"Fluide Glacial retrouve toute sa tête" écrivions-nous en février dernier. Aux commandes, le trublion Yan Lindingre, en charge de la rédaction en chef, et le plus pondéré Vincent Solé, devenu éditeur d’un label complètement réorganisé : Fluide est sorti du périmètre de Casterman pour mener sa vie en solo, directement sous l’autorité de Teresa Cremisi, la patronne des éditions Flammarion.
Le rachat de Flammarion par Gallimard est vécu comme un soulagement pour les auteurs et l’équipe du magazine d’Umour et de Bandessinée. Il faut dire qu’auparavant, ça ne rigolait plus, c’était la valse des rédacteurs en chef, et l’éviction du dernier en date avait jeté comme un froid : "Ça a été une vraie chance pour nous, car nous allions carrément dans le mur" nous dit Lindingre.
Un sacré défi
Le nouveau rédacteur-en-chef ne cache pas son ambition. Quand il a pris les manettes du journal, il découvrait surtout "un beau jardin..." mais "...en friche !", d’autant plus difficile à cultiver que les normes de l’humour ont profondément changé ces dernières années : " Mais, d’une certaine manière, seulement dans la forme, précise-t-il : puisqu’il y a de nouvelles "disciplines" comme la BD de Blog, la BD girly, le manga, etc..., celles-ci usent forcément de nouveaux codes, mais les fondamentaux demeurent toujours. La dimension pastiche d’Hara-Kiri, par exemple, on la retrouve intacte à la TV dans Groland, mais aussi bien au sein de Fluide Glacial avec des types comme Marwanny & Pipocolor, les fausses pub de Lefred Thouron ou Léandri. On peut trouver à chaque auteur contemporain, même au plus exotique, une filiation avec Alphonse Allais, Vian, Dali, Gébé, Topor, etc. Quant à la BD girly, sa nouveauté absolue est relative : n’oublions pas Brétecher, Kiraz... ou même Manara .", ajoute Lindingre, non sans une pointe... d’humour !
L’autre challenge est de conserver à flot un titre qui approche la quarantaine alors que la presse de bande dessinée se trouve réduite à peau de chagrin, que le réseau des kiosques est en plein marasme, tandis que se profile un avenir qui ne peut être numérique si l’on en croit les expériences de revues BD sur le Net qui se multiplient ces temps-ci.
Et pourtant, dans ce paysage en ruines, Fluide résiste et même remonte la pente :"Soyons honnêtes, tempère Lindingre, comme le journal a un moment perdu beaucoup de terrain, il ne pouvait que remonter. Il fallait donc agir. Notre point fort est qu’il y a, en France, un réel attachement culturel à "Fluide Glacial". Pour certains lecteurs, Fluide, c’est une partie de leur vie. Contrairement à un titre qui devrait se lancer ex-nihilo, nous avons nous un capital à faire fructifier. Concrètement, notre travail doit être le même que pour les petits vignerons ils étaient là avant la déferlante mondialiste, la concurrence du moins-disant. Mais ils seront là après, à condition de se concentrer sur la qualité. Plus un numéro est riche en contenu, plus il se vend. Ça ne sert à rien de vouloir être putassier."
Reste que -on le voit dans les forums d’ActuaBD ces derniers temps- le modèle économique devient de plus en plus difficile à concrétiser. Jadis, la plupart des dessinateurs travaillant pour Fluide étaient salariés. C’est moins vrai aujourd’hui : "Certains le sont encore, mais la plupart des journaux ne jouant pas le jeu (de payer en pige de presse), il est difficile pour les dessinateurs d’avoir pour statut principal celui de journaliste. L’autre problème (c’est un peu technique) est qu’aujourd’hui, compte tenu de la situation générale de la presse, les auteurs tirent d’avantage leurs revenus de l’édition (livres) ou même d’autres jobs, comme l’enseignement. Or, pour pouvoir être salarié, il faut avoir le statut de journaliste, ou le convoiter. Ce qui est de moins en moins le cas..."
Pour la rémunération, il y a un barème : "Le prix de base se situe autour de 320 euros nets [La page], me semble-t-il. Et ça évolue en fonction de différents critères (popularité de la série, ancienneté de l’auteur...). Certains journaux fixent leur barème de base à environ 10 fois moins. Chacun sa politique..."
Un vent nouveau
Le fait est que les lignes bougent. De nouvelles signatures font leur apparition depuis plusieurs mois aux côtés des Goossens, Solé, Hugot, Casoar, Yves Frémion, Tronchet, Léandri, Thiriet ou MoCDM qui font pour ainsi dire partie des meubles : Plonk et Replonk, Romain Dutreix, Monsieur Le Chien, Bertail, Reuzé, Haudiquet, Le Borgne, Waldeck Leroc, Zoé, Fabcaro, Kleude, et même un... Jean-Christophe Menu qui rêvait depuis longtemps d’un tel accessit. Ils arrivent aux côtés d’orfèvres de l’humour comme Diego Aranega, Lefred Thouron, Bouzard, Chauzy ou Larcenet qu’on ne présente plus ou encore l’actuel scénariste en titre d’Astérix, Jean-Yves Ferri. Bref, c’est une équipe renforcée à l’évidente créativité qui se met en ordre de bataille.
Si les deux dernières livraisons -un spécial "faits divers" et un numéro sur "La Nouvelle Gastronomie"- restent dans ce qui pourrait sembler des formules convenues, il est nécessaire d’ouvrir les pages pour constater que le registre est devenu nettement plus corrosif. Lindingre annonce in petto le déploiement d’éditions régionales ou de numéros autour d’auteurs invités comme Edika qui se verrait salué par Philippe Geluck, Lewis Trondheim ou Riad Sattouf.
Bref, un nouveau souffle déride Fluide et il ne s’arrêtera pas, XXIe siècle oblige, à la seule formule papier, l’Internet étant vécu comme un complément de l’imprimé : "Le numérique. C’est en cours. Quand je parlais de jardin en friche... Le numérique chez Fluide, c’était carrément l’âge de pierre. Avec Vincent Solé (directeur éditorial albums) et Toto Dornoncourt (responsable du numérique), nous avons travaillé sur le come-back de Fluide sur le Net. Et bien entendu, nous prévoyons une version numérique du journal ainsi qu’une réelle activité sur la toile. Autre grand projet : Fluide en librairie. Mais je n’en dis pas plus pour l’instant. Côté albums, il y aura également de belles surprises en 2014. En fait, les projets sont très nombreux. Comme dans toutes les boîtes qui renaissent de leurs cendres et qui ont le vent en poupe !" nous dit le Prix Charlie Schlingo 2009.
On n’a pas fini de rire !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Fluide Glacial. Dans tous les bons kiosques.
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