BD-FIL, le Festival International de la BD de Lausanne, existe depuis 16 ans. C’est une petite structure composée de deux permanents (dont un à 80 %), de plusieurs employés à temps partiel et de nombreux bénévoles. Avec son budget de 900 000 francs suisses (environ 840 000 euros), il s’est hissé en quelques années parmi les plus prestigieux d’Europe en raison d’une programmation inventive qui savait mixer bande dessinée populaire et bande dessinée indépendante, patrimoine et avant-gardes, bande dessinée suisse et internationale. Lors du dernier pointage, le festival rassemblait quelque 18 000 visiteurs. Mais son aura allait bien au-delà des frontières de la Suisse.
Or donc, voici que Lausanne se sépare de son « directeur artistique/coordinateur général » qui pilotait la manifestation depuis sept ans. C’est une décision de la Fondation Lausannoise pour le rayonnement de la BD qui s’est donnée pour but de « promouvoir la BD » en s’appuyant notamment sur le Centre BD des Archives et de la Bibliothèque de la Ville de Lausanne dont le fonds est le plus riche d’Europe après celui d’Angoulême en France. Ils veulent un festival « plus populaire » et « plus familial ».
Dominique Radrizzani était depuis 2014 un directeur de grand format : historien de l’art, spécialiste du dessin, ancien directeur du Musée Jenisch Vevey, cofondateur du Colloque de la relève suisse en histoire de l’art (1997), commissaire de la Fondation Balthus, de la Fondation Kokoschka et collaborateur de la revue française de Pajak "Le Cahier dessiné" depuis sa création. Il a contribué à bon nombre d’expositions sur Alechinsky, Balthus, Bocion, Boltanski, Circuit, Duchamp, Giacometti, Huck, Savary, Steinlen… Bref, du haut de gamme.
« On peut dire sans exagération, écrit J.-C. Menu sur sa page Facebook, que Dominique Radrizzani a ces sept années durant réussi à organiser l’un des tous meilleurs festivals de bandes dessinées francophones […] Auteur-trice-s, nous y étions choyés, respectés, et le moment de Lausanne était désormais attendu avec joie, tant pour sa programmation que pour l’exceptionnel moment de partage que le festival représentait, avec les collègues comme avec l’équipe et le public. »
Il poursuit : « Il serait faux d’affirmer que le festival de Dominique était élitiste. Il s’était engagé à alterner la présidence d’auteurs « indépendants » importants (Anna Sommer, Alex Baladi) avec des auteurs « grand public » de qualité (Derib, Dave McKean), Blutch et Tardi se situant quelque part entre les deux. Dominique n’a jamais dévié des engagements de sa lettre d’intention, il y a sept ans. L’édition 2021 avec Tardi et Dominique Grange à l’honneur était peut-être la plus belle et la plus généreuse. On pouvait y voir des expos aussi différentes que Tardi, Helge Reumann ou "Conan le Barbare". Il y avait aussi une de ces expos collectives stimulantes que seul Dominique pouvait imaginer : après Steinlein ou Winsor McCay, ce fut au tour de la Joconde. » Menu rappelle sa publication annuelle, Bédéfil (six numéros parus) dont nous avons salué la qualité sur ActuaBD.
J.-C. Menu désigne un responsable de cette décision : « Tout cela parce qu’un monsieur nommé Stéphane Montanegero, un politique, travaillant dans le tourisme, un hors-sol, arrivé après que Dominique a commencé son travail exceptionnel, a décidé qu’il fallait être « plus populaire », « plus familial ». Mais Dominique n’a jamais méprisé le populaire et le familial : il l’a simplement fait avec exigence. Qu’aurons-nous à Lausanne ? Des parades de Schtroumpfs, des déguisements Boule et Bill ? Des dizaines de festivals francophones tombent déjà dans ces facilités… »
Ce genre de situation est hélas très répandu. L’argument « populaire et familial » avait déjà été avancé pour évincer le précédent directeur artistique du festival, Philippe Duvanel, pour des motifs à peu près semblables. Il est mis en avant par bon nombre de politiques -à Angoulême ou ailleurs- qui, ne connaissant rien à la bande dessinée, à son utilité comme à son public, mais qui s’autorisent les décisions les plus absurdes.
Qui succèdera à Dominique Radrizzani ? Pour le moment, on n’en sait rien. La Fondation annonce que la manifestation se tiendra bien en 2022, dans un format prolongé au-delà d’un week-end, à l’exemple de la Fête de la BD de Bruxelles. « On sait vers quoi on va, mais il faut prendre le temps de le faire bien. On veut peaufiner le concept » peut-on lire sur le site de la Radio Télévision Suisse. On demande vraiment à voir.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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