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Festival Mboa BD 2018 au Cameroun : le multiculturalisme au poing

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 décembre 2018                      Lien  
ActuaBD a été partenaire cette année du 9e Festival International de la bande dessinée du Cameroun, Mboa BD. Reportage et actualité d’un « art carrefour » au cœur de l’Afrique.

Un peu de géographie et d’histoire d’abord : «  Le Cameroun est un pays d’Afrique centrale, situé entre le Nigéria au nord-ouest, le Tchad au nord, la République centrafricaine à l’est, le Gabon et la Guinée équatoriale au sud, la république du Congo au sud-est et le golfe de Guinée au sud-ouest » nous enseigne Wikipedia. Juché sur l’équateur, ses frontières rassemblent des peuples très différents réunis là par l’histoire coloniale.

Ancienne colonie allemande, le Cameroun a été retiré à l’Allemagne par les Alliés après la Première Guerre mondiale, puis placé sous la tutelle de la Société des Nations et administré par la France pour sa partie orientale et le Royaume-Uni pour sa partie occidentale. Ce clivage linguistique est resté jusqu’à l’indépendance en 1961. « Les frontières d’Afrique ont été tracées par les colonisateurs français, anglais et allemands, nous raconte le dessinateur Jean-Philippe Stassen, fin connaisseur de l’Afrique des Grands Lacs, invité de cette édition. Les Anglais aspiraient à une cohérence territoriale qui aurait relié l’Égypte à l’Afrique du Sud, tandis que les Français espéraient tracer une ligne horizontale sur le continent qui aurait relié le Sénégal à Djibouti… »

Ces deux puissances européennes finirent par se fâcher à Fachoda et l’Afrique en paye encore les conséquences.

Festival Mboa BD 2018 au Cameroun : le multiculturalisme au poing

Art-carrefour

Le thème de cette année impulsé par le festival est le « multiculturalisme ». Il correspond à la réalité camerounaise car, parmi les centaines de langues parlées par les populations locales (dont le bandjoun, le balengn le tchang, le douala et le pijin), ce sont les langues des colonisateurs, l’anglais et le français, qui s’imposent, business oblige.

« Pourtant le vivre-ensemble et l’unité nationale dans un pays qui compte près de 250 ethnies et deux langues officielles ont toujours été la fierté des Camerounais, souligne Yannick Deubou Sikoue, directeur délégué du festival. La crise anglophone au Cameroun nous rappelle que le vivre ensemble, l’éducation à la diversité, au multiculturalisme sont une quête permanente  ! »

Le bouillant timonier du festival veut dépasser ces clivages : « À notre époque marquée par le déplacement, on assiste à un dépassement des frontières constamment franchies, mais paradoxalement bloquées pour une partie de la population  » fait-il remarquer avec pertinence. Avec « l’art-carrefour  » (l’expression est de lui) qu’est la bande dessinée, il entend mettre en relation tous les artistes de la région avec le reste du monde.

Le « Pays de la BD »

« Mboa » signifie « pays » ou « maison » en langue douala et BD, bande dessinée bien évidemment. Mboa BD est donc un « pays de la BD » ouvert aux rencontres, chose pas forcément évidente en Afrique : « Que peut faire l’artiste, l’auteur pour la promotion du multiculturalisme, le vivre-ensemble ?, nous dit encore Yannick Deubou. Entre transformation de sa société, projection vers un futur meilleur et propagande, quels choix s’offrent aux auteurs en ces périodes d’incertitude ? » La question est loin de trouver une réponse…

Mais à Douala et à Yaoundé, pendant une semaine, les échanges culturels ont été intenses : conférences, master classes, ateliers professionnels, animations scolaires, concours de jeux vidéo, concours de BD numérique, concours de cosplays

Un concert à la tablette graphique par Cédric Minlo avec le DJ electro-star camerounais Skriim. Un beau moment !

Lors de la cérémonie d’ouverture, S.E.M Stéphane Doppagne, l’ambassadeur de Belgique au Cameroun et de Kristell Dorval, Directrice de l’Institut Français de Yaoundé ont honoré de leur présence l’inauguration de l’exposition à l’Institut Français sur le thème du festival : « Bande dessinée et multiculturalisme ».

L’ambassadeur est même revenu assister à une conférence où l’on expliquait que les bandes dessinées flamandes et wallonnes en Belgique étaient un exemple de multiculturalisme réussi. Oui, madame, et c’est à Yaoundé que ça se passe !

Quant à son second, M. Edwin Keijzer, le chargé d’affaires de l’Ambassade, il honora de sa présence la cérémonie de clôture à l’Institut Français de Yaoundé, le samedi. Devant la salle comble, enthousiasmé par le cosplay particulièrement rythmé qu’il venait de voir, au moment de remettre les récompenses aux lauréats, il déploya son double mètre dans un kata qui figea sur place le directeur délégué du festival en même temps que toute la salle. Un grand moment !

Le N°2 de l’Ambassade de Belgique à Yaoundé, M. Edwin Keijzer, a impressionné le public lors de la cérémonie de clôture. Il félicite ici la grande gagnante du concours de cosplays 2018.

