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"Féministes" (Vide Cocagne) : des récits militants éclairés et éclairants

Par Frédéric HOJLO le 19 février 2018                      Lien  
La bande dessinée peut être politique. Dans le cas de "Féministes. Récits militants sur la cause des femmes", elle l'est dans le sens le plus fort et le plus positif du terme. Vide Cocagne a en effet proposé à Marie Gloris Bardiaux-Vaïente de réunir des autrices autour d'un projet commun, aussi actuel qu'indispensable : expliquer ce qu'est le féminisme, dans sa diversité et sa complexité, et souligner qu'il demeure un combat à mener par tous.
"Féministes" (Vide Cocagne) : des récits militants éclairés et éclairants
© Aurélie Bévière / Claudia Les Mains Rouges / Vide Cocagne 2018

Féministes. Récits militants sur la cause des femmes est le dixième titre de la collection Soudain des Éditions Vide Cocagne. Si certains livres de cette collection sont très personnels et s’appuient sur une vive sensibilité, comme Je n’ai jamais dit je t’aime d’Alexandre de Moté (octobre 2017) ou Comme un frisson d’Aniss El Hamouri (septembre 2017), d’autres sont plus directement engagés et cherchent à témoigner de sujets sociaux et politiques, voire à proposer une critique constructive, comme Les désobéisseurs du service public (collectif, 2013) ou Hôpital public (collectif, 2016). Féministes appartient à cette seconde catégorie : tant par son sujet que par la manière dont celui-ci est abordé, l’ouvrage est fortement ancré dans notre monde contemporain - même s’il aborde des inégalités qui sont loin d’être nouvelles - et propose de nous donner quelques clés pour mieux le comprendre et, si possible, le faire évoluer.

L’ouvrage s’ouvre par un avant-propos en forme de manifeste, écrit par Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, qui a coordonné la réalisation de l’ouvrage et participé à l’écriture de deux des douze récits qui le composent. L’autrice [1], docteure en histoire contemporaine et scénariste de bande dessinée, connaît son sujet : impliquée depuis quelques années dans les luttes féministes, notamment au sein du Collectif des créatrices de Bande Dessinée contre le sexisme, elle réfléchit à la question, écrit régulièrement à son propos et ne refuse pas le débat. Marie Gloris Bardiaux-Vaïente définit ici succinctement le féminisme : il est "la mise en œuvre et la promotion, dans une société donnée, de l’égalité en droits mais aussi - et cela est tout autant essentiel - de l’émancipation politique, économique, culturelle, personnelle et sociale, des femmes".

Débuter par une définition a pour vertu de donner un cadre à la réflexion et à un éventuel débat, mais aussi de désamorcer bien des critiques, voire des railleries, dont le féminisme fait encore l’objet [2]. Cela permet ensuite de donner une direction à un mouvement qui se caractérise notamment par sa diversité, comme l’atteste la variété des récits réunis dans le livre. C’est enfin un prélude indispensable à la compréhension de ce qu’est - et de ce que pourra être encore - la bande dessinée féministe.

Dans la continuité de Ah ! Nana en France (1976-1978) ou de Wimmen’s Comix aux États-Unis (1972-1991), il s’agit pour la bande dessinée féministe à la fois de diffuser le discours et les idées féministes et de mettre en avant des œuvres d’autrices, souvent peu visibles par ailleurs, comme l’ont montré les mouvements nés il y a quelques années à la suite notamment de la très maigre présence des femmes dans les sélections angoumoisines.

© Théa Rojzman / Vide Cocagne 2018
© Marie Gloris Bardiaux-Vaïente / Valérie Lawson / Elvire De Cock / Vide Cocagne 2018

Alors que certaines autrices ont eu une influence importante sur nombre de créateurs, qu’il s’agisse de Claire Brétecher, Florence Cestac, Nicole Claveloux et Chantal Montellier en France ou d’Alison Bechdel, Julie Doucet et Trina Robbins outre-Atlantique, le travail des femmes dans la bande dessinée a subi une réelle "invisibilisation". L’objectif est donc de remédier à cet état de fait, mais aussi d’élargir l’expression à l’ensemble du combat pour l’égalité.

