Fatty - Par Julien Frey et Nadar - Futuropolis

San Francisco, 14 novembre 1921 : ouverture du procès de Roscoe Arbuckle, dit Fatty, star du cinéma d’alors. C’est là le moment de bascule dans la vie de Fatty, dont les auteurs de ce très beau roman graphique ont aussi fait le pivot de leur ouvrage, y consacrant une très belle double page en plein milieu de leur récit.

De fait, les années 1910 avaient été glorieuses pour cet artiste hors norme (6kg à la naissance, 120 plus tard, pour 1,65 m, qui lui vaudra son surnom de Fatty), ce géant du muet qui a enchaîné des centaines de films, comme acteur d’abord puis comme réalisateur. Premier roi d’Hollywood (c’est d’ailleurs le sous-titre de cet ouvrage), avant les Keaton et Chaplin, Fatty était LA star du cinéma de l’époque ainsi que de toutes les fêtes alcoolisées allant avec, dont l’une allait entraîner sa perte. En effet, lors d’une soirée plus qu’arrosée, Fatty est accusé du viol et de la mort d’une jeune starlette. Trois procès suivront dont Fatty sortira innocenté mais marqué au fer rouge, victime d’une volonté de moralisation à Hollywood menée par un certain Hays, sénateur républicain de son état et futur "inventeur" du fameux code Hays en 1930.

Buster Keaton (à gauche) et Fatty, dans "Fatty cuisinier" (1918)

Si Keaton ne l’abandonnera jamais, Fatty ne connaîtra plus jamais le succès de ses débuts, balayé qu’il fut durant toutes ces années 20 par la tornade médiatique, mais aussi par l’évolution du cinéma de ces années-là et par le génie des Chaplin et Keaton que Fatty contribua aussi à faire émerger (Chaplin lui devrait son pantalon, de grande taille forcément).

Grandeur (des années 10) et décadence (des années 20) en quelque sorte.

© Futuropolis

C’est donc à une plongée passionnante dans les débuts du cinéma muet, dont Fatty fut l’un des protagonistes majeurs, que nous convient Nadar et Frey, avec justesse, sans emphase, sachant nous montrer Fatty à hauteur d’homme, avec ses réussites mais aussi sa part d’ombre. Pas un mot de trop, juste ceux nécessaires à la compréhension d’une situation ou d’un personnage, une confiance dans le dessin (aux très belles couleurs à l’aquarelle) et dans sa capacité à faire avancer l’histoire.

© Futuropolis

Après L’Œil du STO et Avec Edouard Luntz, la nouvelle collaboration de Nadar et Frey est donc une vraie réussite, aux résonances fortement contemporaines par ailleurs. On ne peut pas ne pas penser aux récents scandales sexuels ayant touché (à raison) Harvey Weinstein, ou bien au rôle toujours joué par la presse à scandale. À l’époque, le célèbre WR Hearst, magnat de la presse dont Welles s’est inspiré pour son extraordinaire Citizen Kane, ne disait-il pas de Fatty : « Il n’a qu’à parler s’il ne veut pas qu’on invente ». Cette phrase n’a rien perdu de son actualité.

Après le roman de Jerry Stahl, Moi, Fatty, paru en 2007, Nadar et Frey offrent donc une nouvelle vie à Fatty dans le 9e art, , et ce de la plus belle manière. Paru à la fin de l’été, ce roman graphique pourrait faire un très beau cadeau, pour Noël ou pour toute autre occasion.