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Florence Cestac (Des Salopes et des anges) : « Mon dessin apporte de la légèreté à des sujets difficiles »

Par Nicolas Anspach le 11 novembre 2011                      Lien  
Florence Cestac et Tonino Benacquista racontent la tranche de vie de trois femmes dans les années 1970 alors qu’elles subissent une grossesse. L’IVG était alors interdite en France. Soutenue par une association, elles décident de se rendre en Angleterre pour avorter. Les auteurs signent un récit émouvant, oscillant entre la légèreté et le drame.
Florence Cestac (Des Salopes et des anges) : « Mon dessin apporte de la légèreté à des sujets difficiles »

Tonino Benacquista nous confiait récemment qu’il n’était pas facile de trouver le bon angle et un sujet de société qui puissent correspondre à votre style graphique particulier.

Nous nous connaissons depuis plus de vingt ans, et nous avons toujours eu envie de travailler ensemble. Il nous suffisait juste de trouver un sujet. Un soir, en discutant avec des femmes de mon âge, nous avons abordé nos avortements clandestins en Angleterre ou aux Pays-Bas. Tonino Benacquista était plus jeune que nous et n’a pas vécu cette période. En écoutant nos histoires, il a eu une étincelle. Le sujet l’intéressait et permettait de rappeler aux jeunes le combat que nous avons dû mener pour que la dépénalisation de l’avortement et l’encadrement légal de l’interruption volontaire de grossesse aient lieu au milieu des années ‘70. Tonino a rédigé un scénario, basé sur des émotions et des sensations vécues par toute une génération de femmes. Beaucoup en ont bavé. Nous avons dédié ce livre à Simone Veil qui était la Ministre de la Santé du Président Valéry Giscard D’Estaing. Elle s’est battue pour promulguer cette loi.

Comme beaucoup de vos albums, ce récit traite d’une thématique grave, mais avec humour.

Mon trait est rond et drôle. Ce type d’histoire ne passerait pas du tout avec un trait réaliste : l’atmosphère du récit en aurait été plombée ! Mon dessin permet donc d’apporter de la légèreté à des sujets plus difficiles. Il vaut mieux rire de ces thèmes ! Au fil des années, j’ai acquis une petite « cuisine graphique » pour mieux accompagner la gravité de ces thématiques.

Extrait de "Des salopes et des anges"

Le succès du Démon de Midi vous a apporté une certaine assurance pour aller vers ce type de récit ?

Oui. Le Démon de Midi a été le premier livre de ce genre. Je nourrissais une rage contenue et je sentais que si je versais dans une histoire revancharde, cela dénaturerait le sujet. J’ai donc choisi de naviguer entre le rire et les larmes…

Comment avez-vous collaboré avec Tonino Benacquista ?

Après avoir eu mon accord pour ce sujet, Tonino s’est documenté. Il a rencontré différentes personnes qui militaient à l’époque au MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception). Il a écrit son histoire et me l’a envoyée. Il y avait très peu de chose à changer. Je n’aime pas intervenir dans l’écriture de mes scénaristes. C’est une question de respect envers la personne avec laquelle je collabore. Chacun reste dans son domaine de prédilection…
Il en va de même avec Jean Teulé. Lorsqu’il m’a envoyé les premières pages de Je voudrais me suicider, mais j’ai pas le temps, j’ai été étonnée. Je lui ai fait remarquer que le rythme de l’histoire était trop soutenu ! Cela allait à du cent à l’heure. Jean me disait que le lecteur rattraperait l’histoire en court de route. Il a eu raison. Avec le recul, je me suis aperçu que le livre fonctionnait très bien comme cela. Un scénariste voit son histoire sur la globalité. Il faut faire confiance à son scénariste et savoir s’écraser. Surtout lorsque l’on travaille avec des pointures comme Jean Teulé ou Tonino Benacquista !

Avez-vous eu des échos par rapport à ce livre ?

Non, pas encore. Enfin, si … Une journaliste a parlé de Des Salopes et des anges à une émission de radio. Elle a reçu des appels téléphoniques d’auditeurs scandalisés. Pour eux, c’était une honte de parler de l’avortement à la radio et d’en faire la « promotion ». Alors qu’elle n’évoquait juste notre livre.

Extrait de "Des Salopes et des Anges"

Vous marquez un profond respect pour Simone Veil …

Oui ! Cela a été un combat difficile pour elle, et elle a fait beaucoup pour les femmes. Elle a tenu bon alors qu’elle se faisait malmener et insulter ! Simone Veil a failli craquer plusieurs fois. Elle s’en est vraiment prise plein la poire ! Son attitude fut héroïque. Nous lui avons envoyé le livre, en espérant qu’il lui plaise.

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de raconter La véritable histoire de Futuropolis, la maison d’édition que vous avez créée avec Étienne Robial ?

Il était temps de la raconter, tant qu’il avait des personnes de ma génération pour la lire. Beaucoup ont connu la librairie et les débuts de la maison d’édition. Je sais que ce livre leur parlera.

Extrait de "Des Salopes et des Anges"

Apprenez-vous encore quelque chose en dessinant ?

Je me perfectionne sans cesse ! En reprenant mes anciens albums, je m’aperçois du progrès. J’essaie aussi de me faire violence pour dessiner ce dont j’ai horreur, comme par exemple les cars et les voitures pour Des Salopes et des anges.

Ce style est venu au fur et à mesure. Mes premiers personnages avaient un nez plus long, qui coulait sans cesse. J’ai passé du temps à affiner, affiner, encore et encore ! Et puis, à un moment donné, le personnage a été dans le crayon. Quoique l’on fasse, il descendra tout seul sur le papier. Mais arriver à un tel résultat m’a demandé des années.

Quels sont vos projets ?

Je travaille sur Le Démon du Soir, c’est-à-dire sur un récit où j’aborderai la femme de soixante ans. Le Démon de Midi parlait de la femme de quarante ans, et celui de l’après-midi de celle de cinquante ans ! Les femmes de soixante ans qui prennent aujourd’hui leur retraite, n’ont plus rien à voir avec celles d’il y a quelques décennies. Les sexagénaires sont beaucoup plus dynamiques. Je note mes idées. Comme j’ai cet âge, j’observe mes amies. Je regarde comment elles vieillissent. Et cela promet, avec la génération soixante-huitarde (Rires). Je continue toujours Ludo et Laura, qui paraît tous les quinze jours dans Le Monde des Ados.

« Le Démon de Midi » est une histoire populaire, mais pourtant peu de personnes savent que vous en êtes l’auteur…

Effectivement. Ce livre est mon best-seller. Il a été adapté au théâtre par Michèle Bernier et Marie-Pascale Osterrieth. Elles ont vraiment respecté l’ambiance et le ton du livre. On passe du rire aux larmes. J’ai vu la pièce une trentaine de fois et j’ai pu apercevoir à quel point les gens appréciaient. Voir le public à l’Olympia se lever et applaudir les acteurs et la pièce était quelque chose de très émouvant !

Florence Cestac, au festival "Quai des Bulles"
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

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Une interview : "Charlie Schlingo était un vrai poète et se marrait en dessinant !" (Avec Jean Teulé, février 2009)

Le site de l’auteur

Photos : (c) Nicolas Anspach
Illustrations : (c) Cestac, Benacquista & Dargaud.

 
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