Professionnalisation d’un secteur

Les auteurs de BD Hervé Noutchaya alias Nouther et Yannick Deubou Sikoue, respectivement président et directeur délégué du festival, considèrent avec réalisme le travail qu’ils accomplissent depuis maintenant neuf ans. Dans un pays où il n’y a pas 15 points de vente de la bande dessinée, où le réseau de distribution est quasiment inexistant, ils ont mis en relation et favorisé le réseautage de près de 300 auteurs, dont une cinquantaine d’artistes étrangers avec, à la clé, des contrats d’édition, de distribution ou de partenariat pour plusieurs d’entre eux avec des éditeurs francophones comme Glénat, La Boîte à Bulles et surtout L’Harmattan, un label éditorial sur lequel nous reviendrons demain.

Les dynamiques Zebra Comics publient leurs trois revues en deux langues : français et anglais. Multiculturalisme !

Mais c’est l’auto-édition, notamment via les plateformes de financement participatif, qui reste la norme avec plus de 30% de la production locale. La mise en place d’une plateforme Internet de vente de bande dessinée et la création d’un outil de distribution font partie des prochains objectifs.

Nous avons pu constater qu’il y avait une vraie demande pour la bande dessinée dans ce pays, si les éditeurs veulent bien s’y pencher. Lors des cosplays, nous avons pu voir une jeune génération qui, comme chez nous, s’intéressait principalement aux mangas. Ce sont évidemment les scantrads qui sont consommés. Or on sait bien que le piratage a souvent pour cause une offre insuffisante… De la même façon, à la médiathèque de Yaoundé, les albums proposés au public datent d’il y a quelques années… parce que personne n’était venu y faire offre et en raison de la difficulté d’importer le livre. Pourtant les commandes passaient par la FNAC de Douala. À bon entendeur…

De belles individualités

Enfin, nous avons rencontré quelques éditeurs courageux qui profitent de ce genre de manifestation pour écouler leur stock. Des équipes particulièrement dynamiques : le collectif A3 dont est issu Georges Pondy, les Zebra Comics dont les publications se font en deux langues, anglais et français, la bande énergique des BlackTrek, les membres très pro de Waanda Stoudio…

La bande à Black Trek
Le collectif 3AG

Tous recèlent de vrais talents et de vraies individualités comme Georges Pondy, déjà évoqué, dont les planches mixent l’esthétique manga avec l’énergie du jeu vidéo. Pas étonnant : autodidacte dans le domaine de la BD, Georges Pondy a d’abord publié la série Les Cop’s en 2007, avant de créer en 2009, avec Ntep Adams Kelly, la série « Vie des jeunes » qui vendra jusqu’à 150 000 exemplaires. Il participe, de 2010 à 2012, avec le collectif A3, à l’aventure du magazine Bitchakala où il publie les séries 3H Chrono et Pulsions. En 2012, il publie l’album Caty : Ça va chauffer (Ed. Ifrikya), où son héroïne policière Jacky Wabo mène l’action dans la ville de Yaoundé.

Georges Pondy

Il y a encore Annick Kamgang, née à Yaoundé, qui vit et travaille à Paris. Fille d’un homme politique panafricain camerounais ayant subi la répression dans les années 1990, elle s’inscrit dans sa ligne en exécutant ses dessins de presse. Lucha est son premier album de BD publié en France par La Boîte à Bulles. Sur un scénario de Justine Brabant, Luche, nominé au dernier BDBoum et déjà chroniqué sur ActuaBD, est un témoignage sur cinq ans de lutte pacifique de jeunes Congolais de tous milieux, origines et religions, à Goma, dans l’Est de la République démocratique du Congo (Kivu) luttant pour le changement en République démocratique du Congo.

La brillante dessinatrice de presse Annick Kamgang, avec son album "Lucha" paru à La Boîte à Bulles.

Enfin, Cédric Minlo, né à Yaoundé, qui publie dans plusieurs collectifs avant d’intégrer un temps le studio de jeux vidéo Kiro’ o Games, premier studio de création de jeux vidéo d’Afrique centrale comme Charac Designer sur le jeu Aurion : l’héritage des Kori-Odan. Il fait également partie de l’équipe du magazine de BD « Ekiéé » avec Paul Monthé et Yannick Deubou Sikoué et travaille notamment sur la série « Lycée Mozart ». Son premier album, Android Night qui parait chez Waanda Stoudio en 2017 sur un scénario de Darius Dada met en scène les nuits de Yaoundé dans un style qui n’est pas sans nous évoquer le Peellaert pop de Pravda la Survireuse.

Cédric Minlo et Darius Dada

Le Mboa BD fêtera son 10e anniversaire l’an prochain. ActuaBD sera présent et vous racontera ce morceau de l’histoire de la bande dessinée en Afrique.

Nous avons rencontré à l’Institut Français de Yaoundé ce jeune prodige de 12 ans, Kevin, le "Mbappé de la BD" !
Annick Kamgang avec Jean-Philippe Stassen, l’auteur de "Deogratias" (Ed. Dupuis) et de "I comb Jesus et autres reportages africains" (Ed. Futuropolis)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

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