Quand on parle de bande dessinée, la métaphore file toujours rapidement. Dans La Charente Libre du 30 décembre 2011, c’est Astérix & le combat des chefs qui est mobilisé pour décrire "la haine" entre le Festival international de la bande dessinée et la Cité de la bande dessinée.
Chaque année en effet, la chronique des guerres picrocholines que se mènent les deux institutions qui illustrent la bande dessinée sur les bords de la Charente, se réveille dans la perspective de l’évènement de la fin du mois de janvier avec, à la clé, communiqués, mesquineries et mesures de rétorsion en tout genre.
Rien qu’en 2011, nous avons eu à en rapporter un certain nombre :
En janvier 2011, alors que l’événement battait son plein, le Festival International de la Bande Dessinée a demandé à la Cité de la BD de retirer de son site toute information concernant ses propres expositions alors même qu’elles sont hébergées dans ses locaux. Gilles Ciment, le directeur de la Cité, est systématiquement écarté de toutes les représentations officielles.
En septembre dernier, le président du Conseil régional Michel Boutant donne une conférence de presse annonçant qu’il ne reconduisait pas intégralement les subsides destinés au Festival. Heureusement, la Chambre de Commerce et d’industrie d’Angoulême décide de son côté d’augmenter sa subvention, ce qui compense le manque à gagner pour le festival. Cet argent, le Conseil régional le redistribue vers la Cité de la BD pour financer le "Musée privé d’Art Spiegelman" et compenser en partie les frais consentis par la Cité pour le FIBD au moment de l’événement.
En novembre 2001, le site Actualitté.com lève un lièvre bien inquiétant qui pourrait constituer une menace pour le Festival de la Bande Dessinée à Angoulême : l’obligation de devoir rembourser des subsides indûment perçus auprès des institutionnels, soit quelques millions d’euros...
En décembre 2011, Art Spiegelman, Grand Prix du Festival 2011, déclare tenter de "construire un pont" en la Cité et le FIBD. À son initiative, deux expositions qui s’annoncent marquantes : sa propre expo rétrospective qui se placera à Angoulême dans le bâtiment Castro financée par le Festival, et son "Musée privé" à la Cité, financé par celle-ci.
Lors de la conférence de presse, les organisateurs du FIBD oublient soigneusement de mentionner ce dernier (seules deux lignes y font allusion dans un dossier de presse de plusieurs dizaines de pages). De même, le FIBD évite de communiquer sur les autres événements de la Cité (expositions, conférences, animations...) qui ont pourtant lieu au moment du Festival et qui pourraient conforter son offre. Spiegelman est contraint d’en faire lui-même la retape, faute de quoi les journalistes présents auraient tout ignoré de l’initiative.
Jean-Marc Thévenet, commissaire de l’exposition "Bande dessinée, l’œuvre peint : une autre histoire" est prié de ne pas venir à son inauguration, ni de rencontrer les journalistes, pour ne pas indisposer l’association du FIBD.
En conclusion de cette année troublée, La Charente Libre a enquêté sur cette "Guerre des chefs" : "Franck Bondoux [patron de 9eArt+, directeur du FIBD], seul maître à bord et au moins jusqu’en 2017. Voilà la principale raison qui explique toutes les tensions de l’année autour du Festival de la BD d’Angoulême".
Et d’ajouter : "Ce n’est pas nouveau puisque la situation est la même depuis 2007 et le choix des Amis du festival de confier pendant dix ans la gestion de leur bébé à sa société Neuvième Art +. Mais cette année, Michel Boutant a montré les crocs à distance face à Franck Bondoux : le conseil général a fait semblant de signer la convention de financement avant de diviser son aide par deux pour reverser l’autre moitié à la Cité de la BD que préside aussi Michel Boutant (lire ci-dessus). « Je ne veux pas être écrasé », expliquait-il cet automne, en rappelant que la Cité avait été aussi créée en 2007 pour gérer le Festival de la BD et que cet événement de quatre jours a « le même budget [3,5 millions d’euros] que la Cité qui fait vivre la bande dessinée tout au long de l’année. »"
L’article détaille les curieuses relations entre Partnership Consulting, une société contrôlée par Franck Bondoux, et la société 9eArt+ : "Partnership et son directeur Franck Bondoux sont dans le viseur de leurs détracteurs. La première raison s’explique par le montage financier qui unit les deux entreprises de Franck Bondoux. Neuvième Art + paie des prestations à Partnership chargée de s’occuper des sponsors. Depuis 2007, une convention de management de 94.800 euros, des honoraires de gestion de 30.000 euros ou encore un contrat marketing entre 90.000 et 144.000 euros sont payés chaque année par Neuvième Art + à Partnership. Cette dernière se fait également rembourser son loyer parisien ou ses factures d’électricité par le festival. En 2009 et pour la première fois, Partnership a pu reverser 30.000 euros de dividendes à ses deux actionnaires, dont Franck Bondoux détenteur des trois quarts de la société."
Le quotidien charentais souligne que seule 9eArt+qui reçoit chaque année plus de 2 millions d’euros d’argent public et qui n’a pas le droit de faire des bénéfices, a des comptes à rendre à la collectivité, et non Partnership Consulting : "Un manque de transparence que les plus farouches opposants à Franck Bondoux n’acceptent pas" note le journal.
Bertrand Morrisset, le directeur du Salon du livre de Paris, aurait même écrit au président du Tribunal de commerce d’Angoulême et au maire pour s’étonner que « des fonds publics servent à construire des temples marchands et permettent de pratiquer des tarifs de location de stands en totale distorsion de concurrence avec les organisateurs privés d’autres salons culturels. »
Le feu couve, semble-t-il, mais pour l’heure, chacun fait contre mauvaise fortune bon cœur et se concentre sur la prochaine échéance angoumoisine : « La Cité comme le festival font un travail remarquable » exhorte Michel Boutant interrogé par La Charente Libre. En attendant d’y voir plus clair...
On se rappelle les guerres entre le tyran Picrochole, roi de Lerné, et son rival, le roi Grandgousier, père de Gargantua, que décrivait Rabelais : Rien n’arrêtait la sauvagerie du sanguinaire envahisseur, pas même la peste, semant saccages et barbaries sur son passage, tandis que personne ne réagit et que les moines prient. Avec comme résultat des milliers de morts, une crue immense, deux villages dévastés, tout cela pour quelques vulgaires fougasses !
Métaphore pour métaphore, espérons que 2012 nous évitera ce genre de spectacle...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Festival International d’Angoulême, du 26 au 29 janvier 2012
Lire l’interview de Francis Groux, co-fondateur du Festival.
Lire la Chronique des mémoires de Francis Groux, co-fondateur du Festival
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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