Quand il était enfant, petit Réunionnais, Ludovic n’avait qu’une idée : devenir inspecteur de police en métropole... Aujourd’hui retraité de la fonction publique, il nous confie dans chaque album l’évolution du rêve de ce petit garçon et nous fait vivre les enquêtes qui l’ont particulièrement marqué durant sa carrière, souvent du fait de la personnalité des bandits qu’il cherchait à attraper...
En dépit d’un titre et d’une couverture peu engageants, nous avons une fois de plus fait confiance à l’expérimenté et doué Éric Corbeyran en ouvrant le premier tome de cette nouvelle série. Et avouons-le, le résultat dépasse nettement nos espérances.
Car le scénariste pléthorique s’est vraiment profondément impliqué dans ce récit, en adaptant donc le témoignage de son ami Ludovic Armoët : il dépasse le cadre de la simple chronique policière, pour livrer un tableau de la personnalité de cet inspecteur de la PJ. Un homme qui a commencé en bas de l’échelle sur l’Île de la Réunion, avec une double aspiration : celle, malheureusement pour lui, d’épouser une jeune femme faisant partie de l’élite de l’île ; de l’autre, celle de faire valoir son sens moral, envers et contre tout, en s’engageant dans la police.
On le retrouve donc une dizaine d’années plus tard, à la PJ d’Evry, sur cette affaire de "go fast". Certes, le déroulé de l’enquête est intéressant, mais ce qui vient réellement doper l’intrigue ne sont pas les chassés-croisés avec les trafiquants, mais bien les coulisses des opérations : la façon dont se déroulent les longues filatures dans le soum (le sous-marin), ce que rapportent les zonzons (les écoutes téléphoniques) et la façon dont s’organise la garde-à-vue pour créer le lien avec le gros poisson que l’on a appréhendé.
À tout cela vient s’ajouter l’ambiance entre collègues de la Police Judiciaire : ceux sur lesquels on peut compter et les pistonnés qui profitent de leurs prérogatives pour choper le numéro de téléphone des nanas ou dealer des prises de drogue. Ainsi que les petits délires d’équipe pour tenter de rythmer la vie de tous les jours lorsqu’on travaille depuis des mois avec des moyens ridicules face aux malfrats, ou lorsqu’on a fait une grosse prise. Sans parler de la difficulté parfois de rentrer à la maison avec ses problèmes de boulot, sans avoir vraiment le droit d’en parler avec celle qui partage sa vie.
Tout l’intérêt de ce témoignage authentique est parfaitement mis en images par Corbeyran. Il prend le lecteur par la main dès les premières pages, et ne le lâche plus jusqu’au terme des 64 planches, ponctuant ces différents éléments de flashbacks dans un excellent page turner, tout en faisant varier l’intensité de son récit. Notamment grâce à des hors-textes qui nous permettent de nous placer dans la tête du policier, avec ses petites réflexions pleines d’humour tout en apportant deux niveaux d’information dans la même séquence, conférant ainsi nettement le niveau nécessaire à celle-ci. L’expérience parle, et le lecteur jubile.
Du dessin de Luca Malisan, on peut dire qu’il "fait le job". Pas facile, il est vrai, de faire vibrer le lecteur sur autant de planches, alors qu’il ne dessine presque que des bâtiments et des personnages qui dialoguent. Du coup, lorsque l’une ou l’autre posture est un peu en deçà du reste, cela saute aux yeux. Mais il se rattrape nettement avec toutes les séquences réunionnaises, qui apportent un vent de fraîcheur au récit.
Au final, nous avons ici une excellente immersion dans les coulisses de la Police Judiciaire, aussi passionnante que drôle et bien rythmée. Et dotée de petits détails croustillants et des trucs d’enquêteurs qui apportent un véritable aspect authentique, au point qu’on pourrait se dire que les malfrats devraient le lire avant d’entrer en garde à vue. Les fans du genre apprécieront !
(par Charles-Louis Detournay)
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Tous les visuels sont : © Éditions Delcourt, 2021 — Corbeyran, Malisan, Armoët
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