Comment vous sentez-vous après cette tragédie ?
Horreur ! Un tsunami. Rien ne sera plus jamais comme avant. Abominable impression de déjà-vu. Je n’ai pas oublié la décennie noire en Algérie. À l’époque tout ce qui pensait ou dessinait était menacé. Un nombre de morts incalculables. Il n’est pas un Algérien qui n’a pas été touché par ces années effroyables. N’oublions jamais que les principales victimes de ces malades mentaux, sont les musulmans eux-mêmes.
Vous avez une relation particulière avec Charlie Hebdo...
Essentielle. Je suis un enfant de Hara-Kiri, Charlie mensuel et Charlie Hebdo. J’ai publié mes premières longues histoires dans « Charlie mensuel » des éditions du square. J’ai été pour ainsi dire découvert par Wolinski. La noirceur de mon travail lui avait inspiré cette remarque : « Dans l’histoire la plus noire, il faut toujours un côté positif ». J’ai bien retenu la leçon. J’ai fait connaissance avec l’ensemble de l’équipe (Reiser, Choron, Gébé et Cavanna étaient encore vivants…). J’ai revu Cabu à Blois dans un forum où il m’avait invité à dessiner avec lui. Tignous faisait partie de ce que David B a appelé les réunions-cacahuètes chez André Igual dans les années 1980.
Face à la crise de la BD de ces années, nous voulions lancer nos propres supports. Il n’était pas encore à Charlie hebdo. J’ai fait la connaissance de Charb pour le lancement de la revue « Chien Méchant ». Luz m’avait invité à y collaborer.
Quant le FN a remporté la Mairie de Toulon, je les ai tous revus pour le lancement de l’album « Charlie hebdo saute sur Toulon ».
Le seul que je ne connaissais pas alors, c’était Honoré. J’ai fait sa connaissance il y a deux ans. Nous faisions partie du même jury pour la remise des diplômes à l’école Jean-Trubert (Arc en Ciel). Nous avons passé une journée ensemble. Un homme charmant. Pour les auteurs de ma génération, Hara-Kiri, Pilote et Charlie hebdo et mensuel sont décisifs. Ils nous ont ouverts des portes où nous nous sommes engouffrés. Ils sont à l’origine de la bande dessinée actuelle. Ils nous ont appris à dessiner sans fioriture en privilégiant l’idée.
Comment dans votre entourage, on réagit face à cette situation ?
Ma famille, mes amis, mes voisins sont naturellement bouleversés. Je reçois beaucoup de messages de gens que je vois rarement qui me présentent leurs condoléances. Ils considèrent que les dessinateurs sont une grande famille. Des gens que je connais à peine éclatent en sanglot. C’est un climat étrange, déroutant…
Le conflit israélo-palestinien a encore servi de prétexte. Comment sortir de ce fatras ?
Si j’avais la solution, je la communiquerais au plus vite aux belligérants.
Est-ce que la solution est politique ?
Pour l’instant, les politiques se déchirent sur le cadavre encore chaud de Charlie Hebdo. Je fais partie de la génération de la première Marche pour l’égalité. Nous rêvions d’un monde meilleur, nous nous revendiquions Français. Nos revendications étaient paisibles, joviales et ludiques. Qu’ont fait les politiques de ces aspirations pour que nous en soyons là ? Il est temps de leur poser la question. Tout reste à reconstruire. Comment ressouder des liens avec une jeunesse déstructurée et nihiliste. Les politiques ont une responsabilité énorme, totale.
Pour vous, artistiquement, il y a un après "l’attentat de Charlie Hebdo" ?
Charlie a été touché profondément. Il va continuer à paraître sous ce titre. Il sera peut-être bon, peut-être nul mais il ne sera plus jamais le même. Charlie hebdo est mort, vive Charlie hebdo !
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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