Le choix de la quasi non-mixité de l’ouvrage est par conséquent assumé, et même revendiqué : il permet en effet de compenser, au moins un peu, cette invisibilisation, tout en donnant la parole à des femmes s’étant spécifiquement interrogées sur le sujet. Quinze autrices et un auteur transgenre [3] ont ainsi participé à Féministes. Prouvant par la même occasion que s’il peut exister une bande dessinée féministe, il n’y a pas de "bande dessinée féminine".

La diversité des thèmes, des dessins et des tonalités rappelle qu’être une femme ne fait pas des autrices des créatrices à part, cantonnées à un genre, amenées à ne s’exprimer que sur certains sujets et dans un style donné. Exit donc la "BD girly" - mais qui a inventé une telle expression ? - ou cette soi-disant "sensibilité toute féminine" qui serait reconnaissable dans un trait ou une histoire. Marie Gloris Bardiaux-Vaïente et ses co-autrices soulignent qu’il serait temps de considérer leur travail pour ce qu’il est, et non pour ce qu’elles sont. Regardons leurs œuvres, lisons leurs récits, observons leurs dessins pour leur valeur intrinsèque et n’essentialisons pas leur travail.

Féministes. Récits militants sur la cause des femmes aborde un nombre important de sujets liés au féminisme : la définition du féminisme par Théa Rojzman, la prostitution et les travailleuses du sexe par Louison, le harcèlement de rue par Ingrid Chabbert et Jeanne Puchol, les clichés sexistes et racistes par Christelle Pécout, l’érotisation du corps féminin par Sarah Ayadi, la grossesse par Julie Gore, l’intersectionnalité par Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, Valérie Lawson et Elvire De Cock, le vagin et la sexualité par Aurélie Bévière et Claudia Les Mains Rouges, la transsexualité, les transidentités et l’intersexuation par Laurier the Fox, la musique et la confiance en soi par Annaïg, le viol par Marie Gloris Bardiaux-Vaïente et Anne-Perrine Couët, l’écriture inclusive - cet·te épouvante·aïe ! - par Morgane Parisi. De quoi répondre à bien des questions et ouvrir de nombreuses pistes de réflexion.

Si nous pouvons regretter l’absence d’une bibliographie et d’une sitographie, qui auraient permis d’explorer plus aisément les pistes ouvertes, il faut souligner la densité de l’ouvrage. Mêlant des témoignages très forts et des synthèses efficaces, Féministes est à recommander à toutes les femmes bien sûr, aux hommes se sentant "alliés" des féministes, mais au-delà à tous ceux qui voudront en savoir plus sur la question ou souhaiteront s’armer - au sens figuratif évidemment - pour débattre avec celles et ceux qui décrient ce mouvement de transformation sociale de fond.

Féministes. Récits militants sur la cause des femmes © Vide Cocagne 2018

(par Frédéric HOJLO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791090425934

Féministes. Récits militants sur la cause des femmes - Avec la participation de seize autrices : Annaïg, Sarah Ayadi, Aurélie Bévière, Claudia les mains rouges, Ingrid Chabbert, Anne-Perrine Couët, Elvire De Cock, Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, Julie Gore, Laurier the fox, Valérie Lawson, Louison, Morgane Parisi, Christelle Pécout, Jeanne Puchol, Théa Rojzman, Julia Wauters (illustration de couverture) - collection Soudain - Éditions Vide Cocagne - 136 pages en noir & blanc - 16 x 24 cm - couverture souple - parution le 23 janvier 2018 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.

Lire quelques pages de l’ouvrage.

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- La bande dessinée féministe exposée et éditée à Nantes début 2018.

[1Sur ce terme, lire la mise au point d’Agnès Giard.

[2Rappelons, à tout hasard, qui si en France une femme meurt encore tous les trois jours du fait de violences conjugales, le féminisme, lui, n’a jamais tué personne.

[3Toutes leurs biographies sont présentées en fin d’ouvrage.

 
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