« Dans un voyage en absurdie, que je fais lorsque je m’ennuie. J’ai imaginé sans complexe, qu’un matin je changeais de sexe. Que je vivais l’étrange drame : d’être une femme. »
Même si elle se prête merveilleusement au conte érotique qui défraie le catalogue des éditions Dupuis, ce sont pas ces paroles de cette chanson de Michel Sardou qui furent le déclic pour Benoît Feroumont, mais plutôt d’une sexologue canadienne, Jocelyne Robert, qu’il entendit à la radio en 2005 : "Elle dénonçait joyeusement la pornographie, explique Feroumont. Elle raconte ses consultations. Comment les adolescents et les adultes sont perturbés, incapables d’avoir une vie sexuelle sereine en regard de tous les exemples et représentations véhiculés par la pornographie qui imposent des modèles pénibles et des diktats castrateurs souvent impossibles à reproduire à la maison. Trop de performances ! Les acteurs pornos sont des sportifs à haut niveau. À la fin de ce long entretien, Jocelyne Robert lançe un vibrant appel aux artistes : « Ne laissez pas la sexualité aux pornographes, emparez-vous de l’érotisme et représentez-le ! » Cet appel m’a touché. Message bien reçu, Jocelyne !"
Un conte érotique mais également social
C’est donc le point de départ pour l’auteur de Wondertown et du Royaume, également animateur et réalisateur de courts-métrages d’animation, lauréat de nombreux prix. Avec cette vision artistique plurielle, il s’attaque au mythe de la femme-objet substituant, dans Gisèle & Béatrice, le point de vue masculin par celui de la femme.
Comme beaucoup de femmes, Béatrice est moins payée et moins considérée que ses collègues masculins. Lorsque son patron passe au harcèlement sexuel, elle décide de le prendre à son propre piège. Grâce à une plante magique ramenée d’Afrique, elle le transforme en femme ! Devenu "Gisèle", sans statut, sans papiers, sans passé, il n’a d’autre choix que de rester chez Béatrice, qui en fait son objet sexuel, et accessoirement aussi sa femme de ménage...
Débarrassée de son patron macho, Béatrice accède au poste qu’il occupait. Toute à sa revanche, elle jouit d’abord sans bornes de sa nouvelle position de pouvoir. Quant à Gisèle, elle découvre la vie quotidienne d’une femme soumise, qui vaque entre les tâches ménagères, les journées passées à la maison et les fantaisies sexuelles de Béatrice, devenue sa maîtresse dans tous les sens du terme. Sans cesse surveillée, enjointe de se soumettre à tous les désirs de Béatrice, Gisèle va pourtant réussir à compenser, peu à peu, le déséquilibre originel de leur relation.
On l’aura compris, tout ce conte est placé sous le signe de l’humour. Pour autant, Feroumont épingle le problème des étrangers et les différences qui demeurent entre hommes et femmes dans notre société moderne. Mais Gisèle & Béatrice est également un récit sur l’amour : l’amour physique avec la recherche du plaisir de l’autre, mais également l’amour plus spirituel, dans la recherche de l’autre, et le plaisir d’être deux, pas seulement au lit.
Coup double pour Dupuis
Avec cet album, Sergio Honorez, directeur éditorial de Dupuis, dépoussière substantiellement l’image de Dupuis. Non seulement, on ose y aborder des thèmes sous la ceinture (même si le livre parle d’amour et de rapports homme-femme autres que sexuels), mais l’image même d’Aire Libre prend un coup de jeune 25 ans après sa création.
La dernière collection qui demeure intouchable depuis la récente tabula rasa du catalogue présentait encore un profil d’albums plutôt intello, avec un graphisme parfois austère. Bien entendu, tous les titres ne ressortaient pas systématiquement de cette catégorie, mais chaque nouvel OVNI (bienvenu) confirmait peu ou prou cette tendance. Le fait de présenter un format plus petit, dans un encartage dédié, avec un dessin plus abordable, donne donc un sérieux coup de jeune à cette collection devenue une institution, mais qui peinait parfois à se distinguer de ses concurrentes plus jeunes et souvent plus innovantes.
Par ailleurs, Dupuis montre ainsi qu’elle est attachée à fidéliser ses auteurs, même dans un genre qui pourrait ne pas coller à son image : "Dupuis ne pouvait pas manquer "Gisèle & Béatrice", explique Sergio Honorez. Tout d’abord par fidélité à un de ses auteurs justement des plus fidèles, aussi parce dans ce monde masculin de la bande dessinée, il n’est pas interdit d’apporter le parfum de la féminité, mais aussi parce que la manière dont Feroumont aborde l’érotisme montre des qualités qui, ô surprise, s’accordent avec celles dont raffolent les éditions Dupuis : un joli dessin, de l’humour et de l’impertinence. Nous ne pouvions passer à côté."
Au final, Aire Libre, Dupuis & Feroumont nous offrent un bon livre, plein de liberté ! Oh, pas de quoi coucher dehors... Mais au contraire, de quoi vous motiver à rester sous la couette.
(par Charles-Louis Detournay)
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Gisèle & Béatrice - Par Benoît Feroumont - Aire Libre (Dupuis), réservé à un public adulte.
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A propos de Benoît Feroumont, sur ActuaBD :
> Benoît Feroumont, un dessinateur animé
> "La couleur est la musique d’une bande dessinée" (Entretien en novembre 2009)
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