la grande diversité de moyens techniques et stylistiques qui surprend lors d’une première lecture. Dans les dessins du début des années 1970, (publiés clandestinement dans des fanzines, juste avant la fin de la dictature de Franco) les histoires se construisent autour de gags et farces énormes. Puis, durant la deuxième moitié des années 1980, nous voyons apparaître de grandes planches à l’encre de Chine qui offrent avec minutie et élégance des histoires se déroulant dans des palais futuristes ou des temples antiques, aux côtés d’une vaste production pour de fanzines imprimés avec des moyens artisanaux.

Dans les premières histoires, on remarque que l’objet politique est l’expression de soi à travers la jouissance des corps (écho de la libération qui a accompagné la Movida [1]). On découvre ainsi une princesse aveugle, qui cherche son amant en testant les membres virils de tous les prétendants du royaume, ou encore une princesse transformée en citrouille ne pouvant récupérer sa forme humaine sans qu’on ne lui enfile une ceinture de chasteté.

Au fur à mesure que nous entrons dans les années 1980, caractéristiques du boom de la BD pour adultes qui a lieu dans le monde entier, apparaissent des récits plus sobres dans lesquels des amants tentent de comprendre ce qui les lie au-delà de leur relation sexuelle, ou encore, comment celle-ci leur permet de dépasser l’emprise qu’exerce la société sur eux.

Fabulosas. Éd Misma.

Dans cette très riche anthologie, Nazario introduit chaque histoire par une brève présentation contextualisant la création et sa conception, donnant au lecteur une image très complète sur l’évolution artistique et les influences qui ont guidé les choix de l’artiste pendant sa carrière.

Avec l’arrivée du printemps et du soleil, on ne peut que recommander cet album pour un public averti, cherchant quelques petites histoires pour pimenter son imagination (et son quotidien).

Fabulosas. Éd Misma.